Le Kazakhstan se transforme en cimetière de la diplomatie américaine
Source : INDIAN PUNCHLINE M K Bhadrakumar 9 janvier 2022 Un laboratoire biologique financé par le Pentagone près d'Almaty, au Kazakhstan, est devenu le centre d'attention pour ses recherches sur les « agents pathogènes dangereux » Le ministère kazakh de la Santé a publié aujourd'hui [9 janvier] un avertissement anodin démentant les informations sur les médias sociaux concernant la saisie d'un "laboratoire biologique militaire près d'Almaty par des personnes non identifiées". Selon l'agence de presse Tass, les médias sociaux avaient émis l'hypothèse que des spécialistes des combinaisons de protection chimique travaillaient à proximité du laboratoire alors qu'une "fuite d'agents pathogènes dangereux" se produisait. Le communiqué de presse soigneusement rédigé du ministère kazakh précise : « Ce n'est pas vrai. L'installation est protégée. » Point final. Le rapport intrigant met en évidence la pointe d'un iceberg qui a des implications pour la santé publique et a de sérieuses ramifications géopolitiques. Depuis la fin des années 1990, lorsqu'on a appris que les États-Unis établissaient et construisaient régulièrement des partenariats dans la recherche biologique avec plusieurs anciennes républiques soviétiques, Moscou a affirmé à plusieurs reprises qu'une telle coopération constituait une menace pour la Russie. Ces installations de recherche biologique avaient été initialement envisagées dans le cadre du programme de réduction de la menace biologique "Nunn-Lugar" officiellement pour empêcher la prolifération de l'expertise, des matériaux, de l'équipement et des technologies qui pourraient contribuer au développement d'armes biologiques. Mais Moscou soupçonnait que c'était exactement le contraire qui se produisait – en réalité, le Pentagone parrainait, finançait généreusement et fournissait une assistance technique à ces laboratoires où, sous couvert de recherche pacifique, les États-Unis construisent leur « potentiel militaro-biologique ». Dans une déclaration sensationnelle en octobre 2018, le général de division Igor Kirillov, commandant des troupes de défense radiologique, chimique et biologique de Russie, est allé jusqu'à exposer un schéma discernable du réseau de laboratoires du Pentagone situé près des frontières de la Russie et de la Chine. Le partenariat américano-kazakh dans ce domaine remonte à 2003. Le Kazakhstan a été un « hot spot » intéressant pour l’occurrence et la surveillance des maladies infectieuses en raison en partie de son histoire, de sa géographie et de la diversité de ses espèces hôtes. Le Kazakhstan a longtemps maintenu une infrastructure et un réseau à plusieurs niveaux pour la surveillance des maladies infectieuses depuis l'époque des tsars. Les projets de recherche financés par les États-Unis se sont concentrés sur des études impliquant des agents sélectionnés, notamment des zoonoses : charbon, peste, tularémie, grippe aviaire hautement pathogène, brucellose, etc. Ces projets ont financé des chercheurs au Kazakhstan, tandis que des collaborateurs du projet aux États-Unis et au Royaume-Uni ont encadré et guidé ces chercheurs pour développer et tester leurs hypothèses. Il s'agit d'un arrangement « gagnant-gagnant ». Le personnel de l'institut kazakh a été formé aux techniques modernes de diagnostic et de gestion des données, et a effectué des travaux de recherche avec un financement externe somptueux, tandis que le Pentagone a obtenu grâce à de tels laboratoires des contributions précieuses pour les programmes étatsuniens secrets d'armes biologiques avec des applications militaires spécifiquement dirigées contre des groupes ethniques en Russie et en Chine. Le laboratoire d'Almaty sobrement appelé Laboratoire Central de Référence (LCR) figurant dans le rapport Tass, était initialement prévu en 2013, avec un instissement US de 102 millions de dollars dans un laboratoire de biosécurité pour étudier certains des agents pathogènes les plus mortels qui pourraient éventuellement être utilisés dans des attaques de bioterrorisme. Plutôt que de localiser la nouvelle installation dans une étendue de terre obscure du Nevada, le Pentagone a délibérément choisi un site près d'Almaty pour stocker et étudier en toute sécurité les maladies à haut risque telles que la peste, l'anthrax et le choléra. La justification était que le laboratoire fournirait un emploi rémunéré à des chercheurs kazakhs talentueux, et les retirerait de la rue, pour ainsi dire, c'est-à-dire les découragerait de vendre leur expertise et leurs services scientifiques à des groupes terroristes qui pourraient avoir recours à des armes biologiques ! Mais le LCR, désormais opérationnel, est ancrée sur la coopération institutionnelle entre le gouvernement kazakh et la Defense Threat Reduction Agency , agence étatsunienne dépendant du Pentagone, qui est chargée de protéger « les intérêts de la sécurité nationale des États-Unis dans un environnement de menace mondialisé en évolution rapide pour permettre une meilleure compréhension de nos adversaires et fournir des solutions aux menaces ADM dans une ère de compétition entre grandes puissances. » Soit dit en passant, l'Allemagne a également un accord similaire sous la rubrique Réseau germano-kazakh pour la biosécurité et la sécurité biologique, qui est cogérée par l'Institut de microbiologie de la Bundeswehr (un centre de recherche militaire des Forces armées allemandes pour la défense biologique et médicale.) Pourquoi le Kazakhstan est-il un partenaire tant recherché ? Pour faire simple, le pays offre un accès unique aux groupes ethniques russes et chinois en tant que « spécimen » pour mener des recherches sur le terrain impliquant des agents de guerre biologique potentiels hautement pathogènes. Le Kazakhstan a 13 364 km de frontières avec ses pays voisins, la Russie, la Chine, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan. La Chine est-elle indifférente à tout cela ? Loin de là. Beijing Review a exposé un rapport de BBC Monitoring en 2020, faisant part des préoccupations de la Chine à ce sujet. Pas plus tard qu'en novembre de l'année dernière, un commentateur russe a écrit que ces laboratoires biologiques sont des bases virtuelles du Pentagone et a exigé une enquête internationale. Il a souligné que le ministère kazakh de l'Éducation et des Sciences « travaille désormais principalement sur les programmes de recherche du Pentagone ». Comment le Kazakhstan, pays membre de l'OTSC, a-t-il pu s'en tirer avec une telle conduite ? Cela nécessite quelques explications. Paradoxalement, ces laboratoires biologiques sont des exemples concrets de ce qui se passait, dont tout le monde était au courant et dont personne ne voulait parler – à savoir, la pénétration massive des élites dirigeantes kazakhes décadentes par le renseignement étatsunien. Cette pénétration durait depuis des années, mais s’était considérablement approfondi lorsque le leadership « de fait » de l'ancien président Nurusultan Nazarbayev, âgé de 81 ans, a commencé à se relâcher et que les membres de sa famille et ses amis ont de plus en plus commencé à travailler ‘au noir’ (sous le regard bienveillant du patriarche, bien sûr) – quelque chose qui s'apparente aux années Eltsine en Russie. Tristement, c'est une histoire familière. Les élites kazakhes sont notoirement corrompues même selon les normes d'Asie centrale et les élites parasites ont préféré garder leur butin dans des refuges du monde occidental. Sans surprise, ils sont désespérément compromis par les services de renseignement US. C'est aussi simple que ça. Moscou a très certainement senti que la désaffection populaire s'accumulait et que le sol sous les pieds de Nazarbayev était en train de se dérober. Mais il n’était pas intervenu – jusqu’ici - puisque les États-Unis opéraient par l'intermédiaire de puissants éléments compradores qui se trouvaient être les membres de la famille et les associés du patriarche vieillissant. Compte tenu des affiliations claniques dans cette partie du monde, Moscou a probablement jugé prudent de garder ses conseils pour lui-même. Un facteur supplémentaire aurait été la crainte que les États-Unis puissent manipuler les forces ultra-nationalistes (comme cela s'est produit en Ukraine) pour infliger des dommages aux 3,5 millions de russes ethniques vulnérables (18 % de la population). Surtout, le fait est que les copains de Nazarbayev détenaient les leviers du pouvoir de l'État, en particulier sur l'appareil de sécurité, ce qui a donné à Washington un avantage décisif. Mais les choses ont radicalement changé la semaine dernière. Nazarbayev peut encore avoir une certaine influence résiduelle mais pas suffisante pour sauver l'élite qui a servi les intérêts US. Le président Tokayev, discret diplomate de carrière de profession, a finalement réussi à s’imposer [‘is coming on his own’]. Deux des mesures décisives de Tokayev ont été le remplacement de Nazarbayev à la tête du Conseil de sécurité nationale et le limogeage du puissant chef du renseignement du pays, Karim Masimov (qui a depuis été arrêté avec d'autres suspects non identifiés dans le cadre d'une enquête sur de « la haute trahison .”) Washington a de quoi s'inquiéter car, en fin de compte, le Kazakhstan reste une affaire inachevée, à moins que, ou jusqu'à ce qu'une révolution de couleur ait pu entraîner un changement de régime et installer un dirigeant pro-occidental au pouvoir, comme en Ukraine. Les turbulences actuelles signifiaient une tentative avortée de révolution de couleur, qui s'est transformée en boomerang. Contrairement à l'Afghanistan, la CIA et le Pentagone ne sont pas en mesure d'« évacuer » leurs collaborateurs. Et le flot torrentiel des événements a choqué l'establishment à Washington. Le Kazakhstan est un grand pays (les deux tiers de la taille de l'Inde) et peu peuplé (18 millions), et les forces de l'OTSC qui y sont entrées sont bien équipées et dirigées par un général chevronné qui a écrasé l'insurrection soutenue par les États-Unis en Tchétchénie. Les forces russes ont emporté avec elles le système de guerre électronique avancé Leer-3, qui comprend des drones Orlan-10 spécialement configurés, des dispositifs de brouillage, etc. Les frontières ont été scellées. Le mandat des forces russes est de protéger les « actifs stratégiques ». Ces actifs comprennent vraisemblablement les laboratoires financés par le Pentagone au Kazakhstan.
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