Casques bleus au Soudan, première étape vers l'implication directe de l'Otan?
Roland Marounek 30 septembre 2006 Ce 31 août, le Conseil de Sécurité de l'ONU a adopté la résolution présentée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne (Résolution 1706) prévoyant le déploiement de plus de 20.000 Casques bleus au Darfour. Le Soudan s'insurge contre ce qu'il considère une tentative de recolonisation, et a déjà catégoriquement rejeté cette résolution : « [Le Soudan est]déterminé à vaincre n'importe quelle force étrangère qui entrera dans le pays, comme le Hezbollah a battu les troupes israéliennes » a averti le président soudanais1. « Nous avons besoin de développement et d'assistance, mais pas de soldats », déclare le ministre des Finances soudanais. « Le problème au Darfour est un problème de développement. C'est un problème d'eau et de ressources »2 Les États-Unis sont quant à eux décidés à imposer par tous les moyens cette présence militaire : « [la résolution] invite à obtenir l'accord du Soudan. Rien n'exige l'accord du Soudan » selon l'ambassadeur US aux Nations Unies, John Bolton3. Selon le porte-parole du département d'Etat, « Le Soudan a l'obligation d'accepter cette force dans le cadre du processus de paix qu'il a signé »4. Le contraste est intéressant avec l'application de la résolution 1701 d'envoi de casques bleus au Liban, où on laisse même l'agresseur choisir soigneusement quel pays peut et ne peut pas faire partie de la force d'interposition. Le Soudan est accusé, selon l'opportunité, de collusion avec al-Qaida ou de génocide, avec parfois un remarquable mix des deux, comme lorsqu'on avait propagé l'info selon laquelle le régime soudanais avait testé contre sa population des armes chimiques fournies par la Syrie5. Une grande campagne médiatique se met en place, sur le thème de l'indifférence de la communauté internationale face à une catastrophe humanitaire, indifférence due à l'absence d'intérêts économiques6. On retrouve dans cette campagne des personnages aussi compatissants que Colin Powell, Madeleine Albright, une kyrielle d'organisations sionistes, et en France Kouchner et les Dupont-Dupond de l'humanitaire, André Glucksman et BHL Déjà vu ? Les interventions otaniennes contre la Yougoslavie avaient été également précédées d'une campagne du même genre, avec les mêmes arguments et pratiquement les mêmes acteurs. Comme alors, des chefs de guerres plus ou moins instrumentalisés ont peu de raison de respecter ou de s'engager dans un accord de paix, alors qu'ils ont la certitude du soutien de la 'Communauté Internationale' (c'est à dire USA & alliés) contre le gouvernement central. La prétendue indifférence de la dite Communauté Internationale peut se mesurer à l'intensité des pressions exercées par les États-Unis depuis 3 ans pour une intervention au Soudan. Quant au désintéressement, on oublie opportunément de rappeler que le Soudan regorge de pétrole, et que l'exploitation de celui-ci échappe actuellement aux compagnies occidentales7. Il est assez raisonnable de prévoir que le Soudan finisse par céder aux pressions, et que les troupes constituant la force des Nations Unies seront issues de pays possédant une force militaire "crédible", soit en clair comme dans le cas libanais, de pays de l'OTAN. La suite du programme avait été donnée l'année passée par George Bush lui-même : « L'OTAN pourra entrer en jeu avec l'aide des Etats-Unis dans le cadre de l'ONU, pour signifier au gouvernement soudanais que nous avons l'intention d'apporter la sécurité à la population »8. Bush louche visiblement du côté de l'Afghanistan, où une force de maintien de la paix de l'ONU s'était transformée insensiblement (pour ceux qui regardaient ailleurs) en une force de l'OTAN pleinement engagée dans la guerre états-unienne "contre le terrorisme". Mais le scénario pourrait ne pas fonctionner aussi idéalement que prévu. Les difficultés actuelles des Alliés en Afghanistan commencent à en refroidir quelques-uns. Il ne s'est trouvé aucun candidat, à part la très fidèle Pologne, pour répondre à l'appel d'envoyer davantage de troupes dans le bourbier afghan. La perspective d' un nouveau bourbier rencontrera-t'elle plus de succès ?
1 Libre Belgique, 1er sept. 2006 |