La mer Baltique, devenue "lac de l'Otan" |
Crevaison ou bouchons de Champagne? C'est sous ce titre à la Janus que, le 29 juin 2023, le publiciste suédois Knut Lindelöf invitait à considérer le sommet de Vilnius alors à venir. Animateur d'un redoutable "multi-blog" témoignant de la vivacité des voix dissidentes dans le débat suédo-suédois, il vaut la peine d'être lu1.
En voici l'essentiel:
"Question légitime que de se demander pourquoi la Suède reste toujours tenue à l'écart de l'OTAN, non par le gouvernement suédois ou l'opinion critique suédoise, mais par le président turc Erdogan et le président hongrois Orbán.
"D'un côté, il est tout à fait scandaleux que la politique de sécurité de la Suède soit décidée par les présidents turc et hongrois, mais d'un autre côté, la candidature de la Suède à l'OTAN est le résultat d'un coup d'État des autorités suédoises.
"Tant Erdogan que Orbán sont fortement critiqués par l'UE et les États-Unis pour être des dirigeants non démocratiques, voire dictatoriaux. Mais dans ce cas précis, ils viennent en appui de l'opinion publique suédoise étouffée (environ 30%) qui cherche à freiner l'entrée de la Suède dans l'OTAN: d'un point de vue véritablement démocratique, c'est une excellente chose.
"Le sommet de l'OTAN à Vilnius est désormais proche. Une alliance occidentale soudée est décidée à faire en sorte qu'Erdogan et Orbán approuvent l'adhésion de la Suède à l'OTAN.
"Mais personne ne sait comment cela va se terminer. L'incertitude tient du suspense vertigineux pour nos gouvernements et politiciens téléguidés par les États-Unis et l'OTAN. Peut-être que les présidents réticents réussiront-ils à décrocher l'un ou l'autre biscuit convoité – des avions de combat américains, par exemple – en échange d'un feu vert à la Suède. Peut-être continueront-ils à ralentir et à semer la confusion dans les rangs de l'OTAN. Personne ne sait.
"Partons de l'hypothèse que la pression des dirigeants mondiaux et des diplomates américains est en ce moment à son comble sur nos deux compères. Idem en sens inverse avec la pression de la Russie et de la Chine afin que ces deux ne plient pas. Un nouvel autodafé de Coran en Suède avant la réunion de Vilnius suffira peut-être à donner à Erdogan l'argument massue pour dire non – à nouveau.
"Avec les manières d'un vassal, la Suède s'est mise à genoux devant ses puissants commanditaires et témoigne d'une impuissance à faire rougir. La couverture des médias est anxieuse et reflète l'incertitude régnante. Un NON d'Erdogan fera que le projet crèvera tel un gigantesque ballon, avec crise à la Défense suédoise, au gouvernement et dans tous les partis du Parlement (sauf chez les petits partis, gauche et vert). Mais si la Suède sera admise, ce seront les bouchons de Champagne qui éclateront dans tous les salons de l'establishment."
Entre-temps, on le sait, le sommet de Vilnius s'est tenu et la messe serait dite. Ceci à entendre l'homme à tout faire de l'OTAN, Jens Stoltenberg - dont personne ne s'est étonné de ce que, dans le concert de cocoricos atlantistes saluant le feu vert de la Turquie à la candidature suédoise, ce soit lui et non la Turquie elle-même qui se soit chargé d'en faire l'annonce. Personne, non plus, pour s'inquiéter de ce que sera la position de l'autre imprévisible larron, la Hongrie. Ni de la volonté turque de subordonner son feu vert à une improbable entrée dans l'Union européenne...
Ni de tout le reste. Car si les strates dirigeantes suédoises claironnent que l'adhésion est maintenant l'affaire d'une ou deux semaines, des observateurs plus avisés ne font pas mystère de ce qu'un feu vert turc demandera encore la ratification de son Parlement (d'où, déjà, pas avant le mois d'octobre), et ce sur la base notamment d'un "plan de lutte anti-terroriste" que la Turquie (visé: le PKK kurde) exige que la Suède soumette préalablement à tout adoubement. Dure, la vie des domestiques...