9 août 2015
Lors de la "Journée Hiroshima" du 9 août 2015 à l'U.Mons, la CNAPD était invitée à présenter la Plate-Forme contre le renouvellement des avions de chasse, ses objectifs et ses activités. Ci-dessous, de larges extraits de l'intervention de Guillaume Defossé, président Cnapd.
[...] S'il y a 17 000 têtes nucléaires de par le monde, la Belgique, pourtant signataire du traité de non-prolifération en possède une vingtaine sur son territoire, dans la base de Kleine Brogel que beaucoup d'entre vous connaissent bien pour avoir tenté d'y pénétrer lors des actions de la campagne Bomspotting. La présence de ces bombes américaines chez nous s'inscrit dans la stratégie nucléaire de l'OTAN et implique donc que la Belgique doit être capable de transporter ces bombes et de les larguer sur une cible. Pour ce faire, le gouvernement a besoin d'avions de chasse. C'est donc bien ici l'argumentation que nous entendons régulièrement.
Or, nos actuels chasseurs bombardiers, les F16 achetés dans les années 70 arrivent progressivement en fin de vie. Ils devraient encore tenir jusque 2023-2028 avant d'atteindre leur nombre maximum d'heures de vol.
Et c'est là que la question se pose : faut-il remplacer nos avions de chasse ? Pour les deux derniers gouvernements, la réponse était et est clairement oui. Pour la CNAPD et pour plus d'une centaine d'associations avec elle, la réponse est clairement non. Et je vais donc vous exposer les arguments qui fondent le lancement de la campagne #pasdavionsdechasse.
Mais j'aimerais auparavant, et parce que nous sommes encore malgré tout une démocratie, poser la question : la population belge veut-elle de nouveaux avions de combat? Est-elle demandeuse ?
Un sondage de l'Institut flamand pour la paix en partenariat avec l'Université d'Anvers datant de l'année dernière soulignait que la population belge n'est pas enthousiaste à cette idée. Seul un Belge interrogé sur quatre souhaiterait que notre pays achète de nouveaux avions, tandis que près de la moitié des sondés s'y oppose. Il y a donc deux fois plus d'opposants que de partisans. Mais, il est très frappant de constater que le dernier quart des interrogés n'a tout simplement pas d'avis sur la question. Cela indique le manque d'informations aujourd'hui disponibles pour permettre à chacun de s'exprimer sur la question. Cela veut dire qu'il faut absolument mener le combat médiatique d'information aux citoyens. Parce qu'aujourd'hui, ce que nous entendons dans la bouche des Denis Ducarme et autres, c'est une propagande bien rodée que nous devons pouvoir démonter point par point. Et donc, commençons :
1. Combien cela va-t-il nous coûter et avons-nous les moyens financiers d'acheter de nouveaux avions de chasse?
Il est difficile d'établir le prix exact de ces avions. Si nous prenons le F35 qui reste encore aujourd'hui le choix le plus probable du gouvernement, les Pays-Bas ont décidé d'acheter 37 de ces avions pour une somme de 4,5 milliards d'euro. Nos voisins faisant partie du programme de développement de cet avion, ils bénéficient d'un prix avantageux. En outre, la Cour des comptes néerlandaise a estimé que le prix de l'exploitation de ces avions s'élèverait à 7,5 millions d'euro par avion. L'ancien ministre de la Défense Pieter De Crem, grand atlantiste et hautement désireux de prendre la tête du secrétariat général de l'OTAN avait exprimé à l'époque sa préférence pour l'achat de 40 F-35. Sur base des chiffres du dossier néerlandais, la facture en Belgique s'élèverait donc à 6 milliards d'euro plus l'entretien. Or, conclave budgétaire après conclave budgétaire, notre pays s'enfonce de plus en plus dans l'austérité et on coupe des budgets un peu partout dans le social, la santé, etc. Sauf que ces dernières semaines, on entend que si le budget de l'armée diminue fortement cette année, ce n'est pas moins que son triplement à terme que le Ministre de la Défense envisage pour les prochaines années.
La Belgique n'a donc pas les moyens d'acheter ces nouveaux avions. Dépenser des milliards dans l'achat de nouveaux avions de combats dans un contexte d'effort budgétaire et de besoins sociaux et environnementaux pressants est tout à fait irresponsable.
2. Alors, on nous avance souvent l'argument du « retour sur investissement » pour l'économie belge. D'ailleurs, Denis Ducarme le répète inlassablement : il y aura retour sur investissement, création d'emplois et compensations économiques.
Actuellement, il n'existe aucune étude sérieuse sur les éventuelles retombées économiques de cet achat. En ce qui concerne le nombre d'emplois créés pour la production et la vente de composants, la Belgique, contrairement aux Pays-Bas, a pris la décision de ne pas participer au développement des avions de chasse F-35, ni dans aucun autre de ses concurrents. Dans ce dossier, les entreprises belges ne peuvent donc pas prétendre à une participation industrielle. Le Gouvernement belge ne peut choisir qu'un avion « prêt à l'emploi ». Les éventuelles compensations ne seraient donc qu'indirectes, telles que le développement du secteur de l'aviation, du transfert de technologie, l'entretien du matériel, etc. Selon une note de l'Institut flamand pour la paix publiée le 2 juin 2014, les éventuelles compensations économiques pour l'achat de nouveaux avions de combat ne peuvent quoi qu'il arrive pas être estimées sur la base d'une simple comparaison avec la rémunération antérieure pour l'achat de F-16 pour la construction desquels nous étions partenaires. Enfin, il est important de faire la distinction entre le « retour sur investissement » pour les entreprises et celui pour la société en général. Cette dernière ne profitera pas nécessairement de la plus grande partie de ces compensations économiques. En conclusion, je répondrais à Monsieur Ducarme que si le gouvernement a vraiment 6 milliards d'euro à dépenser pour créer de l'emploi, qu'il nous les donne, nous avons plein d'idées.
3. Le troisième argument qu'on nous ressert très souvent, c'est celui de la contribution de la Belgique à un monde plus en paix. En effet, et ce n'est pas une blague, on nous explique qu'en soutenant la capacité d'intervention militaire, les avions de chasse contribuent à la paix et à la stabilité.
Alors petit rappel quand même, les Nations-Unies soulignent à juste titre que les plus grandes menaces à la paix et à la stabilité ne relèvent pas du domaine militaire. En effet, une réponse militaire à l'extrême pauvreté, à la famine, à la distribution inégale des richesses, aux effets du changement climatique ou à la pénurie d'eau serait insensée, contre productive et même dangereuse. Les interventions militaires et l'utilisation des avions de guerre n'ont jamais apporté la paix et la stabilité. [..]
Qui plus est, toute intervention militaire pousse d'autres cibles potentielles à s'armer pour dissuader un attaquant, et si nécessaire pour repousser une attaque. Chaque nouvelle intervention encourage donc indirectement une course à l'armement et éloigne toujours plus le traitement des véritables causes de la violence et des guerres. Enfin, les interventions militaires sont très coûteuses: les guerres en Irak et en Afghanistan ont coûté entre 4 et 6 milliards de dollars.
Oui mais alors sans nouveaux avions, qu'en est-il de la crédibilité de la Belgique à l'étranger et de sa contribution à la paix et à la sécurité internationales?
Sur base des exemples que je viens de citer, il est très douteux de défendre que l'utilisation de nouveaux avions de combat par tous puisse contribuer à la paix et la sécurité internationales. Les moyens nécessaires à cet achat peuvent être utilisés au niveau international par la Belgique de façon beaucoup plus efficace afin que celle-ci apporte une réelle contribution à la paix et à la stabilité. Ces missions peuvent être l'investissement dans des tâches de désarmement après un accord de paix, de déminage ou d'assistance humanitaire. Il est frappant de constater que la Belgique a décidé de mettre fin à sa mission de déminage au Liban alors que de l'avis unanimement partagé, nous y étions très efficaces. Il y a en outre un manque chronique de ressources pour l'accueil des réfugiés dans les pays voisins de conflits. L'insécurité due au changement climatique peut être affrontée plus efficacement en investissant dans les alternatives bien connues. La Belgique pourrait aussi contribuer à la réalisation des nouveaux Objectifs du Millénaire, annoncés pour septembre, comme l'éradication de la pauvreté et de la faim, le traitement des maladies telles que le paludisme, etc. Au niveau national, le coût des nouveaux avions de chasse pourrait par exemple régler le problème de logement ou le manque de moyens chronique de l'enseignement ou la fin des exclusions du chômage.
Les raisons sont innombrables pour commander un grand débat de société sur la façon dont la Belgique pourrait mieux s'équiper et investir pour faire face aux grands défis en matière de paix et de sécurité. Il est urgent que les objectifs de paix et de sécurité ne reposent plus sur des réponses militaires. [..]
Le stationnement d'armes nucléaires américaines en Belgique est une violation du Traité de non-prolifération. Avec cette violation, la Belgique – comme les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Italie et la Turquie – reste un partenaire de premier plan du programme d'armes nucléaires des États-Unis, intégré à la politique nucléaire de l'OTAN. Selon le concept stratégique de l'OTAN, les armes nucléaires forment en effet la pierre angulaire de la défense de l'Alliance. Dans le cadre de ce « partage » nucléaire, le rôle des F16 belges est de transporter les bombes B61 qui se trouvent à Kleine Brogel. Le gouvernement américain a décidé de moderniser les bombes nucléaires qui sont stationnées en Europe. La nouvelle B61 serait alors plus précise « grâce » à son système de guidage par queue. Cette modernisation devrait coûter 10 milliards d'euro. Les premières bombes de ce type arriveraient en Belgique en 2019 ou 2020. Seul le F-35 est actuellement admissible pour le remplacement des F-16, parce qu'il permettrait de prolonger la capacité nucléaire des actuels avions de chasse sans frais supplémentaire. En théorie, tout avion est adaptable afin de pouvoir transporter les bombes nucléaires B61. Toutefois ces ajustements sont très coûteux et ne semblent pas vraiment envisagés pour le moment. D'autant plus que les constructeurs seraient assez réticents à partager leurs secrets technologiques pour pouvoir combiner leurs systèmes.
On en a parlé à l'instant, le mouvement de la paix s'oppose depuis des années à la présence d'armes nucléaires en Belgique, mais aussi dans le monde. Les armes nucléaires sont une violation flagrante et profonde du droit international et peuvent provoquer des conséquences humanitaires catastrophiques. Je dois vous dire qu'à titre personnel, je suis profondément en colère quand j'entends nos ministres, nos représentants défendre la capacité nucléaire des avions de chasse. Parce que ça veut réellement dire quoi ? Ca veut dire qu'en 2015, ils envisagent sans trembler qu'un jour, sur ordre de l'OTAN, notre pays arrime une bombe nucléaire à un avion, la transporte jusqu'à une cible déterminée et la largue sur des hommes et des femmes, tuant et blessant indistinctement, provoquant des maladies incurables pour des dizaines d'années et ravageant des territoires très étendus. En conclusion, notre gouvernement envisage sereinement de commettre un jour un crime de guerre. [..]