Thibault Zaleski
5 juin 2015
L'inhumanité d'une Bombe trop humaine... Les Hibakushas témoignent. Qui n'aurait de méfiance à l'égard de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours ? Mais lorsque l'homme qui a souffert le souffle et le feu de la bombe témoigne directement de la souffrance, la mort et le vide, l'homo electronicus de 2015 vit alors dans sa chair le récit vivant de son absurde annihilation.
Les Hibakushas sont ceux là qui nous racontent aujourd'hui que l'homme a dépassé la fiction et a couru aux moyens de sa propre perte. Ils sont là, survivants, à parcourir la terre pour rappeler aux hommes qu'ils sont nés pour vivre et non pour tuer.
Leur Peace Boat trace depuis avril une route essentielle pour la Paix à travers la mer des menaces, des peurs, des certitudes. Le 24 mai, ils ont fait escale à Zeebrugge et se sont rendus à Bruxelles le 26. Au milieu des flux virtuels et dérisoires du quotidien, rencontrer, voir et entendre ces victimes et ces témoins du feu nucléaire émeut et conscientise. Être en présence de ces personnes qui consacrent leur repos à créer du lien et célébrer la vie, c'est se situer à un jet de vie seulement des cataclysmes artificiels qui ont noirci à jamais les noms des villes de Hiroshima et de Nagasaki. Une vie, c'est proche. Et lorsqu'avec une émotion et une véhémence intactes ils réclament l'abolition des armes nucléaires, le plaidoyer prend une force qui crie l'urgence.
À l'Hôtel de ville de Bruxelles, dix Hibakushas sont venus témoigner à l'initiative des Maires pour la Paix , une organisation pacifiste internationale qui regroupe 6649 membres dans 160 pays différents. Autant d'officiels qui représentent des milliers de communautés urbaines positionnées contre l'arme nucléaire et pour un monde en paix. Ça en fait du monde qui a développé l'intelligence d'entrer en résonance avec le message sensible et fort des Japonais qui ont expérimenté l'horreur atomique. Plusieurs survivants racontent la peine et la honte d'avoir survécu.
Un jeune homme rencontré plus tôt au cours d'une animation de la CNAPD aux Arts & Métiers s'étonne d'ailleurs de voir ces belles personnes âgées et en bonne santé. C'est que beaucoup d'autres ne sont plus là. Comme les deux sœurs irradiées de Madame Mitamura qui les a accompagnées vers une mort lente et douloureuse. Ou sa fille et sa nièce décédées en seconde génération de cancers létaux. Comme les voisins de Monsieur Ito, projeté à 4 ans de son tricycle par le souffle à 3,5 km de l'épicentre et qui se relève entouré des corps brûlés de ceux qui profitaient du parc à ses côtés. Comme tous les compagnons de taxi de Monsieur Miyake qui sauta instinctivement en apercevant le flash bleu-blanc de l'explosion de Little Boy. Comme chacune des près de 300.000 personnes disparues instantanément ou des années plus tard des effets directs et indirects de l'horreur. Les Hibakushas cinglent actuellement vers le Venezuela.
La bombe est un crime institutionnalisé contre l'humanité et une hantise universelle.