Georges Berghezan
15 décembre 2015
L'OTAN a invité, le 2 décembre, le Monténégro à entamer des négociations d'adhésion à son organisation. Ainsi, probablement en 2018, après achèvement de ces pourparlers et ratification de l'accord conclu par les parlements nationaux, l'appartenance de ce petit pays balkanique à la plus grande alliance militaire de la planète sera effective.
Si le Monténégro possède un port important sur l'Adriatique, il ne risque pas, en raison de sa taille et de sa population (650.000 habitants), de devenir un poids-lourd de l'organisation atlantiste. Mais ce nouvel élargissement, à un 29 ème membre, appelle diverses remarques et questions.
Il faut d'abord noter que, en avalant le Monténégro, l'OTAN contrôlera tout le nord et le nord-est de la Méditerranée, de Gibraltar à la frontière syrienne : tous les Etats européens méditerranéens et la Turquie sont maintenant en voie d'être membres de l'Organisation.
Ensuite, bien que son Secrétaire général, Jens Stoltenberg, ait loué son « engagement inébranlable à nos valeurs communes », le Monténégro a bien du mal à ressembler à une démocratie dans le sens habituel du terme. Le pays est dirigé, depuis plus d'un quart de siècle, par le même homme, Milo Djukanovic, qui alterne les postes de premier ministre et de président afin de donner l'illusion d'un respect de la constitution. Devenu tour à tour allié puis ennemi du dirigeant serbe, Slobodan Milosevic, renversé en 2000, il a ensuite eu des relations difficiles avec les gouvernements pro-européens qui se sont succédés à Belgrade. En 2006, il a enfoncé le dernier clou du cercueil de la fédération yougoslave en proclamant l'indépendance de sa république. Une indépendance plutôt formelle puisque la monnaie officielle y était, depuis 1999, le deutsche mark puis l'euro.
Pendant des années, Djukanovic a été un des animateurs principaux de la contrebande européenne de cigarettes, de cheville avec la Sacra Corona Unita, une des mafias italiennes. Sa longévité au pouvoir et son immunité en tant que chef d'Etat lui ont permis d'échapper à un mandat d'arrêt de la justice italienne. Mais il n'est dès lors pas étonnant que le Monténégro demeure un havre de la corruption et du crime organisé et le centre de nombreux trafics, de la drogue à la prostitution. Paradis des mafieux, le pays ne l'est pas pour la liberté de la presse, les journalistes les plus gênants connaissant souvent une fin tragique.
Protestations massives
Mais il semble que le règne de Djukanovic et de son Parti démocratique socialiste touche à leur fin : depuis plusieurs semaines, des manifestations massives et parfois violentes se tiennent dans la capitale du pays, Podgorica. Si nombre de manifestants sont révoltés par la pauvreté et la stagnation de leur économie, l'opposition à l'OTAN a été aussi un des moteurs des mobilisations. Le 12 décembre, plusieurs milliers de personnes ont manifesté contre cette adhésion et en faveur d'un référendum sur la question, certaines d'entre elles déclarant que, dans le cas contraire, l'adhésion à l'OTAN serait considérée comme une « occupation étrangère » et le signal d'une « insurrection armée ».
Pourtant, il est à craindre que ces avertissements ne suffiront pas à imposer un référendum : tous les sondages ont montré qu'une majorité de citoyens dirait « non à l'OTAN », notamment parce qu'ils n'ont pas oublié qu'en 1999 le pays a subi les frappes atlantistes. Même si les bombardements y ont été plus légers qu'en Serbie, ils ont quand même occasionné leur lot de victimes civiles. D'autre part, une grande partie de la population monténégrine se dit « ethniquement » serbe et partage, avec une écrasante majorité de leurs « frères » de Serbie, une même aversion pour l'OTAN.
Par ailleurs, même si les autorités vendent l'appartenance à l'OTAN comme un pas vers l'Union européenne et donc une illusoire amélioration de leur qualité de vie, les Monténégrins n'ont pas grand-chose à attendre de cette adhésion. Jusqu'à présent, ce que cela leur a apporté est surtout une brouille historique avec la Russie, peu contente de voir un allié de longue date (plus de trois siècles de relations étroites !) tomber dans l'escarcelle otanienne. Moscou a annoncé des mesures de rétorsion, qui pourraient prendre la forme d'un désinvestissement massif, alors que des milliers de touristes russes viennent chaque année passer leurs vacances sur la côte monténégrine, dont de vastes portions ont été achetées par des spéculateurs et autres mafieux, également russes.
Reste à voir si, en cas de victoire de l'opposition aux prochaines législatives, prévues en octobre 2016, le nouveau gouvernement aura le courage de stopper le processus d'adhésion et rejoindre la ligne de neutralité militaire, encore actuellement prônée par la Serbie, dans la tradition de l'ancienne fédération yougoslave.