Sommet Biden-Putin : la mousse est retombée
Source : INDIAN PUNCHLINE M K Bhadrakumar 21 juin 2021 Le lendemain d'un sommet russo-américain est le moment le plus important pour savoir si la bonhomie affichée la veille était réelle, surréaliste ou irréelle. En observant le sommet de Genève (16 juin) entre les présidents Joe Biden et Vladimir Poutine, j’avais prudemment évalué le jour d’après : « Biden a-t-il le capital politique suffisant pour faire avancer un projet visant à créer ‘stabilité et prévisibilité’ dans les relations américano-russes ? De toute évidence, il est trop tôt pour dire que ce sommet a été un succès pour Biden ou non. Des semaines et des mois peuvent être nécessaires pour voir comment les relations américano-russes se développent. Un seul sommet à Genève ne peut pas transformer la relation. » (Takeaways from Biden-Putin summit, Indian Punchline) Poutine avait probablement eu une certaine prémonition. Ses remarques enthousiastes à propos de Biden sur une note personnelle jeudi, immédiatement après son retour à Moscou, étaient assortie d’une mise en garde: « J'espère que nous ne verrons pas une répétition des années précédentes et qu’il (Biden) aura la chance de travailler calmement. » (https://tass.com/politics/1304135) Le Kremlin a une immense expérience dans les négociations avec les Etats-Unis. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a lancé vendredi un avertissement précoce selon lequel ses yeux expérimentés pouvaient déjà discerner un certain degré de rétractation dans « les évaluations des responsables étatsuniens, y compris parmi les participants, sur les résultats des pourparlers de Genève ». Avec une franchise caractéristique, Lavrov a réprimandé ces personnes : « Ce n'est pas l'approche dont les présidents avaient parlé. Je veux que ceux qui commentent les résultats du sommet d’une telle manière entendent ceci : ‘Ce ne sera pas une voie à sens unique’. » https://tass.com/politics/1304581 Mais ce dimanche, la CNN a diffusé une interview explosive avec le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan qui a annoncé que "nous préparons un autre paquet de sanctions à appliquer" sur la gestion par le Kremlin de la question très sensible du militant de l'opposition russe Alexei Navalny et, en plus, que Washington "continuera d'appliquer tous les 90 jours des sanctions contre les entités russes impliquées dans la construction du Nord Stream II" (http://transcripts.cnn.com/TRANSCRIPTS/2106/20/sotu.01.html [09:32:09]) L'ambassadeur de Russie aux États-Unis Anatoly Antonov (qui vient de rentrer à Washington) a rapidement noté : « Ce n'est pas le signal que nous attendions tous après le sommet. Je ne pense pas qu'il soit possible de stabiliser et de normaliser les relations entre les pays au moyen de sanctions. La tâche actuelle est de normaliser le dialogue. Tout d'abord, nous devons restaurer les mécanismes de dialogue détruits. » https://tass.com/politics/1305103 La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a promis depuis une "réponse logique". Bien sûr, l'interview de CNN avec Sullivan a été soigneusement chorégraphiée. Il a été invité à réagir au scepticisme omniprésent à Washington selon lequel Biden était naïf de croire aux paroles de Poutine. Tout se résume à l'environnement politique aux États-Unis où la campagne du Parti démocrate contre l'ancien président Donald Trump, présenté comme étant une marionnette aux mains du Kremlin, s’est profondément enraciné dans la conscience publique et se nourrit d’une russophobie fondamentale latente. La Russie de Poutine est un sujet hautement toxique dans les discours de politique étrangère des États-Unis. Nulle autre qu'Hillary Clinton a souligné le rejet véhément de toute sorte d'engagement avec la Russie de Poutine par la présidence Biden. Clinton en fait une affaire très personnelle : «Je pense que la longue histoire [de Biden] avec les relations étrangères, ses huit années en tant que vice-président à voir ce qui a fonctionné, ce qui n'a pas fonctionné, à regarder le désastre de la présidence Trump, qui consistait essentiellement à donner le feu vert à Poutine pour faire ce qu'il voulait – une fois que celui-ci l’avait aidé à être élu, bien sûr -, je pense que vous allez voir une approche très différente. » Clinton s'exprimait le jour du sommet de Genève. Étant un croisé invétéré contre la Russie de Poutine, et étant donné que Sullivan et le secrétaire d'État Antony Blinken sont ses protégés, les opinions de Clinton ont du poids. https://www.yahoo.com/news/hillary-clinton-putin-made-mission-205915640.html Sans surprise, les remarques de Clinton n'ont été contredites par aucun responsable étatsunien. Mais Sullivan s’en est violemment pris Mike Pompeo lorsque ce dernier a qualifié Biden de "faible face à la Russie". Ce qui nous attend? Un immobilisme dans les relations américano-russes serait inévitablement un retour en arrière. Certains signes précurseurs sont déjà là. Prenez l'Afghanistan ou le Myanmar, où Biden espère obtenir l'aide de la Russie. Lors d'une conférence de presse jeudi, Zakharova a clairement ridiculisé la volonté des États-Unis d'embaucher l'armée turque pour gérer l'aéroport international de Kaboul, et a plutôt suggéré que « la décision finale sur ce point soit adoptée de manière mesurée, avec l’objectif, entre autres choses, de promouvoir le processus de réconciliation nationale intra-afghane. » Washington envisage maintenant l'embauche de contractors du Pentagone (mercenaires) pour sécuriser l'aéroport de Kaboul. Mais ce sera une étape extrêmement controversée avec de lourdes conséquences, comme en témoigne le rejet brutal du Premier ministre pakistanais Imran Khan de l'idée même d'une présence militaire américaine sur le sol pakistanais en relation avec la situation afghane. Sur le Myanmar, la Russie se coordonne activement avec la Chine pour étouffer dans l’œuf les tentatives américaines d'alimenter l'instabilité dans ce pays. Le 6 juin dernier, le ministre des Affaires étrangères du Myanmar, U Wunna Maung Lwin, s'est rendu en Chine et a rencontré le conseiller d'État et ministre des Affaires étrangères Wang Yi. Selon le compte-rendu chinois, Wang a déclaré : « Le 8 juin marque le 71e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques Chine-Myanmar. Au cours des 71 dernières années, les peuples de la Chine et du Myanmar sont restés solidaires et se sont entraidés… La politique amicale de la Chine envers le Myanmar n'est pas affectée par les changements de la situation intérieure et extérieure du Myanmar… La Chine a soutenu, soutient et soutiendra le Myanmar dans le choix d'une voie de développement qui convient à sa propre situation. La Chine est prête à travailler avec le Myanmar… » Pékin a l'intention de faire des affaires avec les dirigeants militaires du Myanmar. Et Moscou prévoit également la même chose. De fait, le commandant en chef des forces armées birmanes Min Aung Hlaing vient d'atterrir à Moscou pour une visite de 5 jours. Ces coups durs portés au prestige de l'administration Biden vont résonner dans toute la région Asie-Pacifique. La Russie et la Chine se coordonnent pour faire dérailler le grand projet étatsunien de créer des cercles d'instabilité dans leurs régions adjacentes – Ukraine, Biélorussie, Moldavie, Hong Kong, Myanmar, Afghanistan. Où vont aller les États-Unis à partir de là ? De toute évidence, ils n'ont pas la capacité de poursuivre une stratégie de double confinement contre la Russie et la Chine. Il n'y a pas non plus d'aspiration des puissances européennes à s'empêtrer dans une telle stratégie risquant la confrontation avec la Russie et la Chine. La semaine dernière, à son retour de Genève, Sullivan a fait allusion à un Plan B, affirmant que Biden « cherchera des opportunités pour s'engager avec le président Xi à l'avenir … C'est maintenant juste une question de quand et comment ». |