Stephen Gowans
20 février 2012
Les pilotes de chasse canadiens "ont effectué 946 sorties et largué près de 700 bombes" dans l'intervention de l'an dernier de l'OTAN en Libye.[1] Mais plutôt que d'imposer une zone d'exclusion aérienne pour protéger les civils, les pilotes canadiens et des leurs homologues d'autres pays de l'OTAN ont pris part au conflit, en intervenant directement pour les rebelles anti-Kadhafi.
Mais qui sont exactement ces rebelles dont l'OTAN a pris le parti?
Des remarques privées d'officiers canadiens, rapportées par David Pugliese, dans le Ottawa Citizen suggèrent que les rebelles n'étaient pas des gens ordinaires assoiffés de démocratie, tel que les ont dépeint les responsables de l'OTAN et les grands médias.
Kadhafi avait affirmé que "la rébellion avait été organisé par" Al-Qaïda au Maghreb islamique" et par ses anciens ennemis le GICL (Groupe islamique combattant libyen), qui avait juré de renverser le colonel et ramener le pays aux valeurs traditionnelles musulmanes, dont la charia"[2] Mais cela avait été rejeté par l'Occident comme étant de la propagande.
Pourtant, un "rapport du renseignement canadien écrit à la fin 2009 ... décrit la forteresse anti-Kadhafi de la Libye orientale", où la rébellion a commencé, "comme un « épicentre de l'extrémisme islamiste », et disait que « des cellules extrémistes opéraient dans la région. »" [3]
Et le renseignement militaire canadien avait noté "(qu')en 2004 les troupes libyennes ont trouvé un camp d'entraînement dans le désert au sud du pays qui avait été utilisé par un groupe terroriste algérien, qui allait plus tard changer son nom pour Al-Qaïda au Maghreb islamique ou AQMI."[ 4]
Abdel Hakim Belhaj, qui avait "rejoint la résistance pro-américaine à l'intervention soviétique en Afghanistan, combattant aux côtés de militants qui allaient plus tard former Al-Qaïda," est emblématique du caractère islamique militant de l'insurrection.
"M. Belhaj est retourné en Libye dans les années 1990 et a conduit le Groupe islamique combattant libyen dans des affrontements violents avec le gouvernement du colonel Kadhafi". Le GICL était alignée avec Al-Qaïda.[5]
Belhaj était "le plus puissant chef militaire de la rébellion."[6]
Cela aurait dû éveiller les soupçons sur la véritable nature de l'insurrection, mais il y avait un indice antérieur que la révolte de Benghazi était inspirée par autre chose qu'une soif de démocratie.
"Le 15 février 2011, des citoyens de Benghazi ont organisé ce qu'ils ont appelé une marche du jour de colère. La manifestation s'est vite transformée en une bataille à grande échelle avec la police".
"Au début, les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau. Mais comme plusieurs centaines de manifestants armés de pierres et de cocktails Molotov ont attaqué des bâtiments gouvernementaux, la violence est devenue incontrôlable. Les manifestants scandaient: «Il n'y a Dieu qu'Allah, Mouammar est l'ennemi d'Allah»."[7]
Aujourd'hui, la Libye est une zone de guerre de milices concurrentes. Le Conseil National de Transition, oint par l'Occident comme le représentant légitime du peuple libyen, n'a aucune autorité.
Et maintenant, un an après le début du soulèvement, certains responsables de l'OTAN sont en train d'admettre que l'OTAN s'est rangée aux côtés de rebelles militants islamistes pour renverser Kadhafi, dont les responsables US se plaignaient parce qu'il se livrait à "nationalisme des ressources", tandis que les compagnies pétrolières le dénonçaient pour avoir tenté de "Libyaniser l'économie".[8]
Selon David Pugliese, certains officiers canadiens en privé parlent des avions de l'OTAN bombardant les troupes de Kadhafi comme de « la force aérienne d'Al-Qaïda »".[9]
Les parallèles avec la Syrie sont évidents. Le gouvernement Kadhafi luttait au fil des ans avec des soulèvements d'un certain nombre de militants islamiques, et il en va de même avec le gouvernement laïc de Bachar el-Assad en Syrie.[10] Des appels ont été lancés pour que les pays de l'OTAN interviennent là aussi, soit en tant que force aérienne des rebelles, ou comme fournisseur d'armes, ou les deux.
Mais il est clair qu'une intervention de l'OTAN en Syrie sera une répétition de la Libye, avec des forces de l'OTAN soutenant des militants islamistes dans le seul but de renverser un gouvernement avec lequel les intérêts économiques de l'Occident ne sont pas tout à fait à leurs aises. La Syrie aussi pratique "le nationalisme économique".
Le gouvernement Assad a rédigé une nouvelle constitution, qui doit être soumise à un référendum ce mois-ci, et qui promet la démocratie multiparti et des réformes démocratiques que l'Occident exigeait - mais qu'il rejette maintenant comme "dénuée de sens."[11]
En plus de permettre a de multiples partis de se présenter aux élections et de proposer différents candidats à l'élection présidentielle, la nouvelle constitution stipule que les ressources du pays sont des propriétés publiques (c'est-à-dire que le pays pratiquera le "nationalisme des ressources" qui avait mis Kadhafi en difficulté), que l'imposition sera progressive, et que ce sera une économie dirigé, plutôt qu'une économie de laisser-faire.[12]
Les réformes démocratiques sont largement 'hors de sujet'[irrelevant] pour l'Occident. Sinon, il ferait davantage pression sur l'Arabie saoudite, le Bahreïn, le Qatar, et d'autres pétro-despotismes- à partir desquels les compagnies pétrolières occidentales tirent des milliards de dollars de bénéfices-, pour qu'ils changent leurs habitudes. Au lieu de cela, le Bahreïn, théatre d'un nouveau soulèvement qui est en train d'être violemment réprimé - comme cela avait été le cas l'an dernier- continue à recevoir des États-Unis soutien et armes.
Les appels à des réformes démocratiques - dans certains pays, et pas dans d'autres- sont tout simplement des prétextes pour une intervention. La motivation réelle de l'Occident du soutient des soulèvements en Libye et la Syrie est d'ordre économique: transformer les pays en les faisant sortir du nationalisme des ressources et du développement économique indépendant, auto-dirigé, pour en faire des pays dégageant des profits pour les banques occidentales, ses sociétés et ses investisseurs.[turning the countries away from resource nationalism and a measure of independent, self-directed economic development into profit-disgorging spheres of exploitation for Western banks, corporations and investors.]
Dans la poursuite de ces objectifs, les pays de l'OTAN sont prêts à s'allier avec quiconque. Même avec Al-Qaïda.
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1. David Pugliese, “The Libya mission one year later: A victory, but at what price?” The Ottawa Citizen, February 20, 2012. http://www.ottawacitizen.com/news/Libya+Mission+Year+Later+victory+what+price/6178518/story.html
2. David Pugliese, “The Libya mission one year later: Into the unknown”, The Ottawa Citizen, February 18, 2012. http://www.ottawacitizen.com/news/Libya+mission+year+later+Into+unknown/6172099/story.html
3. David Pugliese, “DND report reveals Canada’s ties with Gadhafi”, The Ottawa Citizen, April 23, 2011.
4. David Pugliese, “DND report reveals Canada’s ties with Gadhafi”, The Ottawa Citizen, April 23, 2011.
5. Hadeel Al-Shalchi and Maggie Michael, “Libyan rebel hero plays down Islamist past”, The Associated Press, September 2, 2011.
6. Rod Nordland and David D. Kirkpatrick, “Islamists’ growing sway raises questions for Libya”, The New York Times, September 14, 2011.
7. David Pugliese, “The Libya mission one year later: Into the unknown”, The Ottawa Citizen, February 18, 2012.
8. Steven Mufson, “Conflict in Libya: U.S. oil companies sit on sidelines as Gaddafi maintains hold”, The Washington Post, June 10, 2011
9. David Pugliese, “The Libya mission one year later: Into the unknown”, The Ottawa Citizen, February 18, 2012.
10. Stephen Gowans, “Syria’s uprising in context,” what’s left, February 10, 2012. http://gowans.wordpress.com/2012/02/10/syrias-uprising-in-context/
11. David M. Herszenhorn, “For Syria, reliant on Russia for weapons and food, old bonds run deep”, The New York Times, February 18, 2012.
12. SANA, February 18, 2012