Manlio Dinucci
3 novembre 2020
Ce n’est pas du Covid, donc l’information est passée quasiment inaperçue : le Japon déchargera en mer plus d’un million de tonnes d’eau radioactive provenant de la centrale nucléaire de Fukushima.
Le catastrophique accident de Fukushima fut amorcé par le tsunami qui, le 11 mars 2011, investit la côte nord-orientale du Japon, submergeant la centrale et provoquant la fusion des noyaux de trois réacteurs nucléaires. La centrale avait été construite sur la côte à seulement 4 mètres au-dessus du niveau de la mer, avec des digues brise-lames de 5 mètres de haut, dans une zone sujette à des tsunamis avec des vagues de 10-15 mètres de haut. De plus il y avait eu de graves manquements dans le contrôle des installations de la part de Tepco, la société privée de gestion de la centrale : au moment du tsunami, les dispositifs de sécurité n’étaient pas entrés en fonction. Pour refroidir le combustible fondu, de l’eau a été pompée pendant des années à travers les réacteurs.
Cette eau, devenue radioactive, a été stockée à l’intérieur de la centrale dans plus de mille grands réservoirs, en en accumulant 1,23 millions de tonnes. Tepco est en train de construire d’autres réservoirs, mais au milieu de l’année 2022 ceux-là aussi seront pleins. Devant continuer à pomper de l’eau dans les réacteurs fondus, Tepco, en accord avec le gouvernement, a décidé de décharger en mer celle qui a été accumulée jusqu’à présent, après l’avoir filtrée pour la rendre moins radioactive (mais on ne sait pas dans quelle mesure) avec un processus qui durera 30 ans.
Il y a en outre les boues radioactives accumulées dans les filtres du site de décontamination, stockées dans des milliers de containers, et d’énormes quantités de sol et autres matériaux radioactifs.
Comme l’a admis Tepco même, particulièrement grave est la fusion advenue dans le réacteur 3 chargé avec du Mox, un mélange d’oxydes d’uranium et plutonium, beaucoup plus instable et radioactif. Le Mox, pour ce réacteur et d’autres aussi dans le pays a été produit en France (site Orano de Beaumont-Hague en Normandie, NDT), en utilisant des déchets nucléaires envoyés par le Japon.
Greenpeace a dénoncé les dangers dérivant du transport de ce combustible au plutonium sur des dizaines de milliers de kilomètres (voir note en fin de texte, NDT). Elle a dénoncé en outre le fait que le Mox favorise la prolifération des armes nucléaires, parce qu’on peut en extraire plus facilement du plutonium et, dans le cycle d’exploitation de l’uranium, il n’existe pas de ligne de démarcation nette entre usage civil et usage militaire du matériau fissible.
Jusqu’à présent dans le monde se sont accumulées (selon des estimations de 2015) environ 240 tonnes de plutonium à usage militaire direct et 2.400 tonnes à usage civil, avec lesquelles on peut cependant produire des armes nucléaires, plus environ 1.400 tonnes d’uranium hautement enrichi à usage militaire.
Quelques centaines de kilogrammes de plutonium suffiraient pour provoquer le cancer des poumons aux 7,7 milliards d’habitants de la planète, et le plutonium reste létal pendant une période correspondant à presque dix-mille générations humaines.
Ainsi a-t-on accumulé un potentiel destructeur en mesure, pour la première fois dans l’histoire, de faire disparaître l’espèce humaine de la surface de la Terre.
Les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki ; les plus de 2.000 explosions nucléaires expérimentales dans l’atmosphère, en mer et sous terre ; la fabrication de têtes nucléaires avec une puissance équivalente à plus d’un million de bombes d’Hiroshima ; les nombreux accidents avec des armes nucléaires et ceux dans les sites nucléaires civils et militaires, tout cela a provoqué une contamination radioactive qui a touché des centaines de millions de personnes.
Une partie des environ 10 millions annuels de morts du cancer dans le monde -documentés par l’OMS- est attribuable aux effets à long terme des radiations. En dix mois, toujours selon les données de l’Organisation mondiale de la santé, le Covid-19 a provoqué dans le monde environ 1,2 millions de morts. Danger à ne pas sous-évaluer, mais qui ne justifie pas le fait que les mass media, notamment télévisées, n’aient pas informé que plus d’un million de tonnes d’eau radioactive sera déchargée en mer depuis la centrale nucléaire de Fukushima, avec comme résultat le fait que, entrant dans la chaîne alimentaire, elle fera ultérieurement augmenter les morts du cancer.
Édition de mardi 3 novembre 2020 d’il manifesto
https://ilmanifesto.it/fukushima-dilaga-la-pandemia-nucleare/
Traduit de l’italien par M-A P.
Note pour la version française.
“Le Mox pour les réacteurs japonais est produit en France, en utilisant des déchets nucléaires envoyés du Japon. Du site de retraitement Orano (ex-Areva) de Beaumont-Hague, en Normandie, le combustible au plutonium est transporté sur un millier de kilomètres par autocars au site Melox de Marcoule (Gard), où sont fabriquées les barres de combustible. Celles-ci sont de nouveau transportées au site de Beaumont-Hague pour organiser l’expédition. Les conteneurs sont ensuite transportés au port de Cherbourg et embarqués sur des navires qui, ayant à bord des hommes armés sur le pied de guerre, appareillent vers le Japon.
Greenpeace dénonce les dangers dérivant du transport de ce combustible au plutonium sur terre et par mer sur des dizaines de milliers de kilomètres, car personne ne peut prévoir ce qui se passerait en cas d’accident. Elle dénonce en outre le fait que le Mox favorise la prolifération des armes nucléaires, puisqu’on peut en extraire plus facilement du plutonium. Quasiment aucun gouvernement ne prête attention à l’alarme lancée par Greenpeace. Le gouvernement irlandais avait essayé en vain, en s’adressant en 2003 à la Cour d’arbitrage de La Haye, de faire fermer le site de retraitement de Sellafield en Angleterre : le site, dont se sert aussi le Japon, est source d’une dangereuse pollution radioactive de la Mer d’Irlande et de l’Atlantique Nord.
On n’a pas prêté non plus une grande attention à l’alerte, lancée en 2017 en France, par l’Autorité sur la sécurité nucléaire (ASN) concernant le site Areva (aujourd’hui Orano) de Beaumont-Hague. Selon l’ASN, la protection du site contre le risque d’explosion s’avère insuffisante. Le site concentre la plus haute quantité de plutonium et autre matériau radioactif en Europe. Un accident provoquerait des conséquences catastrophiques pour toute la région européenne”.
Extrait de :
“Guerre nucléaire. Le jour d’avant. Qui nous conduit à la catastrophe et comment”,
Manlio Dinucci (Zambon Editore), traduction M-A Patrizio, postface de B. Genet (Comité Comprendre et agir contre la guerre) à paraître aux Éditions Delga (Paris)