Samuel Legros
10 août 2019
Nous sommes réunis aujourd’hui pour commémorer les bombardements atomiques des Etats-Unis sur les villes de Hiroshima et de Nagasaki les 6 et 9 août 1945. Deux bombes qui ont fait 260.000 victimes directes et d’innombrables victimes indirectes. La douleur et l’indignation que nous ressentons au rappel de ces deux crimes – inhumains et pourtant le fait d’humains – doivent servir de moteur à l’action collective. Car aujourd’hui encore – ou aujourd’hui plus que jamais – à l’impossible (à l’impensable), des États se tiennent encore.
Cette action collective doit se nourrir de l’indignation face à la destruction des différentes initiatives multilatérales pour le désarmement nucléaire, essentiellement du fait des velléités guerrières des Etats-Unis. Ainsi en est-il, évidemment, de l’accord nucléaire avec l’Iran ou du Traité sur les forces nucléaires intermédiaires déclaré mort l’avant-veille de la commémoration du bombardement d’Hiroshima. Moins d’une semaine après, Lokheed Martin se voyait octroyer un subside de 406 millions de dollars pour le développement d’un nouveau missile intercontinental1.
Et la Belgique joue un rôle majeur dans l’éventualité d’une nouvelle guerre atomique.
Il faut en effet rappeler avec force aujourd’hui, alors que la douleur pour les victimes des bombardements nucléaires est vive, que la Belgique n’est pas en reste et que tous les citoyens, toutes les associations peuvent et doivent dénoncer et attaquer les différents projets qui font (et qui pourraient continuer à faire) de notre pays, un acteur majeur de la prolifération nucléaire.
Le premier d’entre eux est l’arrivée prochaine de nouvelles ogives B61-12 sur la base militaire de Kleine Brogel dès le mois de mars 2020. La volonté de ce nouveau déploiement est connue depuis 2012, date à laquelle l’administration Obama lançait le programme "B61-12 Life Extension Program". Elle est rappelée dans la nouvelle doctrine de dissuasion nucléaire américaine (NPR – 2018), sous la présidence de Donald Trump qui prévoit en effet la mise au point de deux nouveaux types d'ogives nucléaires "plus petites et plus facilement déployables" (des mini-nukes, catégorie à laquelle appartiendront les futures ogives B61-12). Le scénario pris en compte dans le NPR est celui de l’utilisation de ces mini-nukes dans le cadre d’une riposte rapide, afin de pénétrer les défenses anti-aériennes russes. La probabilité que les pilotes belges, formés et entraînés au transport et au largage des bombes atomiques entreposées sur notre territoire, participent à un conflit nucléarisé augmente drastiquement.
Au fil des années, nous constatons un abaissement continu du seuil de recours à la bombe nucléaire. Une facilitation progressive d’un nouvel Hiroshima. La dénonciation du Traité sur les forces nucléaires intermédiaire s’inscrit dans l’accélération de ce mouvement. La multiplication des armes atomiques « de faible puissance » et des armes nucléaires non stratégiques également : elles portent en elles le risque d’un glissement vers la guerre nucléaire limitée qui n’est rien d’autre que l’abandon du concept de dissuasion nucléaire.
Les citoyens belges ont la capacité de s’opposer au déploiement de ces nouvelles ogives. Et cette mobilisation est pressante vu l’annonce, ce vendredi 9 aout (le jour même de la commémoration du bombardement de la ville de Nagasaki) par la Libre Belgique, du plan d’investissement pour faire doter les actuels F16 de l’armée belge de la capacité d’emporter et de larguer ces nouvelles têtes nucléaires B61-12.
En effet, et voilà la deuxième entreprise contre laquelle l’action collective doit continuer à se diriger, les F-35 que le gouvernement Michel a commandé au mois d’octobre 2018 sont supposés arriver dès 2025. 5 ans après l’arrivée envisagée des nouvelles bombes B61-12. À en croire le Ministre Reynders, la capacité nucléaire de ces futurs potentiels F35 n’a pas encore été décidée et doit être discutée par le prochain gouvernement.
Enfin, nous devons continuer à mettre tout en œuvre pour que la Belgique signe et ratifie le nouveau Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) de l’ONU. Ce Traité interdit l'utilisation, la menace d'utilisation, le développement, les essais, la production, l'acquisition, la détention, le stockage et le transfert des armes nucléaires. Le Traité vise également toute autre forme d'assistance aux activités nucléaires, tel que le financement du développement du nucléaire militaire. Depuis le vote de l’Assemblée générale de l’ONU, 73 pays ont signé le TIAN et 25 l’ont ratifié. Le Traité entrera en vigueur lorsque 50 États l’auront ratifié. Pour la première fois depuis des années, la Belgique a refusé de participer aux négociations multilatérales dans le cadre de l'ONU. Pour le justifier, le gouvernement belge oppose à l’adoption de ce Traité, une « approche progressive » comme seule alternative « réaliste ». La Belgique estime également que le TIAN entraverait le processus engagé au sein du Traité de non-prolifération (TNP, 1970). D’après l’Assemblée générale de l’ONU pourtant, une telle accentuation sur le processus de désarmement était nécessaire de toute urgence, vu l’absence totale de résultat dans les engagements liés à l’article VI du TNP (désarmement général et complet sous contrôle international). Or, le désarmement nucléaire et la non-prolifération vont de pair. La Belgique le sait. Continuer à le nier est criminel.