Nous avions publié dans une édition précédente, une première interview de « Mikhaïl » (nom d’emprunt), ressortissant ukrainien issu de Donetsk (Alerte OTAN n° 86) qui offrait une perpective littéralement “inouïe”, car non-audible ici, aux événements se déroulant dans sa région. Voici une seconde entrevue avec lui
Bud Blumenthal: Actuellement, l’Ukraine et la Russie s’affrontent devant la Cour Internationale de Justice à La Haye. Es-tu au courant? Suis-tu leurs argumentations devant la cour?
Mikhaïl: Cela ne m'intéresse pas. C'est le même endroit où Milosevic est mort ? Ces structures globalistes sont toujours les mêmes. Les résultats sont très prévisibles.
Qu’est ce qui se passe à Donetsk maintenant? Est-ce que la vie va mieux?
M.: L'artillerie ukrainienne bombarde la ville tous les jours. Les tirs sont impitoyables. Les zones résidentielles sont ciblées. Plusieurs dizaines d'obus chaque jour.
Avec les obusiers modernes et des milliers d'obus fournis régulièrement par l'OTAN, les militaires ukrainiens tirent à partir de positions plus lointaines (de quelques dizaines de kilomètres) et n'économisent pas les matériels.
Par conséquent, à Donetsk, il n'y a plus de zones sûres. Avant, les zones les plus dangereuses étaient dans les parties ouest et nord-ouest de la ville. C'est fini. Maintenant, toute la ville est une zone très dangereuse. Tous les quartiers, les écoles, les magasins, etc. peuvent être ciblés chaque seconde. Les civils sont tués pratiquement chaque jour. Chez soi, dans les rues, dans les transports en commun, dans les magasins...
Maintenant que le Donbass fait partie de la Russie, est-ce que l’administration de la ville va mieux que durant les longues années de privations et d’insécurité des citoyens?
M.: La distribution d’eau courante fonctionne mieux. Après la coupure de l'eau par les Ukrainiens en février 2022, la situation à Donetsk et dans les autres villes était très difficile. Dans les immeubles, l'eau était distribuée une ou deux fois par semaine, dans le meilleur cas. En juin 2023, la conduite d'eau construite dans la région de Rostov a atteint Donetsk. Maintenant, on dit que l'eau est dans le robinet un jour sur deux. C'est déjà un progrès.
Quel est le sentiment des habitants? Celui de tes amis et famille ?
M.: La fatigue, suite à près de 10 ans de bombardements.
Les gens sont devenus fatalistes. Ils disent que c'est déjà habituel pour eux de vivre sous les bombardements.
Une partie des écoles fonctionne en présentiel. Mais, en raison des bombardements réguliers, les autres fonctionnent uniquement en ligne. Les universités fonctionnent online.
J’ai été interpellé par le fait que Donetsk et Charleroi sont des villes jumelées! Mais les liens, communications et soutiens sont interrompus depuis 2014! Ce sont deux villes si semblables.
M.: Oui, les deux villes étaient industrielles, surtout minières et sidérurgiques. Ce jumelage a été délibérément oublié en Belgique qui fournit des armes pour bombarder Donetsk, au lieu de créer des liens entre les populations locales ici et là-bas, de comprendre la réaction de Donetsk au coup d'État de Maïdan. Au lieu d'envoyer une délégation sur place, rien n'a été fait par la commune de Charleroi. Ce pouvoir soutient la politique antirusse fédérale au niveau local, tout simplement. Y compris la guerre contre le Donbass. C'est honteux.
Penses-tu que le régime de Kiev, à un moment donné, sera capable d’accepter sa défaite et que les parties de territoires faisant dorénavant partie de la Russie, seront perdues pour toujours? Penses-tu que le peuple ukrainien sera prêt à accepter de tourner la page ?
M.: Le régime de Kiev est une marionnette. Il fait ce que Washington dit. Donc, le régime ukrainien n'est pas un sujet, mais un objet de politique.
Quant au peuple ukrainien ... Je ne sais même pas si j’en fais partie. En tout cas, le peuple est divisé très profondément. Il y a des familles brisées et des amis qui sont devenus ennemis. Un père et un fils peuvent être soldats dans les armées adverses. Une guerre civile est toujours une tragédie profonde qui peut durer très longtemps. Même par rapport à notre expérience historique tragique d'il y a un siècle, la situation est encore plus compliquée.
Propos recueillis par Bud Blumenthal