La Suède est-elle encore « neutre » ?
Erik Rydberg 14 décembre 2021 Nej till Nato? Nej till Nato - Non à l'Otan, sans point d'interrogation. C'est le nom d'une des organisations qui fédèrent l'opposition citoyenne à l'Otan en Suède1. Pour mémoire, ce pays fait partie, avec l'Autriche, l'Irlande, la Finlande, des États du Vieux Continent qui n'ont pas adhéré à l'Otan, passée de 16 États membres en fin de "guerre froide" en 1991 à désormais 30. L'existence d'un secteur associatif vivace, gardant à cœur le pacifisme imprimé depuis le début du 19ème siècle à la politique étrangère sous la devise "Non-allié en temps de paix, neutre en temps de guerre", constitue sans le doute le dernier frein cosmétique à une adhésion pleine et complète pour une élite politique acquise à Washington. Le regain de tension Est-Ouest aux frontières de la Pologne et de l'Ukraine n'a en ce sens que donné des ailes à Stockholm aux effets de manche atlantistes, le ministre de la Défense Hultqvist (social-démocrate) affirmant le 10 décembre aux côtés de son homologue britannique qu'ils sont prêts. Prêts à quoi? Envoyer de la soldatesque à Kiev? Voilà qui n'aurait rien d'incongru. Après tout, les armes suédoises ont été présentes en bon petits soldats sous commandement Otan au Kosovo, en Libye, en Afghanistan... Là, cela demande un mot d'explication. En 2016, la Suède a ratifié un "Memorandum of Understanding", connu en Suède sous le nom de "Accord de pays hôte", offrant facilités logistiques et échanges d'information à l'Otan2. Lors du "war game" Aurora au nord du pays en septembre 2017, ainsi, aux côtés des 19.500 soldats suédois, on en comptait 1.500 étrangers, dont deux-tiers états-uniens. Moins flagrant mais plus significatif: en 2019, la Suède s'est refusée au dernier moment de ratifier le traité onusien interdisant les armes nucléaires, car en effet cette signature équivaudrait à voir la porte de l'Otan se refermer. Rien de ceci ne colle avec ce qui demeure officiellement l'alfa et l'oméga de la politique étrangère suédoise, neutre et hors alliance. Mais cela colle avec la réalité des actes posés. À savoir - mais cela ne s'est su que très tardivement et notamment avec le livre "Le grand mensonge"3 de Wilhelm Agrell en 1991 - que dès 1952, le Premier ministre social-démocrate Erlander, par anticommunisme atavique sinon primaire, a clandestinement, secrètement, conclu un accord avec les États-Unis portant sur un soutien militaire réciproque, l'échange d'informations et - sésame ouvre-toi - une fourniture d'armes dont l'armée suédoise avait besoin pour sa modernisation. À l'époque, le péril rouge faisait office de crécelle. Tous les soins ont cependant été prodigués par la suite afin d'entretenir la crainte du grand voisin oriental. Point d'orgue, sans doute, tam-tam médiatique aidant, avec la chasse aux sous-marins prétendument soviétiques dans les eaux au large des côtes suédoises entre 1980 et 1982, opération qu'un livre récent4 qualifie de magistral succès de guerre psychologique, orchestré à l'aide de submersibles furtifs britanniques et états-uniens. Il n'est jusqu'à l'assassinat non élucidé du Premier ministre Olof Palme en 1986 qui n'ait éveillé des soupçons de connivences atlantistes au regard de la volonté du chef d'État, de facto déjouée, de maintenir le dialogue avec Moscou. Alors? Alors, cela donne une Suède inféodée et, à l'instar de la Grande-Bretagne, relais à peine déguisé des diktats de l'hyperpuissance états-unienne, on l'a vu dans le dossier Wikileaks/Assange où l'appareil judiciaire suédois a machiné la perte du donneur d'alerte dont Washington a fait son homme à abattre5 . La menace russe est brandie à tout moment, justifiant la remise en service en 2017 du régiment stationné sur l'île de Gotland, stratégiquement située à 90 km de Stockholm, et 120 de Riga. Comme si l'encerclement hostile venait de l'Est et non de l'Ouest: la Norvège vient d'accueillir sa première base permanente de l'Otan, parachevant en le hérissant de missiles un acte II du rideau de fer. Il suffit de regarder une carte: comme le rappelait utilement Yves Lacoste dans un petit ouvrage bien nommé: "La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre" (Maspero, 1976). Demeure - pour combien de temps encore? - le fonds de résistance populaire et associatif, témoin comme en tant d'autres démocraties vieillissantes d'Europe, du fossé s'installant d'avec les strates gouvernantes: lors du débat sur le traité onusien anti-armes nucléaires, une centaine de personnalités social-démocrates en ont appelé à sa ratification, appuyées par un sondage leur manifestant un appui de 88% des sondés. Rien n'y fit. [1]"Nej till Nato" est sur Facebook. Voir encore "Bevara alliansfriheten - nej till Nato" (Préservons le principe de non-alliance - Non à l'Otan), ainsi que le foisonnement de publications, sites et blogs actifs sur le même thème. |