L’histoire enchantée de la révolution ukrainienne
Roland Marounek 9 mars 2014 Nos journalistes ont retrouvés leur lyrisme le plus vibrant au lendemain de la « révolution de la dignité de la place Maïdan » : « Il est une vérité qui s’est affirmée ce samedi sur Maïdan, inscrivant les Ukrainiens dans cette chaîne qui va de 1789 aux révolutions arabes, roumaines, à la chute du Mur de Berlin : la volonté du peuple est irrépressible, le peuple est souverain.1 ». L’histoire est simple et édifiante, un peuple mû par son seul idéal de démocratie et de liberté, s’est soulevé contre une ‘dictature’. D’un côtés les Bons, l’UE et les USA, dont le seul but est de répondre à l’appel à l’aide du ‘peuple’ ukrainien et de soutenir son désir de liberté « Tenez bon : les peuples gagnent toujours sur les dictateurs », avait lancé jeudi (20 février) le parlementaire européen belge Guy Verhofstadt dans un appel vibrant et très ému à la foule de Maïdan1 » ; de l’autre les Mauvais, la Russie de Poutine, furieuse de l’avancée de la liberté et de la démocratie, et accrochée à un rêve anachronique de Grande Russie: « Vladimir Poutine réaffirme brutalement la « zone d’exclusion de démocratie et de souveraineté » tracée bien au-delà des frontières légales de son pays. Sa Russie, figée sur la vision du monde de 1945, perçoit toute avancée vers l’est de la zone démocratique européenne comme un danger existentiel. Ce n’est, en définitive, un danger que pour son régime autoritaire2 » Une fois ce décor planté, l’intrigue se résume juste à ceci : l’intégrité nationale d’un pays souverain est soudainement violée par la Russie, qui ne supporte pas que la tutelle de l’Ukraine puisse lui échapper, et l’Europe pour être en accord avec « ses valeurs » doit réagir fermement « Ceux qui croient en l’Europe et en ses valeurs sont restés orphelins, au moment où ce sont précisément ces valeurs qui étaient bafouées, en même temps que l’intégrité territoriale d’un pays dont la frontière se situe à 1.500 kilomètres de Bruxelles.2 » Pièce essentielle de ce récit : Yanoukovitch a fait tirer sur son propre peuple. A bien lire, c’est ce point qui justifie complètement la prise du pouvoir par la force, et la déchirure des accords entre le gouvernement et l’opposition à peine signé sous l’égide de l’UE : « Viktor Ianoukovitch et ses sbires galonnés ne peuvent s’en tirer à bon compte. En 2014, au cœur de l’Europe, on ne tire plus sur son peuple !3 » « Ce peuple-là avait décidé qu’un président qui avait tué les siens, était illégitime et devait partir. Seul le peuple pouvait l’exiger.1 ». Mais une conversation téléphonique entre Catherine Ashton et le ministre estonien des Affaires Étrangères a été interceptée : dans cette conversation, le ministre confirme que ce sont les mêmes snipers embusqués qui ont tirés à la fois sur les policiers et sur les manifestants, provoquant le carnage que l’on sait. Autrement dit, ce n’est pas du tout le ‘régime’ qui a tiré sur son peuple, mais bien plus probablement un groupe actuellement au pouvoir ! « Mais ce qui inquiète particulièrement les gens, c'est que la coalition [en place à Kiev] refuse d'enquêter sur ces épisodes. On devient de plus en plus conscient que ce n'était pas Ianoukovitch qui se trouvait derrière ces tireurs, mais quelqu'un qui fait actuellement partie de la nouvelle coalition » dit à un moment le ministre estonien. Le non-respect des accords signés le 21 n’a donc plus de ‘justification’ émotionnelle. Et à regarder d’un peu plus près les faits, la belle histoire romantique du ‘peuple qui s’est soulevé contre un dictateur’ se délite complètement. Premièrement le fait est que le président Yanoukovitch a été élu démocratiquement. L’Union européenne avait elle- même qualifié les élections de 2010 de «libres et équitables». Le dictateur de Verhofstadt a une drôle d’allure. Ensuite la présentation de manifestants pacifiques est une illusion complète : dès le début des manifestations fin novembre, les policiers ukrainiens ont été attaqués avec des barres de fer, jets de pavés, cocktails Molotov. La présence des militants fascistes, organisés militairement parmi les manifestants a été délibérément minimisée par les médias4, alors qu’elle a été essentielle à la réussite de la « révolution ». Seule une organisation militaire permettait la prise et l’occupation des lieux publics pendant 3 mois. Essayez de faire la même chose à Bruxelles, même un seul jour... . Le peuple des médias, c’est qui exactement ? Les journalistes ne se sont pas trop demandé pourquoi tant de personnes éprises de liberté-démocratie - amour de l’Europe tenaient tant à brandir les couleurs rouge et noire des collaborationnistes nazis qui s’étaient illustrés dans les pires massacres de juifs et de communistes dans l’ouest de l’Ukraine durant la seconde guerre mondiale. L’un des fondateur de Svoboda (‘Liberté’, ex parti national-socialiste, l’une des formations fascistes au cœur des manifestations) qualifiait l’Holocauste de « période de lumière dans l’histoire ». Aujourd’hui aucun média ne semble s’émouvoir que pas moins de 6 postes importants dans le nouveau gouvernement « révolutionnaire » soient occupés par des personnes issues de ces formations nazies déclarées. En résumé on reste objectivement devant ceci: un mouvement armé, encadré par des milices fascistes a pris par la force le pouvoir et destitué un président démocratiquement élu, cela s’appelle en général un coup d’état; l’Europe, et l’Otan, se sont donc empressés de reconnaître un pouvoir issu d’un coup d’état contre un président démocratiquement élu, et de chaleureusement féliciter un gouvernement composé à des postes importants de personnes ouvertement fascistes, n’ayant pas hésité à massacrer des innocents pour accéder au pouvoir. Qui parlait encore des « valeurs de l’Europe » ? Notes 1. Édito du Soir du 24 février– 2. Edito du Soir du 3 mars. - 3. Édito du Soir du 20 février – 4. « Pour freiner le mouvement vers l'Europe, Moscou et les russophiles utilisent l'arme de la peur. Leur principal jeu reste de discréditer l'opposition, désignée comme un ramassis de fascistes » Nouvel Obs, 15 décembre |