Alerte Otan n° 77 - Octobre 2020
Serbie-Kosovo : Un accord dont le seul gagnant est... Israël

La Serbie et sa province sécessionniste du Kosovo ont signé, le 4 septembre à Washington, des accords essentiellement économiques, ouvrant la porte à des investissements des États-Unis, notamment pour restaurer les communications entre Belgrade et Pristina. L'invité-surprise de ces négociations a été Israël : les diplomates états-uniens ont réussi à faire signer aux frères ennemis balkaniques des accords garantissant la reconnaissance du Kosovo par Israël et le déplacement de l'ambassade serbe de Tel Aviv à Jérusalem. Au grand dam du peuple palestinien et du droit international ! 
 
Alors que le « dialogue » entre Belgrade et Pristina, entamé il y a plus d'une décennie sous le patronage de l'Union européenne, tarde à donner des résultats tangibles, Washington a mis le grand braquet pour arracher un accord au forceps, deux mois avant des élections qui s'annoncent incertaines pour le candidat Trump. 
 
C'est ainsi qu'ont été convoqués, début septembre à Washington, le président serbe Aleksandar Vucic et le Premier ministre kosovar Avdullah Hoti, ce dernier remplaçant le président Hashim Thaci, devenu brusquement indésirable depuis son inculpation en juin 2020 pour crimes contre l'humanité commis plus de deux décennies plus tôt, alors que l'OTAN bombardait la région en 1999. 
 
Après deux jours de négociation, plusieurs documents ont été signés. Les parties se sont engagées à développer, avec le soutien du capital états-unien, leurs liaisons routières et ferroviaires, ceci après que Washington ait déjà obtenu en janvier le rétablissement des vols entre Belgrade et Pristina, interrompus depuis plus de vingt ans. Le lac de Gazivode et sa centrale hydroélectrique, disputés car à cheval sur le Kosovo et le reste de la Serbie, feront l'objet d'une « étude de faisabilité » par une firme américaine. Le sort des disparus des guerres passées et des réfugiés n'a pas été oublié, puisque les deux parties ont promis d'y « travailler davantage ». 
 
Sur le plan politique, Belgrade s'est engagée, pour un an, à cesser sa campagne de « déreconnaissance » de l'indépendance du Kosovo, tandis que Pristina s'abstiendrait de solliciter des adhésions à des organisations internationales pendant la même période. Les deux parties se sont également mises d'accord pour inscrire le Hezbollah sur leur liste des « organisations terroristes » et interdire l'utilisation d'équipement de 5G provenant de « vendeurs non-fiables », supposément chinois. 
 
Alors que le président Vucic précisait qu'il n'avait signé d'accords qu'avec les États-Unis, non avec le Kosovo, il s'est également engagé à reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël et à y déplacer l'ambassade serbe, ce que seuls les États-Unis et le Guatemala ont fait jusqu'à présent. Séparément, et apparemment à l'insu de Vucic, le Premier ministre du Kosovo a vu son indépendance reconnue par Israël et s'est également engagé à installer une future ambassade kosovare à Jérusalem. Trump et ses acolytes n'ont pas tardé à jubiler : un premier pays européen et un premier « pays musulman » vont déplacer leur ambassade à Jérusalem ! Après l'établissement de relations diplomatiques entre Israël et deux pétromonarchies du Golfe, Bahreïn et les Émirats arabes unis, Trump continue de soigner son électorat sioniste – d'ailleurs davantage chrétien que juif – et n'en aucunement cure de violer le droit international et bafouer ceux du peuple palestinien. 
 
Côté serbe, Vucic a visiblement choisi de sacrifier des décennies de soutien à la cause palestinienne – de la part de la Serbie et de son État « prédécesseur », la Yougoslavie socialiste – pour s'attirer les bonnes grâces de l'Oncle Sam, ceci alors qu'Européens et Américains lui reprochent d'être trop proche de Moscou. Si Belgrade est traditionnellement en bons termes avec Israël, elle n'a jamais été en discorde avec l'Autorité palestinienne, la Serbie reconnaissant d'ailleurs l’État palestinien, à la différence de la plupart des pays européens. 
 
Mais cette « trahison » pourrait, à terme, coûter cher à la Serbie. Pour la défense de son intégrité territoriale, Belgrade s'est toujours abritée derrière le droit international, en invoquant comme « argument-massue », la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l'ONU qui, après les bombardements de l'OTAN, a réaffirmé l'appartenance du Kosovo à la Serbie. Mais, en violant d'autres résolutions de l'ONU, dont la 476 et la 478, qui interdisent les représentations diplomatiques à Jérusalem tant qu'Israéliens et Palestiniens n'auront trouvé d'accord sur le statut de la ville, Belgrade se tire une balle dans le pied. En outre, la reconnaissance du Kosovo par Israël pourrait en entraîner d'autres et mettre fin à la vague de « déreconnaissances », qui a amené une quinzaine de pays à ne plus considérer le Kosovo comme un État indépendant. 
 
Dans l'autre camp, le président Erdogan, grand allié de Pristina, aurait manifesté au président Thaci le mécontentement de la Turquie face à la perspective d'une possible ambassade kosovare à Jérusalem. Et, contrairement à leur habitude, les organes gouvernementaux kosovars s'étaient abstenus, plus de deux semaines après qu'elle ait été annoncée, de publier la nouvelle de la reconnaissance d'indépendance par Israël. 
 
Si on ajoute que la partie serbe n'aurait pas été informée de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo par Israël lorsqu'elle a accepté le déplacement de son ambassade, ce qui pourrait l'amener à revoir sa position, le moins que l'on puisse dire est que le plus grand flou entoure ces accords, dont il est difficile de prévoir dans quelle mesure ils seront mis en œuvre. Ils pourraient mobiliser l'électorat évangéliste de Trump, très pro-israélien, et conforter la posture de « faiseur de paix » qu'il affectionne, dans une campagne électorale où il parait mal parti. Mais, que Trump soit réélu ou non, que les millions de dollars promis pour le développement des Balkans se matérialisent ou non, seul Israël semble certain d'empocher la mise, affaiblissant un peu plus les principes du droit international, la cause palestinienne et la perspective d'une paix durable au Moyen-Orient.

 

Georges Berghezan