Avant même la réunion convoquée pour le premier week-end de mars par la présidente de la Commission européenne pour discuter de la sécurité en Europe, le PDG du groupe allemand Rheinmetall, Armin Papperger, annonçait que son groupe envisageait la conversion de deux de ses usines de composants automobiles, qui fournissaient des pièces pour Golf et Audi, à la production d’armements en raison de la très forte demande. Allant plus loin, il annonçait également vouloir reprendre l’usine Volkswagen d’Osnabrück, menacée de fermeture, pour y produire des chars.
En fait, les perspectives d’affaires sont si bonnes dans le domaine de l’armement suite aux décisions de l’UE de tout faire pour militariser les économies européennes que, si les choses continuent à ce rythme, on risque d’avoir prochainement des missiles Porsche (de luxe, bien entendu...)1. Blague à part, on en est à se demander si l’ancienne ministre de la Défense du gouvernement Merkel et aujourd’hui présidente de la Commission européenne n’aurait pas des rapports un peu trop amicaux avec ses compatriotes du groupe en question.
Ils ont de quoi danser de bonheur les actionnaires marchands du groupe. Selon le site spécialisé dans la défense, Saxo, son chiffre d'affaires en 2024 (7,17 milliards €) a augmenté de 36 %, atteignant 9,75 et l'entreprise prévoit une croissance de 25 à 30 % en 2025. Evolution due au fait que, suivant les commandes chaque fois plus sophistiquées et performantes le groupe investit, en plus du matériel traditionnel, dans des systèmes de drones et anti-drones, des logiciels de combat pilotés par IA et des solutions de défense aérienne mobiles. L’euphorie est telle que Rheinmetall a déclaré qu'elle pourrait assumer, seule, 20 à 25 % des dépenses en équipement de l'OTAN en Europe jusqu'en 20302. Elle se prépare d’ailleurs à la perspective de réarmer l'Ukraine après la conclusion d'un accord de paix au cas où, l’exigence russe d’une Ukraine désarmée ne soit pas adoptée.
Euphorie guerrière...
Non seulement l’OTAN ! Le gouvernement de Berlin a attribué à Rheinmetall un contrat-cadre de 8,5 milliards d’euros pour la livraison d’obus de 155 mm. Pour faire face à une demande d’une si importante dimension, le groupe devra faire appel à ses différentes unités de production implantées en Afrique du Sud, en Espagne, en Hongrie et, prochainement, en Ukraine, où le groupe a récemment annoncé la création d’une coentreprise avec une société partenaire ukrainienne où le groupe prévoit de produire jusqu’à 700.000 obus et 10.000 tonnes de poudre par an3.
Il n’exagère guère alors Armin Papperger lorsqu’il dit prévoir un volume de commandes de 300 milliards € pour l’entreprise au cours des cinq prochaines années car, selon lui, le budget européen de la défense pourrait atteindre 1.000 milliards d’euros d’ici 2030. Avenir si prometteur qu’il envisage d’étendre considérablement sa présence aux États-Unis, où elle réalise actuellement un chiffre d’affaires d’un milliard de dollars. M. Papperger a déclaré que l’entreprise prévoyait au moins de doubler ce chiffre.
Et les politiques dans tout ça ?
Inutile de dire combien la colossale campagne médiatique, 25 heures sur 24 alertant sur l’imminence d’un attaque militaire russe dans nos paisibles communes, accompagnée des bombardements ciblés sur nos villes a eu de succès, tellement elle manie les techniques pour fabriquer des sentiments et comportements anxiogènes. Argument dont l’absurde frôle le pathétique si l’on pense que l’armée russe a tardé presque neuf mois avant de pouvoir reprendre la ville de Koursk
Pas très étonnant, que l’opinion publique générale soit influencée par cette rhétorique. Ainsi, selon un sondage de la chaîne de télévision ZDF, 76% des personnes interrogées se déclarent en faveur d’une augmentation des moyens de la Bundeswehr, même si cela implique une augmentation de la dette du pays. Pas de surprise alors que l’alliance PS-CDU se propose d’avoir une armée de 500 000 soldats. Des voix commencent même à suggérer l’intérêt de songer à l’atome militaire.
Pour ce qui est de la dite gauche, un parti socialiste plus atlantiste que jamais avec le ministre de Défense Boris Pastorius porteur de positions qui n’ont rien à envier à celles de Mme Kallas à l’Union européenne. Plus à gauche, un incident qui s’est produit ce 24 mars lors des débats au Bundestag sur le budget de la défense illustre bien des claires différences entre les forces composantes de la dite ‘gauche radicale’, lorsque le groupe de députés du parti BSW Sahra Wagenknecht a cru opportun de brandir des pancartes avec, en gros caractères, la phrase « En 1914 comme en 2025 : non aux crédits de guerre ! ». Le geste, estimé pas courtois et irrespectueux pour le parlement, motiva un sévère rappel à l’ordre. La personne chargée de la réprimande fut Petra Pau, la vice-présidente du Bundestag, et membre du parti Die Linke.
1. Entre 2021 et 2024, les dépenses de défense totales des États membres de l'UE ont augmenté de plus de 30 %. En 2024, elles ont atteint quelque 326 milliards d'euros, soit environ 1,9 % du PIB de l'UE. https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/defence-numbers/#0
2. https://www.opex360.com/2024/06/22/berlin-a-attribue-a-rheinmetall-un-contrat-cadre-de-85-milliards-deuros-pour-la-livraison-dobus-de-155-mm/
3. https://fr.businessam.be/rheinmetall-forte-croissance-chiffre-daffaires-augmentation-budgets-de-defense-europeens/