Jusqu’où va la croyance dans le narratif otanien ?
André Lacroix 6 avril 2024 Le 5 avril 2024, à la Foire du Livre de Bruxelles, le romancier ukrainien Andreï Kourkov était interviewé sur les ondes de la RTBF-La Première. 1) Au cours de cette interview, le journaliste a qualifié de « barbare » l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Aurait-il oublié que la guerre n’a pas commencé le 24 février 2022, qu'elle a été précédée d'un coup d'État perpétré à Kiev en 2014 avec la bénédiction et le soutien des États-Unis dont s'est même vantée Victoria Nuland, que le 2 mai 2014 à Odessa 42 manifestants ukrainiens protestant contre ce coup d'État ont été sauvagement assassinés par des nationalistes ukrainiens d'extrême droite, que de 2014 à 2022 Kiev n'a cessé de bombarder les habitants du Donbass, russophones (dont la langue avait été déclarée langue de seconde zone), bombardements qui ont fait plus de 14 000 victimes ? Si barbarie il y a eu, elle n'est sûrement pas que d'un côté. 2) Quand Andreï Karkov a déclaré que si la Russie gagnait en Ukraine, ce serait aussi la guerre en Pologne, en Moldavie et en Lituanie, le journaliste a ajouté "Bien sûr". Or rien n'est moins sûr : notamment le célèbre universitaire étatsunien John Mearsheimer démontre que Poutine n'a jamais eu l'intention d'annexer même l'Ukraine... Quant aux craintes de voir la Russie envahir l'Europe, c'est un fantasme : la Russie n'en a ni la volonté, ni les moyens ; mais pour les dirigeants de l'OTAN et les marchands de canon, il est impératif de nous fourrer ça dans le crâne, par médias interposés. 3) Quand Karkov a déclaré en substance : "peut-on faire confiance à Poutine et signer un accord avec lui ?", le journaliste a répondu "moi, je ne le ferais pas". C'est son droit, bien sûr, de le penser, mais ferait-il davantage confiance à ces dirigeants étatsuniens qui ont bafoué leur promesse de ne pas étendre l'OTAN aux pays ex-membres du pacte de Varsovie ou à ces dirigeants européens qui ont signé les accord de Minsk en sachant très bien qu'ils ne les appliqueraient pas (de l'aveu même d'Angela Merkel) ou à ces dirigeants anglo-saxons, Boris Johnson en tête, qui ont fait capoter en mars 2022 les négociations sur le point d'aboutir entre Zelensky et Poutine ? Ma déception vis-à-vis de la RTBF est grande, car l’interview prenait place dans une excellente émission culturelle quotidienne, à savoir « Entrez sans frapper », n’ayant rien à envier aux chaînes françaises. Déception d’autant plus grande que l’intervieweur n’était autre que Jérôme Colin, un homme attachant, d’un professionnalisme avéré, respectueux de ses invités, attentif au sort des plus démunis et ne ménageant pas ses efforts pour démocratiser la culture. Il est aussi l’auteur, entre autres, d’un roman remarquable Les Dragons. Qu’une telle personnalité en vienne, à propos du conflit ukrainien, à confondre empathie envers un invité et complaisance envers le narratif otanien, voilà qui en dit long sur la puissance de la pensée dominante et sur la nécessité de la contrecarrer.
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