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Nucléaire : L'OTAN, l'exception étatsunienne Ben Cramer 7 mars 2004 Pour bien situer l'enjeu des réseaux d'influence, l'OTAN constitue un
cas d'école que tous les États nucléaires devraient méditer.
Après tout, les Etats-Unis sont le seul Etat nucléaire qui stationne
des armes nucléaires sur le territoire d'autres Etats, dont des Etats
" non détenteurs d'armes nucléaires " selon la classification
TNP. L'OTAN est la seule alliance qui dispose d'une composante nucléaire,
le seul espace où la " dissémination nucléaire "
est légitimée. Au sein de cette " famille ", celui qui
offre son paratonnerre prétend prémunir les petits frères
contre tous les dangers y compris les dangers émanant de leur propre
politique !
Expliquons-nous. Dès les années 50, Washington élabore
des accords de coopération nucléaire. L'objectif est simple :
éviter que certaines nations européennes, - dont la France bien
sûr (mais c'est quasi peine perdue) et l'Allemagne, - ne soient contaminées
par l'atome. A Bonn, justement, l'option nucléaire n'est pas rejetée,
pas du tout. Paris, on le pressent, se prépare à claquer la porte
de la planification militaire de l'OTAN. C'est dans cette atmosphère
de défiance que les USA proposent, dès 1958, la Multilateral Force,
dite la MLF.(1).Il s'agit tout simplement de mettre à
la disposition des alliés des engins Polaris qui pourraient être
basés sur des navires de surface ou des sous-marins et composés
d'équipages mixtes, multinationaux. Washington propose de fournir aux
alliés toutes les informations nécessaires pour entraîner
ces équipages à l'usage des armes nucléaires. L'année
suivante, lors d'un entretien avec le commandant en chef des forces de l'OTAN,
D. Eisenhower déclare : " Nous sommes prêts à donner,
à toutes fins utiles, la maîtrise de ces armes. Nous ne retenons
qu'une possession titulaire "(2) Cette générosité,
qui frise l'inconscience, n'est pas en contradiction avec le Traité de
Non Prolifération (TNP) car ...le TNP, entré en vigueur en 1970,
n'existe pas, pas encore.
Le Nuclear Planning Group, avec 4 membres permanents dont l'Allemagne et l'Italie,
est mis sur pied en 1966. Il va avoir plus de succès que le MLF mais
sa raison d'être est la même. Il fait la part belle aux Etats-membres
non-nucléaires et permet à chacun (excepté la France qui
a claqué la porte) de se sentir impliqué dans le " partage
du risque " nucléaire. C'est le " lot de consolation "
pour tous ceux qui seraient tentés par l'aventure nucléaire in
solo.(3).
Lors de l'affaire des euromissiles, qui a tenu en haleine l'opinion publique
dans les années 80, le même scénario se produit, les mêmes
arguments sont avancés. L'installation des bases nucléaires de
l'OTAN viserait à dissuader l'Allemagne de devenir une puissance militaire.
Toujours le spectre d'une Allemagne qui ferait cavalier seul dans le domaine
nucléaire, une option que Moscou considérait comme un casus belli.
Les puissances nucléaires civiles, formées et familiarisées
à des procédures nucléaires, (par les USA via l'OTAN) pourraient-elles
être tentées de franchir le " seuil "? Peu importe. Le
monde entier n'y trouve rien à redire, le débat n'est même
pas soulevé à la Conférence du Désarmement à
Genève.
La guerre froide s'achève, l'OTAN résiste. Contenir une Allemagne,
hier trop " neutraliste ", demain trop orientée vers
l'Est, est un leitmotiv que le secrétaire d'Etat James Baker reprend
à son compte en février 1990. Lors d'une visite à Moscou,
Baker tente de persuader Gorbatchev qu'une Allemagne unie " non affiliée
à l'OTAN " pourrait représenter une menace supplémentaire
car elle risquerait de chercher sa sécurité, en développant
son propre programme d'armes nucléaires (4).
En 1995, à deux mois des négociations sur la reconduction du
TNP, le commandant des chefs d'état-major, le général John
Shalikashvili déclare " La dissuasion étendue, dans nombre
de cas, est un facteur décisif dans notre effort de non prolifération
"(5). L'argument est aussi utilisé pour le Japon,
comme hier pour l'Allemagne, et demain pour la Pologne.(6)
La finalité de l'entreprise OTAN se résumait à 3 mots
d'ordre : " Keep Americans in, Soviets out, Germans down ".(7).
Aujourd'hui, ce serait " Keep the Americans in, the Europeans down ".
Reste à comprendre en quoi ces bases représentent un handicap
majeur pour toute définition d'une stratégie autonome des Européens,
en quoi cette intrusion particulière empêche les pays " hôtes
" ou otages nucléaires de se penser en tant qu'acteurs autonomes,
capables de définir leur propre condition de sécurité.
La présence des armes nucléaires en Europe aujourd'hui
D'après les experts, au vu des capacités actuelles de stockage/dépôt,
près de 400 armes peuvent être déployées sur les
bases listées ci-dessous (cf. tableau) dont 300 d'entre elles sont en
état opérationnel ;
Pays alliés |
Bases - WS 3 (vaults)(**) |
Allemagne |
Buechel |
11 |
Spangdahlem |
? |
Ramstein |
54 ou 55 |
Memmingen |
? |
Noervenich |
11 ? |
|
Belgique
|
Kleine Brogel |
11 dépôts
avec un escadron de F-16
opérationnels depuis avril 1993 |
|
Italie
|
Aviano |
8 ou 18 dépôts WS3 |
Gheddi-Torre |
11 ou 18 dépôts WS3 |
Rimini |
? |
|
Pays-Bas
|
Volkel |
8 ou 18 dépôts WS3 |
|
Royaume-Uni
|
Lakenhearth |
33 dépôts WS3
et bombardiers F-111, F-15E |
Upper Heyford |
? |
|
Turquie |
Incirlik(*) |
25 |
Murted |
6 |
Balikesir |
6 |
|
(*)Pour la Turquie, il semble que seule la base de Incirlik
dispose aujourd'hui d'une capacité de stockage.
(**)Depuis 1987, les États-Unis ont mis en oeuvre le programme de Weapons
Storage and Security Systems, (WS3). Ces installations ou dépôts
permettent de " monter " directement les bombes nucléaires
sous les avions. Chaque WS3 peut abriter deux ogives. Selon les informations
à notre disposition, a US Air Force prévu de moderniser les dépôts
d'ici 2005 pour qu'ils soient opérationnels jusqu'à 2018
Les bombes nucléaires B-61 peuvent être transportées d'une
base à une autre par voie aérienne. Ainsi, on peut supposer que
les dix ogives, retirées de la base grecque d'Araxos en juin 2001, sont
" réparties/dispatchées" entre les bases des six autres
pays. Ces transferts permettent aux responsables de l'OTAN et des États
membres d'entretenir le flou diplomatique, allant jusqu'à nier purement
et simplement la présence de bombes B-61 sur une base donnée.
(cf. ci-dessous sur la transparence). Grâce à la mobilisation populaire
contre Volkel, les autorités néerlandaises ont reconnu les missions
nucléaires des bombardiers F-16 qui y sont basés .
Réduction oui, Retrait, non
Conformément à la décision du Nuclear Planning Group d'octobre
1991 à Taormina (Sicile) de réduire de 80% le nombre d'armes nucléaires
tactiques, le dispositif n'est plus ce qu'il était.(8)
Il y a fort à parier qu'il n'atteindra plus les milliers d'armes des
années 60. On dénombre 520 armes nucléaires en avril 1995,
248 abris/dépôts souterrains pour 150 bombes B-61 en mars 1998.
Selon les dernières estimations, l'arsenal tactique est de 1120 ogives
dont 150 de type B-61 déployées sur 9 bases (contre 16 il y a
dix ans), dans six ou sept pays « alliés ». Le
nombre de pays impliqués pourrait-il baisser? Suite à son opposition
à la guerre au Kosovo, la Grèce serait parvenue à se soustraire
à ses « obligations » nucléaires.
Inventaire des armes nucléaires US en Europe en 1995
Allemagne
|
45
|
Belgique
|
10
|
Grèce
|
10
|
Italie
|
30
|
Pays-Bas
|
10
|
Royaume-Uni
|
30
|
Turquie
|
15
|
Total
|
150
|
Le nucléaire, jusqu'où ?
Les pays ne sont pas tenus à accepter des armes nucléaires sur
leur territoire. Le Danemark les refuse, du moins en temps de paix.
Reste à voir comment ceci peut évoluer dans le cadre de l'élargissement.
En septembre 1995, le secrétaire général de l'OTAN, Willy
Claes annonçait que les pays d'Europe de l'Est qui postulaient au membership
n'étaient " pas obligés d'accueillir des armes nucléaires
" sur leur territoire. Parmi les nouveaux venus dont ceux de mai 2004 (Baltes,
Roumanie, Bulgarie, Slovaquie, Slovénie) cinq pays ont donné leur
accord de principe. Il s'agit de la République Tchèque, la Pologne,
la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie.
Ben Cramer
Notes
(1) La MLF fut qualifiée de Multilateral Farce par De
Gaulle, avec humour et son mépris des Anglo-Saxons.
(2) La France et l'OTAN, 1949-1996, colloque du Centre d'études
d'Histoire de la Défense, Complexe, Paris, 1996.
(3) Ceci n'empêchera pas le chancelier Helmut Kohl, durant
l'affaire des euromissiles, de revendiquer un droit de regard sur les conditions
de retrait des Pershing.
(4) cf.NATO enlargment - illusions and reality, Cato Institute,
Washington D.C.
(5) Posture Statement before the Senate Armed, Services Committee,
9 février 1995.
(6) cf. dernier rapport du Pentagone sur les risques lies au
climat, 25 février 2004.
(7) fameuse expression de Lord Ismay, premier secrétaire
général de l'OTAN
(8) cf.NATO Nuclear Planning Group Communiqué, Nato Review,
vol. 39, n°6, December, p.33 Ben Cramer Autres textes de Ben Cramer sur le site du CSO
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