Le calvaire des Roms au Kosovo
Marie-Pierre Lahaye
1 juillet 2003
Un témoignage direct sur le sort des minorités au Kosovo
En février dernier, j'ai accompagné Sani Rifati et Rolf Orthel
au Kosovo et en Macédoine. Né au Kosovo, Sani Rifati est rom.
Il préside aujourd'hui Voice of Roma (VOR), une organisation basée
en Californie et dont la vocation consiste à défendre la cause
des Roms aux USA comme à l'étranger. Rolf Orthel est un cinéaste
hollandais, spécialisé dans la réalisation de documentaires.
Le but de notre voyage était de documenter le sort des Roms depuis le
bombardement de l'OTAN en 1999. Alors qu'autrefois la Yougoslavie était
le pays où les Roms bénéficiaient du plus de droits, aujourd'hui
et plus précisément depuis que la majorité albanaise et
les Nations Unies (UNMIK) administrent la région, leur situation s'est
sérieusement aggravée.
En effet, depuis Juin 1999, les Roms ainsi que toutes les autres minorités
du Kosovo (Serbes, Ashkaeli, Egyptiens, Bosniaques, Gorani, et juifs) ont tous
été la cible de violence ethnique, à savoir, attaques à
la grenade, mines antipersonnel, tir à bout portant et incendie volontaire.
On estime à plus de 3.000 le nombre de victimes Roms qui ont perdu la
vie dans ces circonstances. La plupart des Roms ont préféré
fuir et abandonner leur maisons, maisons qui finiront par être soit occupées
ou détruites par les nouveaux conquérants. Au jour d'aujourd'hui,
aucune des 14,000 maisons incendiées ayant appartenu aux Roms n'a été
reconstruite. Plus de 75 % de la population rom d'avant 1999 est dispersée
sur plus de 20 pays d'Europe orientale, centrale et occidentale, sans le moindre
espoir de retour ou de recevoir le statut permanent de réfugié
ou d'asile politique dans les pays où ils se trouvent présentement.
Les 25 % qui sont restés ou qui ont osé retourner au Kosovo vivent
au jour le jour, ne bénéficiant que d'une aide minimale de la
communauté internationale. Pristina, la ville principale du Kosovo, maintenant
le fief des Albanais, est devenu une zone interdite aux Roms. Parlant plus volontiers
serbe qu'albanais, les Roms ont dû se réinstaller dans ou à
proximité des enclaves serbes. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés
des Nations Unies (UNHCR), la situation des Roms reflète celle des Serbes
avec des perspectives de développement économique très
limitées et une pauvreté grandissante résultant directement
de leur liberté de mouvement sérieusement restreinte.
Le camp de Plemetina est situé en dehors de la municipalité d'Obilic,
dans une zone industrielle sans le moindre accès à des transports
publics vers les centres urbains voisins. Le coin est absolument sinistre et
déprimant. Le camp a été construit le long d'une voie de
chemin de fer et derrière une centrale électrique. D'après
les posters installés par Y Agence européenne pour la reconstruction,
ce site est également le lieu envisagé par l'agence européenne
pour reconstruire les maisons en faveur des minorités. Mother Teresa,
une ONG basée à Pristina et gérée par les Albanais,
administre le camp qui abrite 91 familles. Lors de notre visite, nous avons
rencontré une famille dont la mère souffrait d'une maladie cardiaque
qui nécessitait des soins à l'hôpital de Pristina. Terrifiée
à l'idée d'être soignée par les mêmes personnes
que celles qui avaient causé à sa famille la perte de sa maison,
la mère préférait rester au camp. Nous l'avons découverte
agonisante sur un matelas avec ses quatre enfants gesticulant autour d'elle
pendant que sa jeune belle-fille de 17 ans tâchait de remédier
à la situation. VOR a pris les dispositions pour emmener la malade à
l'hôpital de Mitrovica géré par les Serbes afin qu'elle
puisse y recevoir les papiers nécessaires pour son transfert à
Belgrade où elle pourrait enfin être soignée. L'entrepôt
de Leposavic est un autre camp abritant essentiellement des Roms, situé
dans le secteur nord de Mitrovica, une cité toujours divisée par
les problèmes ethniques. La plupart des réfugiés proviennent
de la rue Fabricka, une "Mahala" de la zone albanaise située
dans la partie sud de Mitrovica qui jusqu'à juin 1999 fut le quartier
rom le plus important de la municipalité. Plus de 6-7000 familles y résidaient.
Aujourd'hui le quartier est abandonné et les maisons sont détruites.
Alors que nous étions en train de filmer ce qui restait de la "mahala",
nous avons surpris une bande de jeunes qui arrachait ce qui pouvait encore être
récupéré de ces maisons en ruines. La population albanaise
et la direction municipale continuent de s'opposer au retour de la population
rom, ashkaelia, ou égyptienne dans la "Mahala." Gusani Skender,
le directeur de l'entrepôt de Leposavic, est très tracassé
car depuis le 12 décembre dernier, le camp ne bénéficie
plus d'aucune aide. Caritas et ACT, deux ONG qui géraient le camp jusqu'alors
n'ont pas renouvelé leurs engagements. 200 personnes y vivent : 39 familles,
3 Egyptiennes, un Serbe et 35 Roms.
Alors que nous étions à Skopje, nous nous sommes un jour arrêtés
dans un petit restaurant du coin pour casser la croûte. Le propriétaire
était un Gorani du Kosovo qui avait fui sa terre natale en juin 1999.
Une semaine plus tard, alors que nous nous retrouvions dans le même quartier,
nous décidons d'y retourner pour prendre un café. C'était
Bajram, une fête musulmane. A cette occasion, et en l'honneur des morts,
les musulmans sacrifient un mouton pour la paix. Le patron se tenait là
debout avec son père, en face du restaurant. Dès qu'il nous aperçut,
il nous accueillit chaleureusement. Bien que le restaurant fut fermé,
il nous fit entrer et nous servit. Il refusa qu'on paie parce que c'était
un jour férié. Mais il tenait surtout à montrer à
Sani que la guerre n'avait rien changé entre eux.
L'ombudsman (médiateur) du Kosovo, Marek Antoni Nowicki, est certainement
le fonctionnaire le plus honnête que nous ayons interviewé. Il
n'a essayé ni de nier les conditions de vie que les Roms doivent endurer
ni d'embellir leur situation. "Quand on parle de la population rom, la
situation est extrêmement mauvaise... et ici il y a des éléments
supplémentaires qui la rendent encore pire... leur liberté de
mouvement très réduite a de sérieuses répercussions
sur tous les aspects de la vie courante - accès à l'emploi, soins
médicaux, écoles, et tous les services publics en général"
a-t-il déclaré. La question de l'immunité de la présence
internationale au Kosovo a été largement commentée. Il
est particulièrement ironique de constater, alors que la responsabilité
principale de la présence internationale déployée au Kosovo
devrait être consacrée à "établir un environnement
sûr dans lequel réfugiés et personnes déplacées
peuvent rentrer chez eux sans danger", la plupart des plaintes que l'ombudsman
a reçues ont trait à l'appropriation et l'occupation prolongée
par la KFOR et l'UNMIK de biens privés appartenant à des résidents
du Kosovo, ainsi qu'à l'impossibilité d'obtenir une indemnisation
pour l'occupation de ce bien immobilier. Comme le personnel aussi bien de la
KFOR que de l'UNMIK, y compris le personnel recruté localement, est à
l'abri de tout recours légaux afférents à leurs actes dans
l'exercice de leurs fonctions, l'ombudsman n'a aucun recours en face de ces
violations. Bien que Nowicki ait soumis le problème au Secrétariat
général des Nations Unies, alléguant que les statuts, privilèges
et immunités de la KFOR et de l'UNMIK ainsi que de leur personnel au
Kosovo (UNMIK Régulation n° 2000/47) sont incompatibles avec les
normes internationales en la matière ainsi qu'avec la Convention européenne
des droits de l'homme, sa plainte, déposée en avril 2001, est
restée jusqu'à ce jour sans réponse.
Selon l'Organisation internationale pour la migration (IOM) la grande majorité
des Albanais (184.074 au 31 décembre 2002) du Kosovo qui ont fui en 1999
sont retournés chez eux, bénéficiant même d'une aide
pour se réinstaller et se réintégrer. Mais près
de quatre ans plus tard le retour des minorités ethniques laisse toujours
à désirer. Au 31 Janvier 2003, selon les chiffres de l'UNHCR,
seules 6.226 personnes appartenant à des minorités ethniques sont
retournées au pays. Compte tenu que le nombre de minorités ayant
fui après le bombardement s'élève à 230.000, cela
représente à peine 3 %. La majorité (56,4 %) d'entre eux
sont serbes et seulement 10,4 % (645) sont roms.
Plusieurs pays donneurs d'asile viennent d'annoncer leur intention de commencer
au printemps 2003 le retour en masse de minorités ethniques sur le Kosovo.
L'Allemagne envisage par exemple le retour forcé de 30,000 réfugiés.
La communauté internationale est alarmée par cette nouvelle directive
et ses acteurs ne semblent pas tous d'accord sur la façon d'aborder le
problème. Selon l'ombudsman, il vaudrait mieux convaincre les gouvernements
de suspendre cette directive parce que les conditions ne sont pas réunies
pour recevoir un tel afflux de déportés et la situation sécuritaire
des minorités présentement au Kosovo continue d'être une
préoccupation majeure.
La position de l'UNHCR est plus mitigée. Bien qu'ils disent que les minorités
devraient continuer à bénéficier de la protection internationale
dans les pays donneurs d'asile, l'UNHCR pousse à ce que les retours ne
puissent être envisagés que sur une base volontaire et avec une
intégration assistée afin de garantir la survie économique
des déportés. L'UNMIK est plus pragmatique. "Avec la communauté
de la minorité et de la majorité nous pouvons créer une
fenêtre d'opportunités afin de permettre le retour des réfugiés"
a déclaré Peggy L. Hicks, directrice du Bureau des retours et
des communautés dans une interview.
Récemment nommée, la bureaucrate de Washington a de l'expérience
en la matière puisque elle a été transférée
de Bosnie directement sur le Kosovo. Hicks a en effet déjà mis
la main sur un budget de 32 millions € et a un plan en tête. Convaincue
que les problèmes de sécurité se sont améliorés
à certains endroits, elle prévoit de commencer un programme de
rapatriation en priorité dans ces localités. Elle a également
l'intention de travailler avec les municipalités locales et de conditionner
la reconstruction des ponts et des routes au retour et à l'embauche de
minorités ethniques. Elle a par ailleurs demandé une aide financière
pour améliorer la réintégration des familles quand elles
reviennent afin d'encourager d'autres à faire de même. La nouvelle
s'est vite propagée dans la communauté humanitaire. Les ONG multiplient
depuis les contacts et les efforts afin de s'assurer une part du nouveau business.
Une lueur d'espoir brillerait-elle à l'horizon pour la communauté
rom et les autres minorités qui pourraient enfin recevoir un peu d'assistance
en compensation de toutes les souffrances infligées à leurs peuples ?
Restons prudents et attendons de voir si les crédits se confirment et
si les stratégies mises en place permettent à l'aide de bien parvenir
à leurs destinataires.
En attendant, "Vous rendez vous compte de la façon dont les minorités
doivent vivre ici ?" m'a demandé un jour Dragan, le propriétaire
d'un restaurant où nous avions l'habitude de manger dans l'enclave serbe
de Laplje Selo. "Nous sommes comme des animaux en cage" a-t-il ajouté
avant de me faire l'offre suivante : "Je vous invite chez moi aussi longtemps
que vous le souhaitez, mais je veux que vous disiez au monde à quel point
nous souffrons ici."
Si vous souhaitez rencontrer Dragan, et vous rendre compte par vous-même
des conditions horribles dans lesquelles vivent les minorités ethniques
du Kosovo, quatre ans après le bombardement de l'OTAN, participez cet
été à la délégation internationale des inspecteurs
pour la paix au Kosovo. Vous visiterez des camps et des enclaves, vous rencontrerez
les leaders de toutes les minorités ethniques ainsi que les porte-paroles
des organisations gouvernementales et non-gouvernementales.
Pour plus d'informations sur le voyage, vous pouvez contacter l'auteur à
: peaceinspectorstoKosovo@yahoo.com.
Marie-Pierre Lahaye.