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OTAN en Afghanistan : Un pas après l'autre vers le bourbier

Roland Marounek
20 décembre 2005

Le bras de fer opposant les USA et alliés usuels à certains membres de l'OTAN, principalement la France, semble tourner doucement en faveur des premiers. Les USA faisaient pression depuis des mois sur l'OTAN pour obtenir la fusion de la mission "Liberté Immuable" (OEF, Operation Enduring Freedom) avec la mission de maintien de la paix chapeautée par les Nations Unies, la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF). Début décembre, l'OTAN annonçait qu'elle acceptait de se déployer massivement dans les provinces du Sud de l'Afghanistan. Cette expansion devrait impliquer l'envoi progressif de 6.000 hommes supplémentaires (sur 9.000 actuellement).Pour le moment, ces renforts proviendraient principalement de la Grande-Bretagne, du Canada et de l'Australie. A peine quelques jours plus tard, les USA annonçaient qu'ils retiraient 3.000 hommes d'Afghanistan : Les soldats Otaniens remplacent bien de fait des soldats US de Enduring Freedom.

Dans la forme, les missions restent distinctes. Dans les faits, les frontières se font de plus en plus floues. En se déployant dans le Sud de l’Afghanistan largement aux mains de la résistance, et théâtre de la plupart des combats, les troupes de l'OTAN s'enfoncent un peu plus dans l'engrenage militaire. « Nos forces auront le soutien et les équipements dont ils auront besoin, ainsi que des règles d'engagement leur permettant de se défendre », a déclaré le Secrétaire Général de l'OTAN.

Pas de fusion, deux missions distinctes, insiste-t-on bien… Le commandant général de l'ISAF sera flanqué d'un adjoint "sécurité" qui relèvera également du commandement de l'opération Liberté Immuable, restera autonome et assurera la coordination des missions. Cela permet au président du comité militaire de l'Otan, le général canadien Henault, de parler d'une certaine unité de commandement, et "d'expliquer" : d'un côté, les missions d'anti-terrorisme, de l'autre celles de contre-terrorisme1. On se demande si la population afghane, où les rancoeurs de l'occupation et de ses exactions impunies s'expriment de plus en plus ouvertement, arrivera à bien faire le distinguo.

Un pas qualitatif important a été franchi, et le leurre du peace-keeping s'efface doucement. En 2005, 25 soldats de l'ISAF et 86 soldats de l'OEF ont été tués par les résistants afghans. Ce nombre devrait rapidement grimper lorsque les troupes occupantes se risqueront hors de leurs casemates de Kaboul, et autres endroits où elles laissent la maffia locale faire ses affaires.

La Guerre à la Terreur

Qu'est-ce que l'OTAN est parti faire dans cette aventure coloniale, bien loin des frontières de l'Atlantique Nord qu'elle est censé protéger ? L'écrasement sous les bombes et l'invasion de l'Afghanistan avait été "vendu" par la nécessité de lutter contre le terrorisme du nébuleux Al-Qaida, pour protéger le "monde libre".

Depuis il y a eu Bali, Istanbul, Rabat, Madrid, Londres, les terroristes étant dans ce dernier cas des Britanniques mêmes. La preuve était faite que le terrorisme ne se résolvait pas à coup de bombes, invasion, exactions, tortures, si vraiment il y avait besoin d'une aussi sanglante démonstration pour une telle évidence.

Depuis il y a eu l'invasion de l'Irak, vendue dans le même package anti-terreur, au prix de mensonges éhontés, y créant littéralement un terrorisme que le pays n'avait jamais connu. La supercherie était devenue flagrante. L'Afghanistan comme l'Irak sont des éléments essentiels du plan US en l'Asie centrale, et leur conquête avait été planifiée bien avant le 11 septembre. Mais Bush, et les autres dirigeants alliés, espèrent que cela passe inaperçu en martelant leur discours sur « les terroristes »,

"L'Amérique est en guerre" déclare Ronald Rumsfeld2, et l'OTAN en se mettant résolument aux services des intérêts géostratégique US dans la région, participe bel et bien à cette guerre. Dans une guerre, il est de tradition que l'on meure des deux côtés, aussi injuste que cela paraisse à l'agresseur. Et quand le rapport des forces est aussi grossièrement disproportionné, la seule arme qui reste à l'agressé est le terrorisme. Il est assez certain que s'ils en avaient les moyens "nos ennemis" préféreraient jeter du haut d'hélicoptères, de manière bien civilisée, du phosphore blanc, des bombes à fragmentation ou du napalm, plutôt que de se faire lâchement exploser.

Mourir pour la démocratie…

Lors de l'inauguration du nouveau parlement afghan, ce 19 décembre, une jeune femme de 27 ans, Malalai Joya a brisé la torpeur consensuelle en dénonçant la présence des chefs de guerres, et en lançant à la face de Dick Cheney, venu parrainer la séance : « Le président Bush nous doit des excuses pour avoir soutenu les chefs de guerre extrémistes, les criminels de l'Alliance du Nord. »3.

Non seulement le nouveau Parlement afghan est constitué très majoritairement de criminels de guerre et de barons de la drogue, mais encore ils se retrouvent en compagnie d'anciens fondamentalistes et de talibans 'reconvertis' (tel l'ancien ministre taliban des affaires étrangères!), à tous les postes-clés du pouvoir : ministres, députés, sénateurs, gouverneurs. Les Islamistes ne dérangent nullement les USA, du moment qu'ils agissent dans leurs intérêts.

Pourquoi a-t-on oublié aussi facilement que c'est l'Alliance du Nord, qui, avec d'autres forces anti-communistes, avait imposé la charia à Kaboul en 1992 ? Quel est le bilan réel après 4 ans de "libération" du pays ? En réalité, peu de choses ont changé pour les femmes depuis le départ des talibans - si ce n'est qu'on n'en parle plus du tout dans les médias. En octobre passé un journaliste afghan, Ali Mohaqiq Nasab, a été condamné à deux ans de prison pour s'être élevé contre la lapidation des musulmans apostats et les châtiments corporels des personnes accusées d'adultère. En avril 2005, le "fait divers" d'une jeune femme lapidée à la suite d’une décision de la justice dans le nord-est du pays, pour adultère est passé quasiment inaperçu4. La production d'opium, 87% du marché mondial, devrait atteindre de nouveaux records en 2006. Et les barons de la drogue sont au Parlement, garants de la démocratie…

La Belgique ne participera pas directement au déploiement des troupes de l'OTAN dans le Sud. Pas pour le moment. On ne sait par contre rien de sa contribution financière. Si on peut saluer cette réserve relative, nous ne pouvons pas nous en satisfaire, mais réclamer le retrait pur et simple de notre pays, et l'arrêt de toute forme de soutien à cette occupation au service des intérêts états-uniens.

1 Le Monde, 19 octobre 2005
2 The National Defense Strategy of the USA, mars 2005
3 Le Monde, 20 décembre
4 cf http://www.amnestyinternational.be/doc/article5306.html

Roland Marounek
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