Le trafiquant d'armes belge, Jacques Monsieur, a été arrêté le 28 août à New York, alors qu'il tentait d'acheter des moteurs et pièces pour avions F-5 et C-130 pour le compte de l'Iran. Paradoxe, il y a près d'un quart de siècle, l'individu attirait, pour la première fois, l'attention de la Justice en étant un des maillons de l' Irangate , cette opération clandestine d'armement de l'Iran par l'administration Reagan. Les bénéfices des ventes à Téhéran, alors en guerre contre l'Irak, servaient à financer et armer la Contra, une rébellion en lutte contre le gouvernement progressiste du Nicaragua. Mais, à l'époque, Monsieur agissait avec la bénédiction de Washington et en étroite collaboration avec le Mossad, les services secrets israéliens.
Ancien militaire, proche du SDRA, les services de renseignement de l'armée belge, celui qu'on surnomme "le Maréchal" a vécu littéralement à l'ombre de l'OTAN pendant une partie de sa carrière, puisqu'il avait installé, au début des années '90, les bureaux de sa société Matimco juste en face du siège d'Evere de cette organisation. Quelques années plus tôt, à partir de 1988, il aurait d'ailleurs servi d'intermédiaire entre l'OTAN et les nouvelles autorités anticommunistes au pouvoir en Pologne, afin de permettre à celles-ci de déjouer les écoutes soviétiques. Lors du démantèlement sanglant de la Yougoslavie, l'OTAN – qui était chargée de la surveillance de l'embargo sur les armes – aurait sciemment facilité les livraisons d'armes iraniennes à destination des forces croates et bosniaques, négociées par Monsieur, en ignorant ces violations de l'embargo.
Beaucoup d'eau sous les ponts a coulé depuis ce temps où les services de renseignement occidentaux faisaient appel au « Maréchal » pour équiper discrètement leurs alliés – gouvernements ou rebelles – en difficulté lors de guerres sur quatre continents. Après la fin de la guerre froide, puis celle d'ex-Yougoslavie, l'homme est devenu de moins indispensable à la diplomatie occulte des grands intérêts occidentaux. A la fin des années '90, il devient même gênant lorsqu'il tente de faire chanter Elf-Aquitaine pour obtenir le paiement de matériel lourd livré à une des factions de la guerre du Congo-Brazzaville de 1997. Inculpé en France, il prend la poudre d'escampette et se réfugie, en 2000, en Iran où, depuis l'Irangate , il entretient d'étroites relations avec les dirigeants dits « réformistes » de la Révolution islamique. C'est notamment grâce à lui que Téhéran a pu alimenter par des milliers de tonnes d'armes de nombreux conflits de la décennie qui s'écoule, en premier lieu ceux des Balkans.
Cependant, pour d'obscures raisons, officiellement sous l'accusation d'« espionnage », Monsieur est jeté en prison, puis condamné à dix ans de détention par la justice iranienne. Il passera près de 18 mois sous les barreaux, avant que sa peine soit commuée en paiement d'une amende de $400.000. Expulsé, il se retrouve peu après en Belgique où, à l'issue d'un procès rapidement expédié et à huis clos, il écope en décembre 2002 d'une peine de 40 mois de prison, assortie d'un sursis pour ce qui excède la préventive. Libéré donc après l'audience, il lui reste à s'expliquer devant la justice française qui, toujours à huis clos, le condamne en mai 2008 à 4 ans de prison, toujours avec sursis. Précisons que les justices des deux pays s'étaient partagées le dossier en fonction du pays de résidence de l'intéressé (qui a quitté le Brabant wallon pour le Berry vers 1993).
Celui qu'on surnomme également "The Fox" (le Renard) pensait-il avoir réglé toutes ses dettes avec la justice et bénéficier d'une tolérance retrouvée ? Ses soucis judiciaires auraient-ils émoussé sa perspicacité et ses réflexes de prudence ? Ou bien n'a-t-il pas encore compris que, 20 après la chute du Mur, le contexte géopolitique planétaire a complètement changé ? En tout cas, en atterrissant le 28 août à New York, Monsieur se jetait dans la gueule du loup : il s'était fait rouler par son supposé fournisseur de moteurs F-5, en fait un agent du FBI. Pour une affaire d'un montant ridicule (moins d'un demi-million de dollars) par rapport à ses contrats d'antan, il risquerait jusqu'à 65 ans de prison. Et sans garantie que, outre-Atlantique, la justice se montre aussi compréhensive que ses homologues belge et française…