Nicolas Bárdos-Féltoronyi
12 janvier 2014
Le nouveau concept stratégique de l’UE est en préparation et sera en discussion au Conseil en décembre 2013. Deux documents officiels sont déjà disponibles.
Remarques concernant le premier document: Preparing the December 2013 European Council on Security and Defence. Interim Report by the High Representative, Brussels, 24 July 2013
Le manque total d’une vision globale est frappant mais les visées en sont éclatantes:
Il n’y a aucune précision quant aux buts à poursuivre et aux moyens de les réaliser, buts et moyens de tous les citoyens et pas seulement de l’un ou l’autre secteur économique et militaire. Est-ce bien l’intérêt de ces citoyens d’aller en Afghanistan ou en Libye ?
Pratiquement aucune mention n’est faite de la diplomatie européenne qui, cependant, devrait jouer le rôle prioritaire dans le développement de la PSDC (politique de défense et de sécurité commune) par la réalisation des buts assignés par le concept stratégique.
Tout le document suppose implicitement l’encastrement de la PSCD dans les structures hypothétiques futures de l’OTAN alors que cette dernière se trouve en transformation fondamentale vers des choix démentiels, notamment nucléaires. Washington met de plus en plus l’accent sur ses forces navales qui ne dépendent d’aucun « allié encombrant ».
Toute la réflexion est axée sur la volonté d’accroître la capacité d’interventions militaires de l’UE, en coordination avec les pays membres et, implicitement, avec les Etats-Unis d'Amérique qui en partie se dégageraient de l’Europe, selon l’auteur du document. Or rien ne prouve cette conviction, sauf les discours de Washington. Certes, celui-ci est désireux de disposer des armées mercenaires européennes financées par les Européens : réduire son propre budget surdimensionné et augmenter l’effort budgétaire européen, malgré les restrictions budgétaires continues en Europe.
A propos des interventions souhaitées « hors-zone », l’extension de ce territoire apparaît sans limites. Le document évoque simplement les « voisinages des voisinages » qui risquent de s’étendre au monde entier. Tout l’écrit réfléchit en termes militaires et du point de vue des entreprises privées du secteur de la défense et de la sécurité, entreprises non sécurisées face à l’espionnage militaire ou économique (pensez à la mobilité des cadres supérieurs !).
Aucune mention des risques et dangers véritables dans le monde. Rappelons-le! Dans le monde, les sept “risques ou défis” identifiés par l’ONU seraient, en ordre d’importance décroissant, les suivants:
-trois de nature socio-économique: pauvreté; maladies et épidémies; détérioration environnementale;
-deux de caractère militaire: conflits inter-étatiques et prolifération d’armes bactériologiques, chimiques et nucléaires;
-enfin, deux autres très proches l’un de l’autre : le terrorisme et la criminalité (le commerce des drogues et des armes autant que la traite humaine et principalement celle des femmes).
Le document insiste sur les « nouveaux acteurs », sans les identifier, dans le monde. Fait-il allusion à la privatisation de la guerre par certaines firmes de sécurité ou aux agissements meurtriers de certaines multinationales ? On ne le sait pas.
Quelques remarques quant au second document : Vers un secteur de la défense et de la sécurité plus compétitif et plus efficace, Commission Européenne. MEMO, 24 juillet 2013)
Ici, on est en face d’un document étriqué, essentiellement affairiste. Cela est manifeste lorsque le document évoque « les compétences de la main-d’œuvre européenne » au lieu de parler des « compétences des travailleurs européens ». Le document semble avoir été dicté par les groupes de pression des industries concernées.
Evidemment, pas de réponse à la question de savoir que faire de la dépendance de l’UE de quelques multinationales de défense et de sécurité ou encore pétrolières. Or, on le sait, elles sont peu nombreuses selon les secteurs et forment des redoutables oligopoles. Aussi peu concurrentielles que possible, elles dictent leurs technologies, fixent leurs productions et imposent leurs prix. L’industrie des drones à usage militaire l’illustre cela parfaitement.
Il convient d’insister sur le fait que les secteurs industriels liés à la défense et à la sécurité collectives constituent des « biens publics ». En tant que tels, il convient dans une démocratie de les soumettre à la nationalisation ou du moins au contrôle public, strict et transparent. Aucun subventionnement forfaitaire ne peut leur être attribué ni pour Recherche & Développement, ni pour Recherche & Technologie. Il conduit à des abus patents !
Rien sur les projets de la Commission qui concerne la formation continue en vue d’une citoyenneté responsable en matière de défense et de sécurité. Or, l’enjeu est de former les citoyens européens à une défense civile, aussi peu violente que possible, et à une volonté solidaire lucidement et constamment évaluée. En réalité, la solidarité visée renforce évidemment l’esprit d’autodéfense, tant redoutée par tout agresseur, tout occupant.