Yves-Jean Gallas
25 janvier 2018
Dès sa campagne électorale, Emmanuel Macron a annoncé son intention de relancer l’Union Européenne (UE), selon lui en panne, au moyen du développement de l’Europe de la Défense. On a pu voir ensuite tous les signes manifestes de sa volonté de militariser sa fonction et sa politique au travers de discours et de symboles. Cette intention a été réaffirmée à la suite des premiers propos de Donald Trump contre l’OTAN. Il faut noter que les déclarations de D. Trump qui ont suivi sont revenues largement sur leur contenu initial en précisant que c’était le coût de la défense en Europe qui était en cause. Les États-Unis ont ensuite déployé de nouvelles troupes en Europe, principalement en Europe Centrale et Orientale.
L’idée d’une armée européenne et d’une Europe de la Défense a émergé très vite après la seconde guerre mondiale et la mise en place des premières structures interétatiques dans la logique du traité de Paris de 1951, au même titre que la CECA (Communauté européenne du charbon et pour l’Acier) de 1952. La question du réarmement de l’Allemagne avait été à cette époque au cœur du débat. Le Mouvement de la Paix avait alors mené campagne pour s’opposer à ce projet.
On ne peut pas disjoindre les accords franco-allemands concernant la Défense d’une remise à jour annoncée récemment par E. Macron et A. Merkel du Traité de l’Élysée, signé par C. de Gaulle et C. Adenauer en 1963, instituant les bases politiques de l’amitié entre les deux peuples et de leur coopération.
Dans sa version actuelle et dans son évolution future proposée, l’Europe de la Défense repose fortement sur la coopération entre la France, la Grande Bretagne et l’Allemagne.
Cette dernière est en train de s’aligner sur le diktat Otanien et de passer d’ici à 2 ou 3 ans de 1,2% du PIB à 2%. Business is business, elle a conditionné sa participation à ce processus d’intégration à l’augmentation de sa part dans l’industrie de la Défense.
L’Europe de la Défense concerne à la fois les opérations militaires mobilisant des armées de nations différentes (terre, mer et air) et l’intégration européenne de l’industrie d’armement (comme Nexter pour les chars mais aussi des aéronefs, des drones, tous véhicules terrestres, des navires, du porte-avions aux sous-marins …), le tout dans le cadre de l’OTAN.
L’’intégration européenne des industries d’armement est devenue un objectif essentiel. Celles-ci représentent un secteur très juteux. L’Allemagne s’est placée plus tardivement sur ce marché mais son développement est rapide. La France en a fait un secteur florissant de son commerce extérieur. Elles sont en concurrence directe avec leurs équivalentes étatsuniennes, au nom de l’interopérabilité, mais les cahiers de charges établis par l’OTAN favorisent les entreprises étatsuniennes et excluent de fait certains fabricants d’autre pays.
Avec le Royaume Uni
La coopération militaire de la France avec le Royaume-Uni est active au travers de 4 traités bilatéraux. Elle concerne notamment des recherches sur le nucléaire militaire et plus récemment sur des équipements comme des drones, mais elle comprend aussi des actions sur le terrain comme l’envoi d’hélicoptères Chinook en soutien de l'opération Barkhane menée par la France au Sahel (sommet franco-britannique à l'académie militaire de Sandhurst du 19 janvier 2018). La présence franco-britannique en Estonie sera également renforcée. Avec le Brexit, ces accords sortent certes de l’Union Européenne mais pas de l’Europe !
Avec l’Allemagne
La question du partage par la France de son armement nucléaire avec l’Allemagne n’est plus aussi tabou que cela l’a été jusqu’à aujourd’hui. Sa faisabilité a même été étudiée par le Parlement allemand dans l’hypothèse d’un désengagement étatsunien en Europe.
Mais actuellement les accords franco-allemands concernent surtout l’aviation. Dans le cadre du commandement européen du transport aérien (EATC), la base aérienne d'Évreux (BA105), dans l'Eure, va accueillir à l'horizon 2021 la première unité aérienne binationale franco- allemande pour exploiter ensemble des appareils de transport tactique Lockheed C-130J en attendant l’Airbus A400M. Les installations sont en cours. La coopération en matière de transport aérien est présente au Sahel, en bilatéral (opérations Barkhane et MINUSMA), et pourrait doubler dans un avenir proche.
Un projet franco-allemand d’un chasseur bombardier susceptible de remplacer l’Eurofighter Typhoon et à terme le Rafale est en cours de discussion. Cela pourrait avoir aussi des conséquences sur le résultat de l’appel d’offre de la Belgique pour remplacer ses anciens F16.
Des engagements au sol au Sahel ne sont pas à exclure dans le cadre de la brigade franco- allemande.
Tutelle directe de l’Otan
Ces accords bilatéraux se placent évidemment sous la tutelle de l’Otan du fait de l’intégration des moyens militaires de toute nature et de la mutualisation des coûts. On ne peut pas séparer ces deux réalités.
Pour en tester l’efficacité, l’Otan multiplie en Europe des manœuvres sur plusieurs territoires nationaux impliquant des unités transnationales. C’est aussi un des objectifs de l’unité plurinationale prépositionnée en Estonie : elle est composée de troupes venant de plusieurs pays en plus de la France et du Royaume Uni. Des regroupements similaires sont faits en dehors de l’Europe, notamment en Afrique, à Djibouti et à Abou Dhabi.
L’expérience des manœuvres militaires en Europe a montré que de multiples problèmes pratiques rendaient difficiles des interventions plurinationales sur les territoires successifs de plusieurs pays. Les passages des frontières ne sont pas aussi fluides que souhaités, certaines routes ou voies ferrées ne permettent pas un accès assez rapide vers un point jugé stratégique, certains ponts risquent de s’effondrer sous le poids des chars, etc. Selon l’OTAN, il faut donc que les pays européens améliorent leurs infrastructures : un nouveau programme européen, la PESCO, « Coopération structurelle permanente », a été adopté par 25 pays au sein de l’Union Européenne pour « éliminer de nombreux obstacles administratifs » et pour encadrer la mise en œuvre de la réalisation de ces conditions concrètes par chaque pays, à leurs frais bien sûr. Cela se fera sous la supervision de deux nouveaux commandements de l’OTAN : un commandement pour aider à protéger les routes de communication maritimes entre l’Amérique du Nord et l’Europe et un autre commandement pour améliorer le mouvement de troupes et d’équipements au sein de l’Europe, vers sa frontière est évidemment. Là encore, l’OTAN décide et l’UE exécute.
On peut le voir, la militarisation de l’Europe, et plus particulièrement de l’Union européenne, est en marche forcée rapide. La France d’E. Macron en est un des moteurs. Les incertitudes sur le fonctionnement de l’Otan amènent les pays européens à se doter de structures qui, à terme, pourraient permettre de se passer, au moins partiellement, du joug étatsunien.
Cette militarisation de la société fait planer de graves dangers sur le monde entier, en Europe mais aussi dans toutes les régions du monde, notamment en Extrême Orient. Actuellement, une Europe de la Défense ne peut être qu’un masque derrière lequel l’OTAN, donc les États- Unis, resterait prédominant : une politique mondiale de la paix et de la Sécurité réelle ne saurait exister en dehors des Nations Unies et dans les conditions de sa Charte.
La militarisation de la société agit contre la paix et la démocratie, la lutte contre elle est une priorité qui exige la mobilisation de toutes les forces de Paix au niveau international.
Yves-Jean Gallas
Le Mouvement de la Paix
25 janvier 2018