« La Force de Paix au Kosovo, placée sous le commandement de l'OTAN ainsi que la police internationale de l'ONU ont lamentablement failli à leur mission de protection des minorités lors des émeutes généralisées qui ont éclaté en mars dernier au Kosovo. »
Human Right Watch :
- Failure to Protect : Anti-Minority Violence in Kosovo, March 2004 -
Le 13 août 2004, douze personnes, originaires de Belgique, France, Suisse, États-Unis, repartis dans 4 véhicules quittent Belgrade. Ce groupe d’observateurs s’était fixé comme objectif de constater sur place, pendant une dizaine de jours, la réalité de l’épuration ethnique au Kosovo et les conditions de survie des populations minoritaires.1
Première constatation : un nettoyage ethnique brutal a accompagné l’entrée des forces de l’OTAN au Kosovo, c’est incontestable
La visite de la mahala rom de Mitrovica, l’une des premières du groupe, en dit long sur la violence du nettoyage ethnique qui a suivi l’entrée des forces internationales au Kosovo. Plus de 7000 Roms habitaient ce quartier situé sur la rive sud de la ville, à proximité du fameux pont sur l’Ibar. C’était le plus grand quartier rom du Kosovo, il a été vidé de ses habitants, puis rasé par les extrémistes de l’UCK le 17 juin 1999, sous les yeux des soldats français.2
Parmi les nombreux témoignages d’une grande intensité humaine, qui se sont enchaînés tout au long du voyage, l’entretien accordé par Marek A. Nowicki fût l’un des plus précieux pour la clarification des éléments d’analyse sur les plans politique, juridique et social. Depuis son entrée en fonction en tant qu’Ombudsman, désigné conjointement par le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU et par l’OSCE, les services de l’Ombudsperson interviennent en tant qu’institution consultative lors de conflits avec l’administration onusienne et locale. Une place de choix pour prendre la mesure de la situation de blocage qui caractérise le Kosovo : absence de droit, absence de sécurité pour les minorités, absence de travail, absence de souveraineté, absence de perspective en dehors de la réalité d’une occupation militaire et policière sans fin. La démonstration détaillée des mécanismes de blocage, générés par l’administration onusienne elle-même, apparaît clairement dans les rapports annuels publiés par l’Ombudsman et consultables sur Internet, mais dont personne ne parle, bien sûr !3
Deuxième constatation : nous sommes concernés qu’on le veuille ou non
Une constante dans les déclarations entendues pendant ce voyage, de la part des interlocuteurs locaux : la solution n’est plus entre les mains des populations concernées. C’est la « communauté internationale » qui a les cartes en main, nous sommes donc collectivement concernés, qu’on le veuille ou non. L’une des exigence de la « communauté internationale » vis-à-vis de l’administration provisoire du Kosovo, à dominante albanaise, est de faire appliquer la Loi. Mais dans les faits, cette exigence n’a pas de sens, d’abord parce que la Loi change en permanence, « transition » post-socialiste vers l’économie de marché oblige, ensuite parce que les instances de recours passent forcément par la structure onusienne de tutelle, la MINUK, dont les fondements ne respectent même pas un principe essentiel qui caractérise la démocratie : la séparation des pouvoirs !
Pour participer au déblocage de la situation au Kosovo, en agissant sur ce qui nous concerne, ici et maintenant, il serait d’abord nécessaire, de faire reconnaître l’erreur de ceux qui avaient soutenu, parfois en toute bonne foi, l’intervention de l’OTAN en 1999. Certains ont déjà reconnu cette erreur4, mais beaucoup d’autres, surfant sur le raz-de-marée médiatique à coloration « humanitaire » initié par les superpuissances, ont été propulsés vers des carrières qui leur permettent maintenant d’ignorer dédaigneusement le sort des populations qu’ils prétendaient défendre. Comment faire pour permettre aux populations concernées de récupérer leur souveraineté démocratique, comment faire pour que les médiateurs, devenus objectivement acteurs, se retirent, en faisant si possible moins de dégâts qu’ils en ont fait en arrivant ?
Ce débat devrait aussi avoir lieu ici, dans nos pays où nous devrions nous interroger sur l’action politique des dirigeants qui nous représentent. Nous avons aussi le devoir de nous interroger sur la nature des interventions d’apparence humaniste, qui s’apparentent trop souvent, dans les faits, à celle du pompier incendiaire. Ce débat est malheureusement déjà occulté par le dossier des opérations de renvoi de requérants d’asile déboutés. Les « bonnes âmes » s’émeuvent en découvrant soudainement devant leur porte, la pointe de l’iceberg politique qui caractérise nos « démocraties occidentales exemplaires », alors qu’on fait silence, depuis 5 ans, sur le sort dramatique des 300 000 déplacés du Kosovo dont nous sommes pourtant collectivement responsables depuis juin 1999 !
Une situation bloquée qui ne déplait pas à tout le monde
Seule certitude pour l’avenir : la base militaire US de Camp Bondsteel est solidement implantée au cœur des Balkans, près de Gnjilane, à proximité de la frontière avec la Macédoine. À quelques kilomètres du fameux corridor 8, destiné à accueillir le pipeline de la compagnie américaine AMBO (Albania, Macedonia, Bulgaria Oil Company). Le corridor 8 est intégré au gigantesque projet stratégique de ligne de communication trans-balkanique destiné à assurer la liaison entre Burgas en Bulgarie et le port Adriatique de Vlore en Albanie, projet dont l’étude de rentabilité fut effectuée par la compagnie d’ingénierie Brown & Root, filiale britannique de la compagnie Halliburton dont Dick Cheney fût PDG avant de devenir vice-président de Etats-Unis…(5)
Ainsi, le destin terrible et sans issue des « damnés du Kosovo » profitera au moins aux multinationales américaines qui pourront amasser des profits substantiels par l’acheminement sécurisé des hydrocarbures en provenance du Caucase. Elles peuvent compter sur le précieux concours de la Trade and Development Agency (TDA), qui se charge déjà d’expliquer aux pays concernés la nécessité « d’utiliser les synergies régionales afin d’attirer les nouveaux capitaux ».
Des profits à l’abri de tout soupçon
Aucun risque pour les auteurs de ces projets de se voir soupçonné un jour ou l’autre d’agissements criminels dans cette affaire, puisqu’un Tribunal sur mesure, le TPIY, a été mis en place et financé notamment par capitaux privés ( !) pour condamner le coupable officiel de cette épouvantable tragédie. La mission de ce Tribunal mis en place par le Conseil de sécurité de l’ONU, est précise : il faut donner le poids d’un jugement à la thèse du tyran Milosevic, instigateur et maître d’œuvre d’un « projet génocidaire de Grande Serbie ethniquement pure ». Accusation largement relayée par nos médias est pourtant totalement dénuée de sens, dès lors que la Serbie elle-même n’a jamais été un Etat ethniquement pur et qu’elle reste, de fait, le dernier espace multiethnique de toute l’Ex-Yougoslavie !
Mais des faits nouveaux sont là : la réalité quotidienne du Kosovo est à tel point catastrophique, que toute personne sensée doit admettre qu’elle s’est dramatiquement dégradée suite à l’intervention de l’OTAN, dans l’immédiat, sur le plan des droits de l’Homme et de la sécurité et par la suite sur le plan économique et social. Dès lors, la course contre la montre est engagée car la question du statut final doit revenir sur le tapis dans le courant de l’année 2005, il sera alors très difficile de cacher la situation qui prévaut au Kosovo. Pour les procureurs du TPIY, il s’agit donc, coûte que coûte, de faire adopter au plus vite par le jury le chef d’inculpation de génocide pour justifier a posteriori l’intervention militaire illégale de l’OTAN en 1999, au besoin, en faisant taire l’accusé. C’est précisément ce qu’ils tentent d’obtenir en imposant des avocats à la défense.
Philippe Scheller
Participant au voyage au Kosovo
Membre du Comité pour la paix en Yougoslavie
Genève, le 5 septembre 2004
1 Journal du voyage consultable sur le site du Comité de surveillance OTAN www.csotan.org Un rapport de synthèse est actuellement en préparation ainsi que le montage d’un sujet vidéo.
2 Interview avec un responsable du camp de Leposavic (Nord Kosovo) sur www.csotan.org
3 Ombudsperson Institution in Kosovo www.ombudspersonkosovo.org
4 Déclaration du major-général MacKenzie" Nous avons bombardé le mauvais côté" "The National Post - 6 avril 2004 www.gael.ch/collectif/damnes/20040501.html
5 Michel Collon, « Monopoly - L'OTAN à la conquête du monde », éd. EPO - 2000, p. 98-99 et Michel Chossudovsky « Les États-Unis sont en guerre en Macédoine » - juillet 2001.