Syrie : La Belgique doit assumer sa responsabilité dans le crime
Roland Marounek 1er mai 2019 Dur retour de boomerang. Maintenant que les plans occidentaux pour la Syrie ont largement échoué, les pays européens sont confrontés à une situation qu’ils n’avaient pas anticipée : que le peuple syrien vienne à bout de l’agression. Que faire à présent des ‘euro-jihadistes’, ces soldats inconscients de l’impérialisme– et de leur progéniture ? En septembre dernier, le ministre français des Affaires étrangères déclarait que l'« offensive syrienne et russe sur Idlib menaçait la sécurité de l'Europe » : car dans cette zone se trouvent entre 10.000 et 15.000 jihadistes, « qui sont des risques pour demain pour notre sécurité » Non seulement la France reconnaissait la présence de milliers de terroristes européens à Idlib, mais elle ne voulait surtout pas qu’ils quittent la Syrie pour revenir en Europe. On aime tellement le peuple syrien, on ne va quand même pas reprendre les terroristes dont on lui a fait cadeau ! Qui sème le vent… Au moins jusqu’en 2014, nos responsables politiques ont suivi contre la Syrie une politique qui s’inscrit dans le mot d’ordre du regime change, et qui va bien au-delà d’un simple suivisme, déjà en soi criminel, de la politique de l’Occident, dans l’embargo et la propagande anti-syrienne. Notre pays a représenté le plus gros contingent de mercenaires par rapport à la taille de sa population. En 2013, Didier Reynders déclarait à propos des combattants belges qui partaient combattre en Syrie : « Peut-être y en a-t-il qui par idéal partent se battre aux côtés de l'armée syrienne de libération, que nous soutenons. Et on leur érigera peut-être un monument dans quelques années ». Deux ans après le début de la guerre, la fable de l’ASL laïque était pourtant déjà bien éventée En 2014, la police se félicitait que la criminalité ait chuté dans certains quartiers de Vilvorde, car beaucoup de personnes qu’on laissait partir en Syrie avaient un casier judiciaire en Belgique ; on ne s’inquiétait alors pas pour le futur : « Les combattants ‘syriens’ [belges partis en jihad] vraiment dangereux mourront sur le champ de bataille. Les autres combattants ‘syriens’ qui mènent la guerre sainte parce qu’ils sont convaincus de la création de cet Etat Islamique, ceux-là iront se battre ailleurs, en Jordanie, au Soudan, en Somalie… Ces combattants ne reviendront pas. »1 Comment dire plus cyniquement qu’on pense s’être débarrassés de délinquants qui iront faire leurs crimes là où tout le monde s’en fout ? Tant que c’est en Syrie, ou en Afrique, où est le problème ? Dans son dernier livre, Philippe Moureaux dévoilait : « J’ai recueilli un autre témoignage plus accablant encore, de la part d’une personne qui siégeait dans les instances gouvernementales. Lors d’une réunion restreinte, une personnalité de haut niveau avait émis l’hypothèse que l’on aide les candidats au départ en leur fournissant des armes. »2 Le départ des jihadistes belges vers la Syrie a été plus qu’une curieuse impuissance, mais bien plutôt le résultat d’une bienveillante complicité. Double jackpot : on se débarrasse ici de la petite délinquance, et ces mêmes criminels font (sans en être conscients) le boulot de destruction de l’état syrien désiré par l’Occident, Israël compris. On devrait leur ériger une statue, non, Mr Reynders ? La chute à l’Est des dernières poches de l’EI a fait ressortir des dizaines de milliers de ressortissants étrangers, qui s’entassent dans des camps côté Kurdes dans des conditions épouvantables. Parmi eux, des milliers d’enfants, dont plusieurs dizaines d’enfants belges, certains gravement blessés dans les bombardements US. Comme les autres pays européens, l’Etat belge fait tout son possible pour empêcher le retour de ses ressortissants. Pour les enfants, il concède que « ceux qui ont moins de 10 ans ont le droit au rapatriement », mais en dictant des conditions qui le rendent dans les faits pratiquement impossible : les mères doivent renoncer à les accompagner et doivent se signaler elles-mêmes à un consulat belge … qui n’existe pas, puisque la Belgique a rompu ses relations diplomatiques avec la Syrie. En décembre, l’Etat belge a fait appel d’un jugement qui le contraignait à rapatrier six enfants de moins de 6 ans. « Nous avons un gouvernement qui préfère laisser mourir des enfants que de donner des droits à leurs parents » résume Geert Loots, professeur en psychologie à la VUB3. Et pourtant tous ces enfants belges, s’ils sont abandonnés à leur sort, s’ils ne sont pas réintégrés, sont des bombes en puissance. A nouveau, nos dirigeants préparent les désastres de demain. Quelle solution ? Les Occidentaux ont joyeusement allumé un incendie qu’ils n’arrivent plus à éteindre. Quelle est la solution ? La situation ressemble fort à celle créée en Afghanistan dans les années 80. L’objectif de détruire l’URSS l’avait emporté sur toute autre considération – et 40 plus tard le feu n’est toujours pas éteint. Aujourd’hui la Belgique n’a pas d’autre choix que d’assumer sa responsabilité. Mais si nous voulons un autre avenir, nous devons d’une part mettre fin à un système économique qui crée des prisons surpeuplées, produit des contingents d’exclus de la société, tout juste bon à servir de chair à canon dans nos guerres par procuration ; et d’autre part, nous désolidariser des politiques impérialistes dont les peuples, ici et là-bas, subissent les conséquences désastreuses. Et ce sont, fondamentalement, les deux revers d’une même pièce. notes 1. Tiré d’un documentaire de la VRT « Qui sont ces belges partis en Syrie ? » (2014), cité par Michel Collon dans son livre Je suis ou ne suis pas Charlie |