Manlio Dinucci
27 novembre 2018
“Les missiles russes sont un danger” : l’alarme est lancée par le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg dans une interview au Corriere della Sera, réalisée par Maurizio Caprara, trois jours avant l’”incident” de la Mer d’Azov qui vient jeter de l’huile sur la tension déjà incandescente avec la Russie. “Il n’y a pas de nouveaux missiles en Europe. Mais des missiles russes oui”, déclare en préambule Stoltenberg en taisant deux faits.
Premièrement : à partir de mars 2020 les États-Unis commenceront à déployer en Italie, Allemagne, Belgique, Pays-Bas (où sont déjà basées les bombes nucléaires B-61), et probablement dans d’autres pays européens, la première bombe nucléaire à guidage de précision de leur arsenal, la B61-12, dans une fonction principalement anti-Russie. La nouvelle bombe est dotée d’une capacité pénétrante pour exploser sous terre, afin de détruire les bunkers des centres de commandement dans une première frappe. Comment les États-Unis réagiraient-ils si la Russie déployait des bombes nucléaires au Mexique, adossées à leur territoire ? Comme l’Italie et les autres pays, violant le Traité de non-prolifération, mettent à disposition des USA des bases ainsi que des pilotes et avions pour le déploiement d’armes nucléaires, l’Europe sera exposée à un plus grand risque en tant que première ligne de la confrontation croissante avec la Russie.
Deuxièmement : un nouveau système de missiles USA a été installé en 2016 en Roumanie, et un autre, analogue, est en cours de réalisation en Pologne. Le même système de missiles est installé sur quatre navires de guerre qui, basés par la U.S. Navy dans le port espagnol de Rota, croisent en Mer Noire et en Mer Baltique au bord du territoire russe. Les installations terrestres comme les navires sont dotés de lanceurs verticaux Mk 41 de Lockheed Martin, lesquels -spécifie le constructeur lui-même- peuvent lancer “des missiles pour toutes les missions : soit SM-3 pour la défense contre les missiles balistiques, soit des Tomahawk à longue portée pour attaquer des objectifs terrestres”. Ces derniers peuvent aussi être armés d’une tête nucléaire. Ne pouvant pas vérifier quels missiles se trouvent réellement dans les lanceurs adossés au territoire russe, Moscou suppose qu’il y a aussi des missiles d’attaque nucléaire, en violation du Traité FNI interdisant l’installation de missiles à portée intermédiaire et courte avec bases à terre.
Stoltenberg accuse au contraire la Russie de violer le traité FNI, en lançant un avertissement : “Nous ne pouvons pas accepter que les Traités soient violés impunément”. En 2014, l’administration Obama a accusé la Russie, sans apporter la moindre preuve, d’avoir expérimenté un missile de croisière (SSC-8) de la catégorie interdite par le Traité, annonçant alors que “les États-Unis sont en train de considérer le déploiement en Europe de missiles avec base à terre”, autrement dit l’abandon du Traité FNI.
Le plan, soutenu par les alliés européens de l’Otan, a été confirmé par l’administration Trump : dans l’année fiscale 2018 le Congrès a autorisé le financement d’un programme de recherche et développement d’un missile de croisière lancé du sol depuis une plate-forme mobile sur route. Des missiles nucléaires du type euromissiles, déployés par les USA en Europe dans les années 80 et éliminés par le Traité FNI, sont en mesure de frapper la Russie, tandis que des missiles nucléaires analogues déployés en Russie peuvent frapper l’Europe mais pas les USA. Stoltenberg lui-même, faisant référence aux SSC-8 que la Russie aurait déployés sur son propre territoire, déclare qu’ils sont “en capacité d’atteindre une grande partie de l’Europe, mais pas les États-Unis”. Voilà comment les États-Unis “défendent” l’Europe.
Grotesque enfin l’affirmation par Stoltenberg qui, attribuant à la Russie “l’idée très périlleuse de conflits nucléaires limités”, avertit : “Toutes les armes atomiques sont dangereuses, mais celles qui peuvent abaisser le seuil pour leur usage le sont particulièrement”. Exactement l’avertissement lancé par des experts militaires et des scientifiques étasuniens à propos des B61-12 qui sont sur le point d’être déployées en Europe : “Des armes nucléaires de plus petite puissance et plus précises augmentent la tentation de les utiliser, voire de les utiliser les premiers au lieu de le faire en représailles”.
Pourquoi le Corriere della Sera ne va-t-il pas les interviewer ?
Édition de mardi 27 novembre 2018 de il manifesto
https://ilmanifesto.it/le-bugie-nucleari-del-segretario-della-nato-jens-stoltenberg/
Traduit de l’italien par M-A Patrizio
Note pour les versions étrangères :
Le Corriere della Sera est un quotidien italien historique, fondé à Milan en 1876. Publié par RCS MediaGroup, c’est le premier quotidien italien par la diffusion et le nombre de lecteurs..