Claudine Pôlet
1 juillet 2012
L’idée que « l’OTAN est en crise » semble dominer dans les médias et les débats politiques, en conclusion de ce Sommet de Chicago. Certains considèrent même que « c’est le début de la fin de l’Otan ». Mais, à la lecture des déclarations officielles issues du Sommet, on doit faire d’autres constats. Certes, la plupart des chefs d’état des pays membres de l’Alliance, ont prêché les économies budgétaires, le gel ou la réduction des achats d’armements, mais il ont aussi trouvé un consensus pour mieux poursuivre la politique de gendarme du monde de l’Otan.
Les résolutions publiées à la fin du Sommet en témoignent : la déclaration sur l’Afghanistan avec un programme jusque 2024 ; celle sur « la posture générale de dissuasion et de défense » qui confirme le déploiement du bouclier antimissiles et le maintien de la stratégie nucléaire Otan, celle sur la réorganisation des « capacités de défense pour les forces Otan à l’horizon 2020 » et, enfin, la déclaration générale, qui fait du monde entier le champ d’intervention de l’Otan.
Cette dernière déclaration dit, entre autres : « Le succès de notre opération en Libye a montré une fois de plus que l’Alliance est capable de mener à bien rapidement et efficacement des opérations complexes à l’appui de la communauté internationale dans son ensemble. Nous avons également tiré un certain nombre d’enseignements importants et nous les intégrons dans nos plans et politiques.L’Otan a établi de nouvelles références pour la consultation et la coopération pratique avec les pays partenaires, ainsi qu’avec d’autres organisations internationales et régionales… ».
Ils appellent « Opération en Libye » la guerre de 7 mois qui a détruit ce pays et dont l’Otan n’a jamais daigné rendre compte des milliers de morts de civils. Ils appellent « succès », le fait d’avoir participé au renversement du gouvernement libyen et assassiné son président, Kadhafi. Ils appellent « communauté internationale dans son ensemble », la coalition de l’Otan avec quelques gouvernements réactionnaires arabes partenaires.
La sinistre « Opération en Libye » risque bien de devenir un modèle pour de futures interventions militaires. Bien que la Syrie ne soit pas citée directement dans la déclaration officielle, il est clair que l’Otan est prête à faire de cet État sa prochaine cible, au vu de la satisfaction générale pour les résultats obtenus en Libye.
Les cercles de commandement de l’Otan tirent aussi des leçons de ce qui doit être « amélioré » à l’avenir. C’est ce qu’il ressort de la « déclaration sur les capacités de défense pour les forces d’intervention à l’horizon 2020 ». Cette question nous semble particulièrement préoccupante. S’il y a des éléments de crise politique entre différents Etats membres de l’Alliance, ils n’empêchent pas que l’unanimité s’est faite au Sommet de Chicago pour « faire plus avec moins ». Un programme très important est en route pour constituer une sorte de tronc commun à toutes les forces armées des pays Otan, et ce programme englobe également des pays partenaires, « le cas échéant ». (C’est ce qui est en cours avec plusieurs pays d’Europe de l’Est, ou avec la Géorgie). On ne parle pas trop ouvertement de contribution financière plus élevée des États – vu la crise financière et économique – mais de concentration des moyens sur un nombre moins élevé de soldats, de modernisation et de sophistication des équipements pour des « rambos », de spécialisation dans certaines fonctions, de coordination et même de fusion entre les mêmes corps d’armées de différents pays, de préparation d’un petit nombre de militaires dans chaque pays membre, pour intégrer la Force de Réaction Rapide et agir sur n’importe quel terrain d’opération dans le monde etc..
La résolution du Sommet de Chicago sur « la posture de dissuasion et de défense » est tout aussi inquiétante. L’Alliance atlantique y réaffirme son ferme attachement aux armes nucléaires qui « sont une composante essentielle des capacités globales de dissuasion et de défense de l’Otan, aux côtés des forces conventionnelles et des forces de défense antimissiles ». Elle affirme en outre que, même si l’Otan devait « décider de réduire sa dépendance à l’égard des armes nucléaires non stratégiques stationnées en Europe » (donc Kleine Brogel ?) , l’engagement à rester une alliance nucléaire est fondamental et le partage du nucléaire reste l’affaire de tous les pays membres.
Cela pourrait signifier, pour la Belgique par exemple, que les bombes nucléaires seraient retirées de Kleine Brogel, et qu’en échange, la Belgique se concentrerait sur la formation des pilotes de bombardiers type F-16 qui lanceraient ces mêmes bombes à partir d’un autre pays de l’Alliance.
En plus du maintien et perfectionnement de l’arsenal nucléaire, l’Otan a adopté la résolution d’installer le bouclier antimissiles sur tout le territoire européen, et demandé à chaque pays de participer au moins à son financement. Des armes nucléaires placées à l’abri d’un bouclier antimissiles : voilà qui n’a rien de « dissuasif », mais qui ressemble plus à un droit de première frappe nucléaire.
Ainsi, l’Otan « en crise » n’arrête pas de perfectionner la machine de guerre, avec ce renforcement de sa capacité de défense antimissile et de l’efficacité de ses forces nucléaires et conventionnelles. Elle se déclare pleinement « déterminée à maintenir les capacités de dissuasion et de défense nécessaires pour assurer sa sécurité dans un monde imprévisible ». Là on peut réellement parler de crise.
Après la dissolution du Pacte de Varsovie en 1991, l’Alliance Atlantique s’est prise pour le nouveau gendarme du monde. Mais ce monde a continué à résister aux puissances impérialistes, à se libérer et se développer hors de leur contrôle et cela ne va pas s’arrêter. Dans ce nouveau monde « imprévisible », la « menace » est partout.
Pour cela, dans l’énumération des « menaces » contre lesquelles l’Otan prétend se prémunir, celle de « la perturbations des lignes d’approvisionnement critiques » occupe une bonne place. Il en est de même pour la menace du « terrorisme en dehors et à l’intérieur des frontières » de l’Alliance : ici sont visées entre autres, les révoltes des populations qui ne veulent pas faire les frais de la crise bancaire et économique.
Les résolutions adoptées par le Sommet de Chicago concernant l’Afghanistan indiquent comment l’Alliance redéploie ses forces quand elle échoué à maintenir l’occupation du pays. Ce qu’elle présente comme un retrait de ses troupes « combattantes » camoufle mal les manœuvres pour rester quand même. Elle le fera au moyen d’un « partenariat à long terme avec le gouvernement de la république islamique d’Afghanistan » dans lequel l’Otan gardera la main et l’ONU n’aura qu’à fournir une bonne résolution de Conseil de Sécurité pour que « cette mission nouvelle repose sur une base juridique solide ». La Belgique est partie prenante, même si les ministres De Crem et Reynders parlent seulement des militaires qui vont partir : une bonne partie d’entre eux resteront comme formateurs, les F-16 ne seront pas rapatriés avant la fin 2014 et l’État belge va y aller de sa/notre poche pour verser 12 millions d’euros par an au « pot commun » de l’Otan pour la reconstruction et pour le financement de l’armée et de la police afghane.
L’Otan est sans doute « en crise ». Mais cette crise traverse toutes les institutions du monde capitaliste, de l’Europe et des États-Unis, qui ont perdu définitivement la domination du monde. Ce n’est pas pour autant qu’ils céderont la place aux pays émergents, aux pays qui cherchent un développement indépendant, aux populations qui veulent la justice économique et sociale en Europe et aux États-Unis. Ils feront tout pour garder le pouvoir et s’ils ne le peuvent, pour créer le chaos et la barbarie. Des voix de plus en plus fortes s’élèvent dans toute l’Europe et aux États-Unis pour en finir avec ces relations de puissances, pour établir des rapports de coopération et de justice sociale entre tous les pays et au sein de chaque pays. Contre tout cela, le Sommet de Chicago a construit murs et stratégies.
C’est triste d’entendre notre Premier Ministre Elio di Rupo faire écho aux rodomontades de la droite, des De Crem et Reynders, et considérer que « l’Otan apporte la sécurité et la paix », que « la Belgique va contribuer financièrement au bouclier antimissiles puisque les Américains le demandent » etc…C’est triste de voir des parlementaires se réclamant de la gauche en Belgique, comme les Ecolos et Groen, qui soutiennent la politique de Reynders. Après, comme d’ailleurs, avant le Sommet de l’Otan à Chicago, le débat public était inexistant en Belgique. L’Otan va continuer à sévir et de nouvelles guerres se préparent.