La division des Gauches sur l'Ukraine selon Politique
23 novembre 2023 La revue autoproclamée "d'analyse et de débat" Politique consacrait son numéro de septembre à la division que provoquait la guerre en Ukraine dans 'la gauche' en Belgique. Soucieux de poursuivre le dit débat, un de nos collaborateurs a écrit à titre personnel à la revue. Nous reproduisons et adaptons ci-dessous certains des points de son courrier. Contrairement à des débuts prometteurs sur la nécessité d'un débat ("Que le débat soit difficile ne le rend pas moins indispensable. Car la guerre nous divise mais nous oblige – que ce soit en tant que décideurs politiques, journalistes, chercheurs, ou citoyens engagés. Nous devons témoigner notre solidarité aux sociétés déchirées par le conflit, ne fût-ce qu’en nous évertuant à le penser dans sa complexité..."), on constate vite que de débat, en fait, il n'y en aura guère, puisque Politique affiche clairement une prise de position unilatéralement pro-ukrainienne. C'est bien entendu son droit le plus strict, mais ne feignons pas en ce cas vouloir entamer un dialogue, "en pensant le conflit dans sa complexité". La fameuse "complexité" semble être plutôt ici un mot apposé comme feuille de vigne devant une vision unilatérale et manichéenne. Dès l’introduction, le ton est donné : "... les crimes abjects commis par l’armée russe sur les populations civiles, les viols, les exactions, les bombardements, sous-tendus par une idéologie négatrice de l'Ukraine, ne font que rendre plus difficile la voie vers la paix." Comment après avoir posé cela comme un fait, espérer un dialogue entre parties? Le débat ne peut être qu’entre "soutien sans réserve à la guerre de résistance menée par la société ukrainienne d’un côté" (=Bon) et, "attitude prudente et guidée par la boussole du pacifisme", on croit entendre "munichois". La phrase mise en exergue deux pages plus loin, "Si vous êtes pacifiste, vous devriez demander la démilitarisation de la Russie. Qu’ils sortent d’Ukraine, et on militera enfin ensemble pour la paix" donne une idée de ce que pense réellement la rédaction de Politique de "l'attitude prudente des pacifistes". Ou alors, un "débat" entre ceux pour qui "ce conflit est une agression impérialiste de la Russie", et ceux pour qui "ce conflit est une agression impérialiste de la Russie, mais...". En paraphrasant à peine: "Oui d'accord, c'est une guerre d'agression impérialiste de la Russie mais, quand même, la hausse des tensions régionales liées à l’OTAN l’a en partie rendue possible". La manière dont est évacuée par Laurent Vogel dans l’ébauche de débat présenté, la question de l'OTAN est particulièrement révélatrice : "L’extension de l’OTAN vers les anciens membres du Pacte de Varsovie s’est achevée en 2004. L’adhésion de l’Ukraine était bloquée depuis 2008". En juin dernier, Jean Vogel avait pareillement balayé cette question face à Michel Collon: "L'élargissement de l'OTAN s'est produit en 1999 et en 2004. On ne déclenche pas une guerre en 2022 pour répondre à des actes diplomatiques qui se sont produit en 1999 et en 2004. C'est comme si vous disiez que l'Allemagne a déclenché la guerre en 1914 en réaction à l'alliance entre la France et la Russie de 1891" C'est très intéressant. Ce point de la "non-existence de la question de l'OTAN" est effectivement un pilier essentiel de l'argument de "l'impérialisme russe". Son contradicteur aurait pu évoquer, s'il avait eu la place pour développer ses arguments, que:
Ce débat avorté ouvre une autre question intéressante. Sauf erreur, les mouvements de gauche condamnent tous l'agression saoudienne sur le Yémen, la colonisation sioniste et ses agressions à répétitions, comme ont été condamné en d'autres temps l'agression du Congo par le Rwanda, ou celle de l'Irak par les Etats-Unis et quelques alliés de l'OTAN - pour s'en tenir à quelques exemples plus ou moins consensuels à gauche. Pour autant, il semble qu'il serait, ou aurait été pour le moins incongru de militer (et manifester « pour la paix »!) afin que nos pays livrent armes, chars de combats, missiles, ou F-16 aux Palestiniens, Yéménites, ou Irakiens de jadis. Dans les faits, il est difficilement niable que c'est l'OTAN, et derrière la puissance hégémonique étatsunienne, qui sont ainsi engagées massivement pour la défaite militaire de la Russie, comme elle le proclame elle-même: "L’OTAN aidera l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire jusqu’à la défaite russe". Dans les faits donc, cela signifie concrètement que les rédacteurs de Politique, et toute une partie de la Gauche qui milite pour l'aide militaire à l'Ukraine et la défaite militaire de la Russie, soutiennent sans réserve un impérialisme avéré, le "nôtre", celui des USA et de l'OTAN, contre un autre "impérialisme", celui qu'ils pointent du doigt. Cela devrait donner à réfléchir. |