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Le silence final de Milosevic Vladimir Caller 31 mars 2006 Lorsque, en octobre 1999, j’interrogeais l’ancien Secrétaire Général des Nations Unies Javier Pérez de Cuellar en fonctions pendant la naissance de la crise balkanique à propos de l’inculpation qui venait d’être lancée contre le président yougoslave Milosevic, ce diplomate me répondit : « Si ce Tribunal s’intéressait vraiment à juger les responsables de la tragédie yougoslave, il devait plutôt interroger Hans-Dietrich Genscher ». Ce dernier, ministre des affaires étrangères du gouvernement Kohl et qui avait présidé dans les années 80 le Conseil des ministres de l’OTAN, avait été le grand activiste des séparatismes croate et slovène en vue d’assurer ses ambitions pangermanistes dans le contexte de la désagrégation du camp socialiste. Séparatisme dont l’Europe se fit complice en s’inclinant devant le diktat allemand et en sanctionnant l’éclatement de la Yougoslavie par la reconnaissance précipitée et irresponsable de l’indépendance de ces deux républiques.
Le 26 octobre 2000, trois semaines après la chute de Milosevic, la Yougoslavie adhérait au Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-est créé par l’Union européenne à l’initiative de Joseph Fischer, le successeur de Genscher. « Il s’agit d’un moment historique », déclarait alors, enthousiaste, son coordinateur, l’Allemand Bodo Hombach. Historique en effet pour les investisseurs allemands qui depuis lors ont fait une percée décisive dans l’économie yougoslave, tous secteurs confondus, de la banque à la presse. Consolidée ainsi la « pax germanica » rêvée par Genscher et confirmée par Schröder, tandis que Karl Lamers, responsable de la politique étrangère à la CDU, signifiait que le pacte de stabilité devrait conduire à la « constitution d’une euro-région d’un type particulier », à laquelle l’Union européenne « peut inciter, et, le cas échéant, contraindre les Etats balkaniques à participer », histoire de tendre vers la dissolution des Etats-nations des Balkans (notamment ceux qui résistent) pour les intégrer dans une sous-région à parfum germanique1.
On peut affirmer, sans trop s’aventurer, que dans l’histoire des manipulations politiques de l’information, nulle autre n’est allée aussi loin que celle traitant le dossier balkanique. C’est ainsi que, pour cacher les responsabilités européennes, pour escamoter le rôle prémonitoire de cette première guerre de la mondialisation2 finalement récupérée par les Américains des mains allemandes, l’appareil médiatique mondial a eu besoin de faire de Milosevic et des Serbes des monstres assoiffés de pouvoir et de sang, adeptes intégristes du nettoyage ethnique, et ce, sans s’embarrasser de la moindre nuance. Peu importe qu’un journal qu’on ne peut pas suspecter d’être gauchiste ou pro-serbe tel le New York Times révélait déjà en 1987 que : « En réalité, les Albanais contrôlent déjà chaque phase de la vie au Kosovo : la police, la justice, l’agriculture, les usines, les villages et les villes …A présent, les Serbes sont en fuite, face à la violence albanaise grandissante. Vingt mille d’entre eux ont quitté le Kosovo ces sept dernières années… »3.
Loin de nous l’intention d’ignorer les crimes commis par des Serbes ni la responsabilité de leurs autorités dans les dérives chauvines du conflit. Mais est-il normal, par exemple, qu’après que les médias aient inondé d’accusations les Serbes à propos de la fameuse tuerie du marché de Sarajevo il y a douze ans déjà, la réelle origine de l’obus qui provoqua le massacre n’ait pratiquement jamais été diffusée, hormis un entrefilet dans le Nouvel Observateur plus d’un an après le crime ?4
Voilà finalement que, comme pour illustrer mes propos, l’agence Belga affirme, dans une dépêche traitant de la mort de Milosevic, sans la mise au conditionnel ou utilisation de guillemets, que l’ancien président ne voulait pas aller à Moscou pour se soigner, mais pour fuir. Où est allée chercher cette agence (et moult autres) la source d’une affirmation si délicate ? D’une déclaration d’un toxicologue affirmant avoir examiné le sang de l’ancien président. C’est donc un toxicologue qui, occupé à quantifier des molécules et leurs réactions, découvre dans un de ses microscopes les intentions du défunt. Un toxicologue pour intoxiquer l’opinion, c’est plus qu’une caricature dérisoire : c’est bien le résumé du traitement médiatique infligé à la tragédie des Balkans.
1 Débat au Bundestag du 11 octobre 2000
2 Lire l’excellent ouvrage de Diana Johnstone : La Croisade des fous, Le Temps des Cerises, 2005.
3 New York Times, 10.11.1987
4 « Il me faut le dire aujourd’hui. J’ai entendu successivement Edouard Balladur, Alain Juppé et deux généraux me dire que l’obus tiré sur le marché était lui aussi musulman. Ils auraient provoqué un carnage sur les leurs ? ai-je observé avec effroi. Oui, m’a répondu le Premier ministre Balladur sans hésiter » Jean Daniel, Directeur du Nouvel Observateur, 21 août 1995. Vladimir Caller Autres textes de Vladimir Caller sur le site du CSO
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