Le sommet Biden-Poutine est un moment de suspense
Source : INDIAN PUNCHLINE
M K Bhadrakumar
5 décembre 2021

Ce qui s'est déroulé au cours des dernières 24 heures dans le tango diplomatique américano-russe peut être considéré comme un avant-goût de la rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le président américain Joe Biden, qui est prévue mardi soir.

La Russie a obtenu ce qu'elle recherchait vivement : une rencontre entre Poutine et Biden. Au-delà de cela se trouve "l'inconnu inconnu".

Vendredi dernier, un haut responsable du Kremlin, Youri Ouchakov, avait décrit la prochaine réunion comme un « suivi » des pourparlers Poutine-Biden à Genève de juin dernier. Mais Ouchakov termine en disant que l'Ukraine est en tête de l'ordre du jour et, avec elle, les questions liées à l'OTAN. Ouchakov a souligné que Poutine a l'intention de proposer à Biden « la nécessité de travailler conjointement avec ses collègues, avec les principaux pays, pour parvenir à des accords juridiques qui excluraient toute nouvelle expansion vers l'Est de l'OTAN et le déploiement de systèmes d'armes qui nous menacent directement sur le territoire des États limitrophes de la Russie, dont l'Ukraine. »

Ouchakov a déclaré que Moscou avait un besoin urgent d'assurances que l'OTAN ne s'étendrait plus vers l'est. Pour citer Ouchakov : « C'est (l'expansion de l'OTAN) un problème très ancien. Tant l'Union soviétique que la Russie ont reçu des assurances verbales que les structures militaires de l'OTAN n'avanceraient pas vers l'est. Cependant, il s'est avéré que ces assurances verbales étaient sans valeur, bien que ces déclarations avaient été bien documentées, et qu'il existe des enregistrements des conversations correspondantes. »

« Compte tenu de la situation tendue actuelle, il est urgent que nous disposions de garanties appropriées, car cela ne peut pas continuer ainsi. Il est difficile de dire quelle forme prendra ce document, l'essentiel est qu'il doit y avoir des accords écrits », a-t-il déclaré.

Quelques heures plus tard, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a riposté en alléguant que le président russe était seul responsable des tensions actuelles, étant « celui qui décide en Russie », et il a souligné qu'il y aurait des « conséquences très graves » si la Russie « décidait de poursuivre un processus de confrontation » et que Biden lui-même « se dressera résolument contre toute action imprudente ou agressive que la Russie pourrait entreprendre ».                  Peu de temps après vendredi, le président Biden est intervenu pour dire "Je n'accepte la ligne rouge de personne", dans un défi indirect à Moscou. Il a déclaré : « Nous sommes au courant des actions de la Russie depuis longtemps et je m'attends à ce que nous ayons une longue discussion avec Poutine »

Biden a ajouté: « Ce que je fais, c'est mettre en place ce que je pense être l'ensemble d'initiatives le plus complet et le plus significatif pour rendre très, très difficile pour M. Poutine d'aller de l'avant et de faire ce que les gens craignent qu'il fasse. » cf https://www.rferl.org/a/russia-us-biden-ukraine/31593512.html

De toute évidence, Biden n'est pas sur le point d'accepter de négocier un traité de sécurité avec la Russie sur l'Ukraine ou l'élargissement de l'OTAN. Fait intéressant, le compte-rendu de la Maison Blanche samedi mentionne Biden comme sujet de discussion mais omet l'OTAN.

Contrairement à l'impétueuse "diplomatie du mégaphone" de son plus haut diplomate, Biden lui-même a adopté une approche plus sophistiquée faisant allusion à un « ensemble d'initiatives le plus complet et le plus significatif » pour discuter avec Poutine. Il n'a pas versé d'huile sur le feu, mais a parlé comme Don Vito Corleone dans le roman de Mario Puzo.

Ceci dit, les chances d'un retour en arrière des États-Unis - OTAN sur l'Ukraine sont pratiquement nulles. La perspective d'une « retraite » serait tout simplement trop négative pour Biden, après l'Afghanistan. En outre, la transformation de l'Ukraine en un État anti-russe est encore une affaire inachevée.

Dans le projet de changement de régime en Ukraine en 2013-2014, le vice-président Biden de l'époque avait joué un rôle de premier plan. En ramenant Victoria Nuland dans son administration à un poste clé au sein du département d'État, Biden a signalé son intention d'aller jusqu'au bout.

Les tensions en Ukraine ont permis aux États-Unis de réaffirmer leur leadership transatlantique. L'avenir de l'OTAN est également en jeu ici. Les États-Unis et leurs alliés ne donneront jamais à la Russie un droit de veto sur les ambitions de l'Ukraine de rejoindre un jour l'OTAN et l'UE.

Mercredi, le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a déclaré à l'issue d'une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Alliance à Riga que « Seuls l'Ukraine et les 30 alliés de l'OTAN décideront quand l'Ukraine sera prête à rejoindre l'OTAN. La Russie n'a pas de droit de veto. La Russie n'a pas son mot à dire. Et la Russie n'a pas le droit d'établir une sphère d'influence, en essayant de contrôler (ses) voisins

Le fait est que Washington n'a pas grand-chose à offrir pour répondre aux demandes de la Russie, sans miner la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine, que les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN se sont engagés à soutenir dans un engagement « en beton » [ironclad].

Cela dit, certains alliés de l'OTAN sont en privé sceptiques quant aux avertissements étatsuniens d'une invasion russe imminente. Une analyse interne préparée pour les fonctionnaires de la Commission européenne et les diplomates, et dont a pris connaissance POLITICO, indique : « En raison du manque de soutien logistique, il faudrait un à deux mois à l'armée russe pour se mobiliser pour une invasion à grande échelle. (De plus, sa faiblesse logistique globale empêche l'armée russe de faire une invasion sérieuse). Ainsi, il n'y a aucune menace d'invasion imminente. »

Cette analyse révèle que « Moscou semble parfaitement comprendre [des] coûts d'une invasion. Ainsi, le pré-positionnement des (troupes russes) consiste davantage à transmettre le message de mécontentement à propos de la politique occidentale vis-à-vis de l'Ukraine (augmentation de la présence des États-Unis/Royaume-Uni et de l'OTAN). »

En effet, la situation difficile dans laquelle se trouve Poutine n'est pas moins compliquée. Poutine ne veut pas déclencher une autre guerre en Ukraine, mais Moscou ne peut pas non plus accepter les liens militaires croissants des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'OTAN avec l'Ukraine, ainsi que l'acquisition de nouvelles armes par l'Ukraine.

Bien que l'OTAN n'a pas de présence permanente de troupes en Ukraine, les nations alliées ont noué des liens étroits "mil to mil"  avec les forces armées ukrainiennes.

C'est là que réside le risque. Si les légitimes préoccupations de sécurité de la Russie concernant la présence militaire croissante de l'Occident en Ukraine et la transformation constante de ce pays en un État antirusse avec des encouragements tacites de l'Occident ne sont pas prises en compte, la Russie n'aura pas d'autre choix que de recourir à la diplomatie coercitive.

Comme l'a dit le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, une nouvelle expansion de l'OTAN « affectera sans ambiguïté les intérêts fondamentaux de notre sécurité ». Biden ne peut pas se permettre de sous-estimer les lignes rouges de la Russie.

Reste à voir comment Biden s'y prendra pour boucler la quadrature du cercle lors de la réunion de mardi. Il est certain que la Russie a plus de chances que jamais pour obliger les Etats-Unis à s'asseoir à la table des négociations sur la question centrale de son mécontentement à l'égard de l'Occident : ??l'élargissement de l'OTAN.

Mais de son côté, Biden ne peut pas non plus se permettre de paraître "faible" à un moment où ses performances et ses compétences n'inspirent plus confiance aux électeurs américains.

L'Ukraine et la Russie en soi ne sont pas un thème de campagne électorale, mais dans l'environnement politique dans lequel évoluent Biden et le Parti démocrate, la négativité et le tribalisme sont ce qui conduit la politique américaine aujourd'hui. Une confrontation avec la Russie pourrait "apporter de l'eau au moulin", à côté des problèmes de hausse des prix et de pénurie, de pandémie, d'éducation, de guerre culturelle, d'Afghanistan, etc.

Il se fait aussi que la Russie est une superpuissance énergétique: compte tenu de la forte dépendance de l'Europe à l'égard des approvisionnements énergétiques russes et de l'instabilité du marché mondial du pétrole, isoler la Russie est plus facile à dire qu'à faire.

Et surtout, Biden ne peut pas se permettre de s'empêtrer avec la Russie et de détourner les yeux de la Chine. Il est certain que la Chine surveillera de près la façon dont Biden coupera le nœud gordien mardi. Cela a des implications pour la « réunification pacifique » de la Chine avec Taïwan.

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