Valérie Peclow
1 septembre 2003
En avril 1949, le Traité de l'Atlantique Nord est signé entre
les États-Unis, le Canada et dix États européens(1).
Dans les années qui suivent, l'Organisation du Traité de l'Atlantique
Nord (OTAN) prend corps.
Ce sont les temps de la Guerre Froide et de l'affrontement de deux blocs économiques,
politiques, idéologiques et militaires regroupés l'un et l'autre
autour des deux super-puissances sorties victorieuses de la Seconde Guerre mondiale.
Cinquante années durant, les États-Unis resteront aux commandes
de l'OTAN et les Européens l'accepteront comme une partie du compromis
de 1949 : la protection américaine de l'Europe en échange du soutien
européen au leadership américain dans la lutte contre l'Union
soviétique.
Le mur de Berlin s'écroule en 1989 et la principale menace à laquelle
répondait l'OTAN, le Pacte de Varsovie, disparaît. L'organisation
se retrouve face au vide et ne peut se maintenir qu'à la condition de
dépasser le cadre restreint de sa principale tâche. Assurer la
défense commune de ses États membres ne suffisant plus à
justifier son existence, l'OTAN se cherche de nouvelles missions.
Elle repense ses fonctions et ses objectifs dans un nouvel environnement où
la plupart des menaces semblent se trouver désormais hors Europe. Les
alliés décident dès 1992 que l'OTAN pourra désormais
remplir des missions militaires sous l'égide des Nations unies ou de
la Conférence pour la Sécurité et la Coopération
en Europe (2).
En se tournant vers la gestion des crises et les opérations de maintien
de la paix, l'organisation voit sa raison d'être radicalement renouvelée
et renforcée. À cet égard, la guerre en ex-Yougoslavie
représente dès 1993 une opportunité de s'imposer comme
une organisation indispensable pour la sécurité de l'Europe.
Après avoir relégitimé son existence comme force de maintien
de la paix et « bras armé de l'ONU », l'OTAN invoque la défense
des droits humains et franchit une nouvelle étape en devenant une organisation
indépendante de tout contrôle des Nations unies (3).
En 1999, l'OTAN attaque, sans mandat des Nations unies, la République
fédérale de Yougoslavie (RFY) afin de mettre fin à la répression
serbe au Kosovo. La guerre du Kosovo peut être considérée
comme le point d'orgue d'une décennie d'évolution de l'OTAN, entre
élargissement des missions et élargissement géographique,
à mettre en parallèle avec la réaffirmation incontestable
du leadership américain.
Comme l'ont déclaré conjointement le secrétaire à
la Défense W Cohen et le chef d'état-major général,
le général H. Shelton devant le Sénat américain
en octobre 1999 : « Si l'OTAN n'avait éventuellement pas répondu
à ces violations et autres actes de la RFY, sa propre crédibilité
ainsi que celle de l'implication des USA dans le monde auraient été
remises en question »(4). Le crédit des États-Unis
en tant que « gendarmes du monde » et celui de l'OTAN, leur instance
privilégiée de persuasion et d'influence sur les politiques européennes,
étaient donc perçus comme intimement liés.
Or, au cours de cette guerre, les États-Unis ont, d'une part, contrôlé
les règles d'engagement des forces de l'Alliance et, d'autre part, contourné
les structures décisionnelles de commande et de contrôle de l'organisation
pour les opérations faisant appel aux moyens américains (5).
Ainsi se sont concrètement exprimés, à la fois l'instrumentalisation
de l'organisation par les États-Unis et le désengagement de ceux-ci
vis-à-vis des contraintes liées à une structure multilatérale
jugées trop lourdes.
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis n'ont
pas mis en uvre la proposition européenne d'invoquer, pour la première
fois et pour exprimer leur solidarité, la clause de défense collective
(article 5) du Traité de l'Atlantique Nord. Ils ont choisi d'opérer
en Afghanistan en se basant sur une coalition de volontaires hors du cadre de
l'Alliance.
La marginalisation de l'OTAN dans la crise post 11 septembre et en Afghanistan
relance le débat sur l'utilité d'une organisation que certains
déclarent d'ores et déjà moribonde. Quel sens désormais
attribuer au mot « alliés » lorsque Washington, suivant son
« intérêt supérieur », privilégie les participations
à géométrie variable ?
Il est vrai que l'Europe a évolué de manière inimaginable
depuis 1949, alors que la conception américaine du pouvoir semble être
restée la même. Habitués à diriger l'agenda politique
et militaire de l'Alliance, les États-Unis semblent vouloir conserver
la même relation de maître à vassal que durant la guerre
froide. Ils voient d'un il méfiant les Européens se doter
des moyens de contribuer -à leur manière- à l'effort de
sécurité et n'envisagent pas de les impliquer dans le processus
décisionnel. Dès avant les attentats du 11 septembre, la conciliation
était déjà difficile au sein de l'OTAN, entre les intérêts
d'une Amérique de plus en plus unilatérale et globale, et ceux
d'une Europe cherchant à s'affirmer dans les domaines politique et militaire.
La crise irakienne, en mettant en exergue les divisions d'une part au sein de
l'OTAN, et d'autre part entre « ancienne » et « nouvelle »
Europe, n'a fait que renforcer le malaise. Elle a fait apparaître on ne
peut plus clairement que les nouveaux membres européens de l'OTAN, également
candidats à l'Union européenne, préfèrent la dépendance
à l'égard des États-Unis en matière de sécurité
à l'autonomie européenne.
La fracture entre l'Europe et les États-Unis s'accentue et mine l'OTAN.
Certains y voient une nouvelle tentative des États-Unis de désinstitutionaliser
les relations avec l'Europe et de réinstaurer des relations bilatérales
dans lesquelles ils resteraient, quoi qu'il arrive, prédominants.
En présentant la stratégie de sécurité nationale
(SSN) en septembre 2002, le président Bush insistait pour que les États-Unis
s'affirment comme une puissance telle qu'elle dissuade quiconque de la défier.
La SSN semble clarifier le rôle que les États-Unis entendent désormais
voir jouer par l'OTAN : l'OTAN devrait se doter des moyens de fournir, dans un
délai réduit, des forces très mobiles spécialement
entraînées pour répondre à une menace contre l'un
de ses membres. Elle devrait être en mesure d'agir partout où ses
intérêts sont menacés, en créant des coalitions ou
en se ralliant à des coalitions formées pour des missions spécifiques.
Il est bon de rappeler que c'est à l'initiative des États-Unis
que l'OTAN a entériné, lors du sommet de Prague en automne 2002,
un concept militaire qui reprend la lutte contre le terrorisme ainsi que la
création d'une force de réaction rapide. Cela signifie-t-il que
l'OTAN pourrait effectivement jouer un rôle important dans ce domaine ?
Au-delà des déclarations, l'attitude et les actions américaines
laissent plutôt présager des tactiques propres qui se dérouleront
en dehors de l'OTAN. En particulier parce que l'appareil militaire américain
doté d'équipements sophistiqués ne voudra pas être
entravé par une OTAN bien moins outillée.
Les opérations de maintien et d'imposition de la paix sont des missions
essentielles pour une gestion moderne et constructive de la sécurité
que les forces armées américaines ne paraissent pas être
en mesure d'assumer correctement. Il n'est peut-être pas surprenant que
les Américains soient aussi mauvais en maintien de la paix, puisque l'armée
américaine se targue d'être la championne de la grande guerre avec
des forces qu'il ne faut pas « souiller par des tâches mineures »
(6). Le Secrétaire général de l'OTAN, Lord Robertson, mettait
d'ailleurs en garde les alliés lors d'une conférence sur la sécurité
à Munich en 2002 contre un effritement de la solidarité atlantique
si « (...) les Américains combattent en survolant le territoire
tandis que les Européens se battent dans la boue ».
Va-t-on vers une division du travail entre les États-Unis s'occupant
d'offensives militaires et les alliés du reste ? Ce qui se traduirait
au niveau de l'OTAN par une division en deux niveaux de capacités : le
premier concernerait les missions de maintien et d'imposition de la paix qui
seraient accomplies par les Européens et les Canadiens. Le second niveau
serait le domaine exclusif des États-Unis qui préfèrent
des réponses musclées, souvent aériennes, employant des
armes hautement technologiques et moins coûteuses en vie de soldats.
C'est cette répartition des tâches voulue par les États-Unis
qui semble se dessiner. Avant le 11 septembre 2001, aucun responsable politique
européen n'aurait pu envisager un déploiement de forces européennes
à Kaboul. Le 11 août 2003, l'OTAN est engagée dans sa première
opération « hors zone », en Afghanistan, en reprenant le commandement
de la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF)
pour une mission de maintien de la paix des Nations unies. Tandis que des opérations
plus offensives sont menées à travers le pays par le contingent
américain de 8 000 hommes.
Cette répartition est voulue par les États-Unis, mais correspond
également aux conceptions et aux capacités européennes
de gestion des crises comprenant l'utilisation d'outils civils et militaires
en fonction des nécessités. LUE préconise une autre façon
de gérer la sécurité. On peut souligner d'ailleurs la divergence
entre les perceptions américaine et européenne : les premiers tendent
à se considérer comme ceux qui « éradiquent les problèmes »
tandis que les seconds se voient plutôt comme ceux qui « fabriquent
des solutions » - deux cultures bien différentes de réponse
à la menace (7).
Le désengagement américain de l'Alliance atlantique constitue
peut-être une opportunité d'européaniser la sécurité
du continent. Le droit d'initiative au sein de l'Alliance pourrait glisser vers
une Union européenne élargie mais surtout plus cohérente
à travers une PESD efficace.
Valérie Peclow
1 L'OTAN comprend aujourd'hui 19 membres.
2 Devenue l'Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE) en 1995.
3 Voir à ce propos: Valérie Peclow, «L'OTAN: acteur humanitaire
incontournable?» in Militaires-Humanitaires. A chacun son rôle,
Coéd. GRIP-Éditions Complexe, Bruxelles, 2002.
4 Joint Statement on the Kosovo After Action Review, Défense Link US
Department of Défense.
5 Voir à ce propos Valérie Peclow, Georges Berghezan et Bernard
Adam, «Bilan de la guerre du Kosovo», Les Rapports du GRIP 2000/3.