Ben Cramer
13 novembre 2015
L’empreinte carbone des guerres fait encore et toujours partie des vérités qui dérangent. Le sujet est aussi tabou que la journée mondiale de la paix durant laquelle les Français préfèrent célébrer la journée internationale de lutte contre Alzheimer ! Les plus grands contributeurs de gaz à effet de serre, donc, les plus gros émetteurs du monde (dans l’ordre : Chine, Etats-Unis, Inde) sont aussi les Etats les plus militarisés.
Si l’on ajoute l’UE, ce sont plus de 50% des émissions qui émanent des poids lourds de la quincaillerie nucléaire (en excluant la Russie). Toutefois, les émissions des entreprises du complexe militaro-industriel ne sont comptabilisées nulle part, et ne figurent dans aucune page de la vaste littérature des experts du GIEC. Le principe ‘pollueur-payeur’ s’applique aux entreprises du secteur du transport comme l’automobile et non pas au secteur militaire. Pourquoi ? La réponse se niche dans les méandres du désarmement où les tricheurs disposent d’armes de corruption massive. En effet, les plus gros pro-ducteurs de mines n’ont pas adhéré à la Convention d’Ottawa. Les Etats qui détiennent le plus de munitions nucléaires opérationnelles bénéficient d’une impunité nucléaire (militaire). Pour le climat, c’est un peu pareil : lors des négociations sur l’accord de Kyoto, les Etats-Unis ont imposé une clause précisant que les opérations militaires qu’ils mèneraient dans le monde entier et celles auxquelles ils participeraient avec les Nations Unies ou l’OTAN seraient intégralement exemptées de toute obligation de mesure ou de réduction. Un cadeau pour le Pentagone, premier consommateur mondial d’énergies fossiles, et qui assure les deux tiers du tonnage transporté sur les champs de bataille. Et tout le monde oublie, y compris dans les ONG comme le Réseau Action Climat (RAC) que l’aviation militaire avale un quart de la consommation mondiale du kérosène. Nos climatologues scrutent les activités humaines, sauf celles qui sont liées de près ou de loin aux uniformes, aux forces armées. En valorisant le traitement différencié (une idée française), on a confondu les Etats qui ont semé le chaos en allumant les principaux brasiers meurtriers du 20ème siècle et (tous) les autres ! Pourtant, un tiers des pays les plus riches est responsable de la moitié des guerres au siècle passé.
L’argent, le nerf de la guerre
Si la crise climatique est une arme de destruction de masse au même titre que les autres comme le sou-tient le président de Nauru, les riches de l’hémisphère du Nord ne vont pas casser leur tirelire pour s’en prémunir. Ils préfèrent dramatiser à leur tour. Tandis que Kiribati, Tuvalu, les Iles Marshall et les Maldives crient au secours, les Etats-Unis en rajoutent. Au moment des négociations à Lima, un rap-port du Pentagone nous apprenait que «Le changement climatique va nuire à la capacité du Départe-ment (de la défense) à défendre la nation et pose des risques immédiats pour la sécurité nationale des Etats-Unis». Un moyen comme un autre de justifier de nouveaux crédits. Mieux encore : une façon de prévenir que sacrifier le moindre kopeck de leurs dépenses militaires n’est pas à l’ordre du jour. Les donateurs du Nord, généreux donneurs de …leçons, ne se bousculent donc pas pour alimenter le Green Climate Fund ou fond vert. Et pourtant, il suffirait de consacrer un milliard de dollars pour met-tre à niveau les services météos des Etats africains, selon une estimation de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) Le prix payé par les Etats-Unis pour instruire et former l’armée afghane est 26 fois plus élevé.
Le bon sens voudrait que chacun cotise pour le Fonds Vert en fonction de son degré d’armement (ou de surarmement). Pourtant, nul au sein des ONG comme ATTAC ne va chercher à constituer, à partir d’une ta-xation sur certaines dépenses militaires, ou sur le trafic d’armes lourdes, un fonds capable de venir en aide aux réfugiés, même si ces "déplacés environnementaux" paient le prix fort. Ni un fonds pour former des civils à la décontamination des terrains plombés par les manœuvres et entraînements, une idée inspirée par José Bové ; ni un fonds pour soutenir les citoyens qui méritent protection et répa-ration parmi les lanceurs d’alerte.
Les vraies menaces
Compter sur l’ONU n’est-il pas un pari dépassé ? Les Etats ne sont pas les acteurs auxquels les peuples (reconnus ou non par l’ONU), la majorité des exclus, des indignés peuvent se fier pour infléchir la courbe des dérèglements. D’autant plus que les principales menaces qui pèsent sur la planète, outre le changement climatique, sont l’inégale répartition des ressources, la marginalisation de la majorité du monde et la militarisation. (pas seulement justifiée par les soubresauts du climat). Certes, tout ne dépend pas des Etats, les acteurs territoriaux et les ONG seront de la partie avec le forum alternatif de Montreuil (qui aurait été plus efficace à Saint-Denis) et le Grand Palais. Les militaires s’invitent aussi. On peut se réjouir de cette ouverture, mais le temps long des militaires va se cogner au temps court des échéances électorales de la classe politique.
Avis à ceux qui veulent ou voudraient «changer le système plutôt que le climat», en référence au dernier livre de Noël Mamère et Patrick Farbiaz (ed. Flammarion, 2015), un slogan qui remonte à Copenhague 2009, les foires d’empoigne ne font que commencer. La conflictualité est dans l’air du temps. En se privant d’une grille de lecture pacifiste de la COP21, une majorité d’ONG et de partis politiques…risque d’oublier que les dérèglements à venir constituent une aubaine, un boulevard, pour ceux, les spécialistes du chaos qui, au nom du maintien d’un certain ordre…pourront miser sur l’ingérence écologique.