Comment l’Occident a amené la guerre en Ukraine
Benjamin Abelow
7 décembre 2022

L’étatsunien Benjamin Abelow a publié en 2022 un petit livre qui démolit de façon remarquablement concise et limpide le discours médiatique usuel sur « l’agression non provoquée » de l’Ukraine par la Russie. Il a été traduit il y a quelques mois en français1. Nous vous en proposons ci dessous un extrait.

Les décideurs russophobes persistent dans leurs erreurs du passé

Malgré l'échec sans équivoque des politiques menées par l'Occident envers la Russie et l'Ukraine, les responsables de décennies de provocations par les États-Unis et l'OTAN maintiennent envers et contre tout leur position initiale, affirmant que l'invasion de l'Ukraine par la Russie prouve qu'ils avaient raison depuis le départ. Ces analystes affirment que la véritable cause de l'invasion russe est que les États-Unis n'ont pas fait pression encore plus fort sur la Russie. Une explication plus plausible serait que les nombreux experts en géopolitique américains qui avaient prédit que l'élargissement de l'OTAN mènerait au désastre avaient raison, et que leurs prédictions se vérifient maintenant de façon cruelle.

L'un de ceux-ci, George Kennan, a déclaré, après le début de l'élargissement de l'OTAN en direction de la Russie, que la décision d'étendre l'OTAN était une prophétie auto-réalisatrice. Loin de protéger l'Occident, a-t-il expliqué, l'élargissement conduirait les États-Unis à la guerre avec la Russie. Et une fois que ce résultat se serait produit, a prédit Kennan, les partisans de l'élargissement diraient que cela prouvait que le militarisme inné des Russes en était la cause: « Bien sûr, il y aura une mauvaise réaction de la Russie, puis [les partisans de l'élargissement] diront qu'ils nous avaient tou­jours dit que c'est ainsi que sont les Russes — mais c'est tout simplement faux. » La prédiction de Kennan était donc doublement correcte: premièrement, sur la réaction russe à l'élargissement de l'OTAN ; deuxièmement, sur le raisonnement circulaire autojustificatif fourni en réponse par ces faucons occidentaux, dont les prédictions avaient été contredites par les événements.

Peu de médias américains et européens discutent de ces questions. En regardant la télévision et en lisant les journaux, on pourrait même imaginer que les préoccupations concernant l'élargissement de l'OTAN n'avaient jamais été soulevées, ou ne l'avaient été que de façon marginale. Bien que le rôle joué par les États-Unis et les pays de l'OTAN dans le déclenchement de la crise en Ukraine devrait être évident aux yeux de tous, de nombreux Américains et Européens ont été submergés par une sorte de "fièvre de la guerre par procuration". Manquant d'une vue d'ensemble qui leur permettrait de saisir l'essentiel, mais absorbés par le détail quotidien des combats, ils sont animés d'une colère moralisatrice et d'une conviction que la meilleure politique est de déverser de plus en plus d'armes en Ukraine jusqu'à ce que M. Poutine implore miséricorde.

Compte tenu de l'intensité de cette fièvre guerrière, il n'est pas surprenant que les quelques dirigeants politiques américains ou européens qui ont la rare combinaison de clarté d'esprit et de courage nécessaire pour examiner ouvertement le contexte historico-politique de la guerre en Ukraine aient été qualifiés de traîtres. En vérité, ce sont des patriotes. Ils refusent de jouer le jeu du tribalisme et de prétendre envers et contre tout "Mon pays ne peut pas faire de mal". Ils reconnaissent les faits historiques inconfortables pour ce qu'ils sont et tentent de ne pas réitérer les erreurs du passé. Ils cherchent à discerner les implications de ces faits pour le présent, en particulier de manière à limiter les morts et la destruction en Ukraine et, simultanément, à réduire les risques d'une confrontation nucléaire apocalyptique entre la Russie et l'Occident. En considérant les développements récents de la situation, John Mearsheimer écrit,

« [Nous] sommes dans une situation extrêmement dangereuse, et la politique menée par les Occidentaux exacerbe ces risques. Pour les dirigeants russes, ce qui se passe en Ukraine n'a pas grand-chose à voir avec le fait que leurs ambitions impériales soient contrecarrées ; il s'agit de faire face à ce qu'ils considèrent comme une menace directe pour l'avenir de la Russie. M. Poutine a peut-être mal évalué les capacités militaires de la Russie, l'efficacité de la résistance ukrainienne et l'ampleur et la rapidité de la réponse occidentale, mais il ne faut jamais sous-estimer à quel point les grandes puissances peuvent être impitoyables lorsqu'elles se croient dans une situation désespérée. L’Amérique et ses alliés, cependant, persistent sur la même voie, espérant infliger une défaite humiliante à M. Poutine et peut-être même déclencher sa destitution. Ils augmentent l'aide à l'Ukraine tout en utilisant les sanctions économiques pour infliger un châtiment collectif à la Russie, des mesures que Poutine considère maintenant comme "semblables à une déclaration de guerre ».

1. Siland Press, 2024 - https://www.abebooks.fr/rechercher-livre/editeur/siland-press