Manlio Dinucci
19 juin 2018
Les projecteurs politico-médiatiques, focalisés sur les flux migratoires Sud-Nord à travers la Méditerranée, laissent dans l’ombre d’autres flux : ceux Nord-Sud de forces militaires et armes à travers la Méditerranée. Ou plutôt la “Méditerranée élargie”, aire qui, dans le cadre de la stratégie USA/Otan, s’étend de l’Atlantique à la Mer Noire et, au sud, jusqu’au Golfe Persique et à l’Océan Indien.
Dans sa rencontre avec le secrétaire de l’Otan Stoltenberg à Rome, le Premier ministre Conte a souligné la “centralité de la Méditerranée élargie pour la sécurité européenne”, menacée par “l’arc d’instabilité allant de la Méditerranée au Moyen-Orient”. D’où l’importance pour l’Otan, alliance sous commandement USA que Conte définit comme “pilier de la sécurité intérieure et internationale”.
Renversement complet de la réalité.
C’est fondamentalement la stratégie USA/Otan qui a provoqué “l’arc d’instabilité” avec les deux guerres contre l’Irak, les deux autres guerres qui ont démoli les Etats yougoslave et libyen, et celle visant à démolir l’Etat syrien. L’Italie, qui a participé à toutes ces guerres, selon Conte joue “un rôle clé pour la sécurité et la stabilité du flanc sud de l’Alliance”.
De quelle façon ? On le comprend par ce que les médias dissimulent. Le navire Trenton de la U.S. Navy, qui a recueilli 42 réfugiés (autorisés à débarquer en Sicile à la différence de ceux de l’Aquarius), n’est pas basé en Sicile pour accomplir des actions humanitaires en Méditerranée : c’est une unité rapide (jusqu’à 80Km/h), capable de débarquer en quelques heures sur les cotes nord-africaines un corps d’expédition de 400 militaires et leurs véhicules. Des Forces spéciales étasuniennes opèrent en Libye pour entraîner et conduire des formations armées alliées, pendant que des drones armés USA, décollant de Sigonella (Sicile), frappent des objectifs en Libye. Sous peu, a annoncé Stoltenberg, opèreront aussi depuis Sigonella des drones Otan. Ils intègreront le “Hub de direction stratégique Otan pour le Sud”, centre de renseignement pour des opérations militaires au Moyen-Orient, Afrique du Nord, Sahel et Afrique Sub-Saharienne.
Le Hub, qui deviendra opérationnel en juillet, a son siège à Lago Patria, auprès du Commandement de la force conjointe Otan (Jfc Naples), sous les ordres d’un amiral étasunien -actuellement James Foggo- qui commande aussi les Forces navales USA en Europe (avec quartier général à Naples-Capodichino et la Sixième Flotte basée à Gaeta) et les Forces navales USA pour l’Afrique. Ces forces ont été intégrées par le porte-avions Harry Truman, entré il y a deux mois en Méditerranée avec son groupe d’attaque.
Le 10 juin, pendant que l’attention médiatique se concentrait sur l’Aquarius, la flotte USA avec à bord 8000 soldats, armée de 90 chasseurs et plus de 1000 missiles, était déployée en Méditerranée orientale, prête à frapper en Syrie et Irak. Ces mêmes jours, les 12-13 juin, faisait escale à Livourne le Liberty Pride, un des navires militarisés USA, embarquant sur ses 12 ponts une autre cargaison d’armes qui, depuis la base USA de Camp Darby (Pise), se trouvent envoyées mensuellement en Jordanie et Arabie Saoudite pour les guerres en Syrie et au Yémen.
Ainsi alimente-t-on les guerres qui, avec les mécanismes néo-coloniaux d’exploitation, provoquent appauvrissement et déracinement des populations. Par voie de conséquence augmentent les flux migratoires dans des conditions dramatiques, qui provoquent victimes et nouvelles formes d’esclavage. “Il semble qu’être durs sur l’immigration paye, maintenant” commente le président Trump en faisant référence aux mesures décidées non seulement par Salvini mais par tout le gouvernement italien, dont le Premier ministre est qualifié de “fantastique”.
Juste reconnaissance de la part des États-Unis, qui dans le programme de gouvernement sont définis comme “allié privilégié” de l’Italie.
Edition de mardi 19 juin 2018 de il manifesto
https://ilmanifesto.it/circuito-di-morte-nel-mediterraneo-allargato/
Traduit de l’italien par M-A Patrizio