Le 3 mars dernier, le Président Trump annonçait qu'il suspendait l’aide des USA à l’Ukraine. De quoi requinquer, au sein de l'UE, les partisans de la confiscation des avoirs de la Banque de Russie confiés par celle-ci à Euroclear (Dépositaire Central International de Titres sise à, Bruxelles).
Fin février 2022, sitôt après le début du conflit ukrainien, le G7 (Etats-Unis, France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Canada et Japon) et l'Union européenne avaient sanctionné la Russie en "gelant" ses actifs situés sur leurs territoires. Pour l'Union Européenne, le "gel" portait sur environ 200 milliards d'euros d'actifs déposés chez Euroclear. Ainsi que 24,9 milliards d'euros d'avoirs privés, dont on parle moins.
"Gelés" en vue de négocier, avec la Russie, la fin de la guerre ? Pour nombre de responsables politiques européens, il s'agissait plutôt d'une mesure en vue d'une appropriation pure et simple, si possible, de ces avoirs. Motif : aide à l'Ukraine.
En attendant un éventuel passage à l'étape "appropriation", le Conseil Européen rediscute, et décide, à l'unanimité, tous les six mois, la prolongation de cette sanction. La dernière a été décidée le 31 janvier 2025, après quelques jours de suspense : la Hongrie menaçait d'y opposer son veto, jusqu'à ce qu'elle reçoive des garanties en matière de fournitures de pétrole et de gaz. La prochaine échéance est fixée au 31 juillet 2025.
Voltes-faces, donc, du Président Trump, qui, dès le début de son mandat, tente de se rapprocher de Poutine, se distancie de ceux qui se croyaient ses alliés à vie et leur demande d'augmenter considérablement leur participation au budget de l'OTAN et à leur propre défense.
L'Union Européenne va-t-elle tenter de jouer un rôle dans d'éventuelles négociations de paix entre Russie et Ukraine ? Non, tournant le dos à tout effort diplomatique, elle choisit de poursuivre les hostilités, voire d'en assumer le premier rôle, et surtout, d'y apporter un soutien financier… qui ne craint pas la démesure. C'est l'occasion saisie par ceux qui convoitent les avoirs russes "gelés" de lancer un nouvel assaut en vue de leur appropriation.
Mais les opposants à la confiscation résistent …
Leurs réticences, plutôt que d'ordre éthique ou moral, sont d'ordre pragmatique, et surtout d’ordre juridique:
- pragmatique, de sens commun : confisquer un dépôt dans une banque, sans décision d'une instance judiciaire, provoquerait une perte de confiance des déposants en notre système bancaire ; selon Christine Lagarde, Présidente de la Banque Centrale Européenne (BCE), la mesure risque de saper l’euro et de conduire les détenteurs de réserves en euros à repenser leurs placements. Même avis de la part du Premier ministre belge Bart De Wever.
- juridique, ainsi, ils invoquent, entre autres :
- Le principe de l'immunité des états :
C'est un principe qui fait l'objet d'une convention datée de 2004, mais à laquelle manquent encore 30 ratifications pour qu'elle entre en vigueur. Mais selon un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme de 2011, cette convention reflète le droit international coutumier.
- Le droit de l'Union Européenne :
Selon le député français Bastien Lachaud (LFI), interviewé le 4 mars 2025 par Les Surligneurs,
« Le gel des avoirs prive de l’usage, pas de la propriété.(...) Le gel des fonds russes est précisément défini par l’article premier, au point f, du règlement 269.14 du Conseil du 17 mars 2014. Il s’agit d’une action visant à "empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation, manipulation de fonds ou accès à ceux-ci qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, y compris la gestion de portefeuilles. Cela signifie que plus aucune action n’est possible sur des fonds gelés, mais ces derniers restent la propriété de l’État russe ou des entités sanctionnées.
Le gel des fonds vise à limiter au maximum les opérations susceptibles d’être opérées sur lesdits fonds et, donc, à priver l’entité sanctionnée non pas des fonds mêmes, mais de leur usage (décision de la Cour de justice de l’Union européenne, 11 novembre 2021). C’est ce que confirme la Cour de cassation française dans une décision de 2022, relative aux gels d’avoirs libyens, lorsqu’elle juge qu’aucune action, même judiciaire, ne peut être entreprise pour débloquer ces fonds gelés sans une autorisation du directeur général du Trésor."
S'opposent à la confiscation : l'Allemagne, la Banque centrale Européenne (Christine Lagarde)…
En Belgique, Bart De Wever s'est déclaré contre au sortir d'un des derniers sommets de l'UE : « Personne n'a parlé des avoirs russes gelés, et j'en suis très heureux » … « Confisquer les avoirs russes gelés, ce serait un acte de guerre. »
Les partisans de la confiscation, cherchent, eux, à lui construire un fondement juridique.
Par exemple, l'argument dit d'une "contre-mesure" :
« une contre-mesure sur la base de la responsabilité des États pour des faits illicites en droit international. Cela a déjà été largement thématisé. Il y a eu une guerre d'agression de la Russie, un crime d'agression selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Une décision a été rendue, constatant une violation de la Charte des Nations Unies. Il s'agit donc d'un acte illicite qui justifie la mise en place de contre-mesures, pouvant notamment concerner les biens gelés. »
Sont favorables à la confiscation : La Grande-Bretagne, la Pologne, les Etats Baltes, la Haute représentante pour la politique étrangère de l’UE Kaja Kallas …
En Belgique :
Ecolo : Le 5 mars 2025, la Libre Belgique titre : « Guerre en Ukraine : pour financer la défense européenne, Ecolo réclame la confiscation des avoirs russes. » « Ecolo réclame la confiscation des avoirs russes gelés en Europe, et pour la plupart en Belgique, afin de financer un plan de défense européen ambitieux et constituer des provisions en vue de reconstruire l'Ukraine. Selon les Verts, il s'agit de la seule option qui ne fera pas "trinquer" les contribuables européens. » - Samuel Cogolati avait déposé dès 2023, avec Wouter De Vriendt, une proposition de résolution visant à confisquer les avoirs russes en Belgique.
Paul Magnette (Parti Socaliste):
Sur X : « Face à l’alliance entre Trump et Poutine, l’Europe doit d’urgence affirmer son indépendance stratégique et militaire. Mais les dépenses d’armement ne doivent être payées ni par les pensionnés et les travailleurs, ni par les fonds européens destinés aux régions en difficulté. Nous avons déjà saisi 1,7 milliards des avoirs russes pour aider l’Ukraine sous la Vivaldi en 2024. Il faut maintenant saisir l’ensemble des avoirs russes situés en Europe, estimés à 300 milliards - soit trois fois plus que les avoirs européens en Russie. Les oligarques sont les premiers soutiens de Poutine et Trump, il faut les faire payer. »
Paul Magnette vise ici non seulement les avoirs de la Fédération de Russie, mais également ceux déposés par environ 2.400 personnes privées et entités désignées comme "russes", et de ce fait sanctionnées, dont les noms figurent sur une liste dressée par l'UE. Nombre d'entre elles ont contesté cette inscription, et obtiennent d'en être biffées – cette liste est revue également tous les six mois.
Paul Magnette réaffirme cette position sur BelRTL, selon Le Soir du 5 mars 2025, en réponse aux projets de Théo Francken relatifs aux objectifs de l'Arizona en matière de budget de la défense et des moyens envisagés pour y parvenir (Fonds de la Défense, vente d'actifs de l'Etat) : « tout comme DéFI, il privilégie plutôt la confiscation des avoirs russes pour financer l’aide à l’Ukraine, une piste déjà écartée par le Premier ministre Bart De Wever. "Il y a plus de 200 milliards de revenus des Russes, qui sont localisés en Europe, ce qu’on appelle les avoirs russes. En plus, il se fait qu’ils sont ici à Bruxelles, en Belgique", a insisté Paul Magnette."
Pour l'instant, la question reste donc en suspens.
Rien n'a été décidé, sur ce plan, lors du dernier sommet de l'UE du 6 mars 2025. Un débat au Parlement européen a eu lieu le 12 mars 2025, mais aucune résolution n'a été votée.
Des œufs d'or …
Les fonds restent donc "gelés". Mais les revenus qu'ils continuent de produire, quant à eux, sont disponibles comme décidé par le Règlement du Conseil Européen 269/2014. Et, conformément à un règlement adopté en mai 2024 par la Commission européenne, l'essentiel doit en être versé au Fonds européen pour l'Ukraine.
En 2024, ces fonds ont généré 6,9 milliards de revenus. Euroclear a effectué un premier versement de 1,55 milliard en juillet 2024. Un deuxième versement, de 2 milliards, était prévu pour mars 2025.
Œufs d'or pour la Belgique aussi : l'Etat belge prélève sur ces revenus un impôt sur les sociétés de 25 %. Il a perçu à ce titre, pour 2024, 1,7 milliard. qui devait être rétrocédé à l’Ukraine. Soustrait au Trésor belge, au détriment donc des besoins de la population du pays.
Sources: L'Echo ; La Matinale Européenne ; France Culture ; Les Surligneurs ; La Libre Belgique ; site du Conseil Européen ; Le Soir ; Trends-Le Vif.
https://lamatinaleeuropeenne.substack.com/ La Matinale Européenne du 11 mars 2025 David Carretta et Christian Spillmann)
https://x.com/lecho/status/1902938806199992493
https://x.com/PaulMagnette/status/1897335067392843974"
https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions-against-russia-explained/