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L'hystérie de guerre US sur l'Ukraine ne prendra pas

M K Bhadrakumar
12 février 2022
source : INDIAN PUNCHLINE
https://www.indianpunchline.com/us-war-hysteria-over-ukraine-wont-gel/

La région séparatiste du Donbass se prépare à une attaque des forces nationalistes extrêmes ukrainiennes enhardies par le soutien occidental

Les deux points à retenir de la visite du président français Emmanuel Macron à Moscou et de son entretien de six heures avec le président Vladimir Poutine ont été l'assurance donnée par ce dernier que les forces russes n'intensifieraient pas la crise près des frontières de l'Ukraine — « il y aurait pas de détérioration ou d'escalade » – et deuxièmement, un accord selon lequel la Russie retirerait ses troupes de la Biélorussie à la fin des exercices qui se déroulent actuellement près des frontières nord de l'Ukraine.

Le fait même que la partie française ait mis des détails aussi sensibles dans le domaine public suggère que Moscou n'y voit rien de mal. Moscou a simplement précisé que le redéploiement des troupes hors de la Biélorussie ne doit pas être interprété comme un "accord" avec la France.

Le paradoxe est qu'au lieu de travailler sur ces assurances cruciales de Moscou, Washington a depuis choisi d’aller dans la direction opposée, avec la Maison Blanche orchestrant une hystérie guerrière la semaine dernière. Le président Biden et son conseiller Jake Sullivan ont évoqué un scénario apocalyptique.

La Maison Blanche prétend avoir des renseignements mais esquive les détails. Tout ce que nous avons, ce sont des images satellite d’une compagnie qui travaille pour le renseignement US. Ces informations parcellaires ont conduit Biden à spéculer sur une guerre mondiale !

Pendant ce temps, l'administration Biden est en train de créer une synergie diplomatique à partir de l'hystérie de guerre. Vendredi, le secrétaire d'État Antony Blinken a fait une tentative audacieuse pour pousser les partenaires américains du QUAD à approuver les allégations de Washington concernant «l'agression» de la Russie – bien que le groupe n'ait rien à voir avec les questions de sécurité européenne.

Vendredi encore, Biden, d'un trait de plume, a réquisitionné de fait les réserves de change de l'Afghanistan à hauteur de plus de 7 milliards de dollars. Selon le New York Times, « il est très inhabituel pour le gouvernement des États-Unis de réquisitionner les actifs d'un pays étranger sur le sol national ».

Mais Biden s'en tire avec un comportement aussi autoritaire qui pourrait être considéré comme illégal, immoral ou cynique, comme Washington est pris dans une frénésie à propos d'une guerre imminente avec la Russie ! Bien sûr, tout au long de vendredi, la Maison Blanche s'est efforcée de garder les gros titres sur "l'agression russe". Biden a tenu une vidéoconférence avec les alliés européens tandis que Sullivan s'est mis en réseau avec les bureaucrates de l'UE à Bruxelles pour coordonner les « préparatifs visant à imposer des conséquences massives et des coûts économiques sévères à la Russie si elle choisissait l'escalade militaire ».

Sullivan a également donné un point de presse à la Maison Blanche pour souligner que « nous sommes dans une fenêtre où l’invasion [par la Russie] pourrait commencer à tout moment, si Vladimir Poutine décidait de l'ordonner. Je ne commenterai pas les détails de nos informations de renseignement. Mais je veux être clair : cela pourrait commencer pendant les Jeux olympiques. »

Et c'est tout. La dernière version de Sullivan est que la Russie pourrait envahir l'Ukraine avant le 20 février. La chronologie a été modifiée, car le pronostic d'il y a une semaine était qu'une telle invasion était "imminente" - et encore plus tôt, qu'elle se produirait au plus tôt, dès que le gel profond s’est installé, pour que les manœuvres de chars sur le terrain ukrainien deviennent possibles !

Pourtant, n'est-il pas étonnant qu'à un moment aussi tumultueux de l'histoire moderne, alors que Biden envisage une guerre mondiale potentielle, il ait envoyé son secrétaire d'État pour une tournée de 6 jours en Asie-Pacifique ? En fait, en ce moment, Blinken fait la navette quelque part sous les tropiques — entre Suva (Fidji) et Honolulu (Hawaii) !

Que fait-on avec cette mascarade d'hystérie guerrière ? Trois choses peuvent être dites. Premièrement, les États-Unis ressentent un besoin constant de rallier des alliés européens qui sont sceptiques quant à la menace russe, et l'hystérie de guerre vient en aide. Deuxièmement, Washington tient ouvertement à aggraver les relations de la Russie avec les pays européens où la coopération énergétique est un modèle, en particulier avec le gazoduc Nord Stream 2.

Troisièmement, le plus important, l'hystérie guerrière fournit l'alibi pour intensifier les déploiements américains en Europe de l'Est et dans les pays baltes. La taille du déploiement de l'OTAN aux frontières occidentales de la Russie s'élève déjà à 175 000 soldats ! Des armes de pointe ont également été déployées. (Huit bombardiers B-52 à capacité nucléaire ont été déployés sur une base avancée au Royaume-Uni). De plus, les États-Unis ont établi un pont aérien pour transporter des armes vers l'Ukraine. Vendredi dernier, plus de 15 vols militaires ont atterri en Ukraine avec 1200 tonnes de matériel.

De toute évidence, cette hystérie guerrière ne peut être maintenue indéfiniment. Quelque chose doit céder. Maintenant, la grande question est : et si la Russie n'envahissait pas l'Ukraine, comme Poutine l'aurait assuré à Macron pas plus tard que ce lundi ?

La situation difficile des États-Unis est double : alors que l'hystérie guerrière aide à rallier les alliés européens, Washington ne peut pas non plus se permettre de laisser les Européens dominer la voie du dialogue avec Moscou au risque de créer une dynamique propre. Washington a un déficit de confiance avec Macron qui est un ardent défenseur des initiatives européennes sur les questions de sécurité européenne.

Macron a déclaré que la sécurité de l'Europe ne peut être assurée sans la sécurité de la Russie ! De même, il y a de la panique à Washington alors que le chancelier allemand Olaf Scholz se rend lui aussi à Moscou mardi. Et on s'attend à ce que Macron ait un appel avec Poutine aujourd'hui (le 12/02) Curieusement, Biden a décidé que lui aussi devrait avoir un appel avec Poutine plus tard dans la journée !

Surtout, le Royaume-Uni est également entré dans la mêlée diplomatique. Tout indique que les entretiens du secrétaire à la Défense Ben Wallace avec son homologue russe Sergueï Choïgou à Moscou vendredi ont été substantiels. (Il est intéressant de noter que le chef d'état-major britannique, l'amiral Sir Tony Radakin, qui accompagnait Wallace, a rencontré séparément son homologue russe, le général Valery Gerasimov.)

Wallace a décrit ses entretiens comme « francs et constructifs ». Le compte rendu du Ministère de la Défense à Londres était rédigée sur un ton retenu, comme si le Royaume-Uni était insensible à l'hystérie de guerre de Biden et Sullivan. Surtout, il a mis en évidence l'assurance de Shoigu à Wallace que la Russie n'envahira pas l'Ukraine.

Ifl faut noter que le compte-rendu fait par la partie russe a également cherché à mettre l'accent sur « des mesures urgentes pour assurer des garanties de sécurité » à la Russie.  On y lit: « Le général d'armée S. K. Shoigu a souligné que la situation militaire et politique en Europe s'était considérablement aggravée en raison des tensions suscitées autour de l'Ukraine et de la présence militaire de l'OTAN près des frontières russes. »

On ne sait pas jusqu'où se poursuivra cette pantomime sur la scène diplomatique. Le danger guette que les forces nationalistes extrêmes qui décident à Kiev, encouragées par Washington, ne se sentent enhardies pour créer de nouveaux faits sur le terrain dans le Donbass. C'est précisément comme cela que la guerre de Géorgie avait éclaté en 2008.

En effet, un nouveau niveau de criticité est apparu ces derniers temps dans le Donbass avec une mobilisation à grande échelle des forces ukrainiennes, et des signalements de mercenaires occidentaux déguisés en conseillers militaires. Les intentions étatsuniennes restent floues.

Un conflit dans le Donbass placera le Kremlin devant un dilemme. Si la Russie intervient dans le Donbass pour tenir à distance les forces nationalistes ukrainiennes radicales déchaînées, Washington l'utilisera certainement comme alibi pour imposer des sanctions sévères pour isoler la Russie et nuire gravement aux liens de Moscou avec les pays européens.

La  Russie n'aura d'autre choix que d'intervenir, car des centaines de milliers de détenteurs de passeports russes vivent dans le Donbass. (Certains avancent le chiffre d'environ 700 000.) Les nationalistes ukrainiens néo-nazis radicaux sont connus pour être notoirement anti-russes et toutes sortes d'atrocités - même un génocide - peuvent survenir.

La probabilité qu'un conflit éclate dans le Donbass reste élevée. Biden pourrait avoir une splendide opportunité pour sauver sa réputation après la débâcle en Afghanistan. Il a certainement un œil sur les élections de mi-mandat en novembre, et le consensus bipartisan favorable à une ligne dure sur la « Russie de Poutine » aide aussi.

Fondamentalement, les États-Unis n'ont aucune intention de fournir à la Russie les garanties de sécurité dont elle a besoin. En effet, l'expansion de l'OTAN vers l'est et l'encerclement de la Russie se trouvent être au cœur de l'agenda de Washington. Et, depuis 2014, ce programme a été tellement avancé qu'il n’est pas possible de changer de direction maintenant. Il doit être mené jusqu'à sa conclusion logique.

Les élites de Washington se rendent compte que les États-Unis n'ont pas la capacité de s'attaquer simultanément à la Chine et à la Russie. Un changement de paradigme est nécessaire. Dans le calcul US, forcer Poutine à abdiquer après une retraite humiliante sur l'Ukraine et un affaiblissement sévère de la puissance militaire russe ne peut que provoquer le recul stratégique de la résurgence de la Russie et de son alliance avec la Chine.

Il s'agit donc d'une première étape impérative sur la voie d'une éventuelle confrontation historique avec la Chine, qui pose un formidable défi à l'hégémonie mondiale des Etats-Unis au 21e siècle.

M K Bhadrakumar
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