Nouvelle independance du Kosovo
Georges Spriet 19 mars 2008 La majorité de la population du Kosovo veut cette indépendance. L’occident a joué adroitement de cela. Voilà un nouveau pays sur la carte, qui ne deviendra pas membre de l’ONU à bref délai et qui a peu d’atouts pour être réellement autonome : troupes de l’Otan, Administration américaine, débâcle économique. Du fait que la séparation ne s’est pas produite par un accord réciproque et a été imposée à la Serbie, on a créé un dangereux précédent et on ignore les résolutions existantes des Nations Unies. La Serbie a dû abandonner le contrôle de sa province du Kosovo en juin 1999, après 78 jours de bombardements par l’OTAN. Bien que cette guerre ait été menée en dépit des Nations Unies – le Conseil de sécurité n’a jamais donné son approbation -, l’organisation mondiale par la résolution 1244 a régularisé la situation en plaçant le Kosovo sous le contrôle des Nations Unies (MINUK) et en accordant à l’OTAN le droit de développer une présence militaire. Un processus politique était prévu dans le but de déterminer le futur statut du Kosovo, dans lequel « la souveraineté et l’intégrité territoriale » de la Serbie était garanti. La Serbie était donc une des deux composantes de ce qui restait encore de la République Fédérale de Yougoslavie. Statut La MINUK s’est tenue, pendant toutes ces années, à une ligne de conduite, dans laquelle des normes démocratiques devaient d’abord entrer en pratique avant qu’on parle du statut de la région : « d’abord les normes, ensuite le statut ». La plupart de ces normes n’ont jamais été atteintes. En ce qui concerne en particulier les droits humains il y a toujours des frictions (les non-Albanais sont chassés ou enfermés dans des ghettos) et une absence de justice (impunité totale pour les criminels de guerre et aucun dédommagement pour les méfaits commis). En octobre 2005, le diplomate norvégien, Kai Eide, remit un rapport qui montrait un sinistre état des choses. Paradoxalement, il en conclut que désormais la détermination du statut devait prendre le pas sur les normes démocratiques. Mais cela n’a pas amélioré la situation. Au contraire, de lourds problèmes économiques sont venus s’y ajouter. Le Kosovo a, en effet, le taux de chômage le plus élevé de l’Europe1. Les recommandations de Eide furent suivies par le gouvernement serbe et les autorités albanaises de Pristina et, en mars 2007, les négociations sur le futur statut du Kosovo ont commencé. Les deux parties avaient des positions radicalement opposées. Pristina ne veut entendre parler que d’une indépendance immédiate, Belgrade est résolue à accorder une grande autonomie au Kosovo, seulement sur base du respect des frontières serbes. Les négociations restèrent sans résultat. L’ONU avait envoyé un représentant spécial pour mener ce processus : le finlandais Martti Athisaari, qui avait déjà négocié en 1999, avec le président yougoslave de l’époque, Milosevic, la fin des bombardements et la résolution 1244. En mars 2007, Athisaari propose dans son rapport au Conseil de sécurité, d’accorder au Kosovo « une indépendance sous surveillance », proposition qu’il avait lui-même lancée en démarrant les négociations. Selon son plan, le Kosovo aurait tout d’un Etat indépendant, mais resterait sous l’occupation des troupes de l’OTAN, qui devraient également diriger la nouvelle armée kosovare. La MINUK serait remplacée par une administration de l’UE qui exercerait des fonctions d’« encadrement, surveillance et conseil » dans les affaires civiles et policières. Séparation Entre mai et juin 2007, la Russie s’est opposée à six projets de résolutions du Conseil de sécurité sur le plan Athisaari. Moscou soutient le principe qu’une solution ne peut être trouvée qu’avec l’assentiment des deux parties, et ne veut pas que Belgrade se voit imposer quelque chose unilatéralement. Surtout, Moscou pense qu’il n’y a aucune raison que cette approche de la question du Kosovo ne soit pas un précédent pour, par exemple, les « conflits gelés » de l’ex-URSS où différentes entités pro-russes seraient candidates à leur indépendance. Pour essayer de sortir de l’impasse, l’ONU mit sur pied une « troïka » avec les Etats-Unis, la Russie et l’UE, qui devrait mener les ultimes négociations et remettre un rapport le 10 décembre 2007 au secrétaire général . Le 28 septembre 2007, les négociations entre Pristina et Belgrade recommencèrent, avec des étapes à New York, Vienne, Bruxelles. Aucun progrès ne s’est manifesté et les dirigeants albanais du Kosovo avertirent qu’ils allaient décréter leur indépendance sous peu, avec ou sans l’approbation des Nations Unies. L’UE et la Russie ne voulaient rien entendre, mais les Etats-Unis ont fait savoir qu’ils étaient prêts à trouver une solution en dehors de l’ONU et reconnaitraient un Kosovo indépendant. Un bon nombre d’états membres de l’UE redoutent une « contamination sécessionniste », mais en général il y aurait un consensus pour reconnaître une indépendance « selon les règles », c'est à dire via une résolution de l’ONU. L’Espagne, la Roumanie, Chypre, la Slovaquie, expriment les plus grandes réserves quant à une déclaration unilatérale d’indépendance. Ils se réfèrent au droit international, ou rappellent leurs engagements à ne pas rompre les liens avec la Serbie, mais ils sont surtout préoccupés par les possibles conséquences dans leurs pays respectifs, où le pouvoir central doit affronter les sérieuses revendications indépendantistes de certaines régions, ou des situations de facto comme la Chypre turque. Compromis ? L’Allemagne a depuis des années une grande influence aux Balkans. En 1991, elle fut la première à reconnaître l’indépendance de la Croatie, qui a ouverte la voie à la guerre en Bosnie-Herzégovine. En 1996, les services secrets allemands ont armé l’Armée de Libération Kosovar (UCK). L’OTAN a rendu la Serbie responsable de la guerre de 1999, par le fait de sa riposte aux actions de guérilla de l’UCK. Depuis les accords de Rambouillet, les Etats-Unis sont les meilleurs amis de Pristina (avec entretemps, l’installation d’une énorme base au Kosovo, Camp Bondsteel). Mais l’Allemagne conserve des positions clés : c’est l’allemand Joachim Rucker qui a la direction de la MINUK. L’armée allemande, avec ses 2500 soldats, fait partie de la colonne vertébrale de la KFOR, et l’allemand Wolfgang Ischinger (ancien ambassadeur à Washington) est le représentant de l’UE dans la troïka2 En 2007, la position allemande est assez différente de celle des années 1990. Manifestement, on ne veut pas trop affronter la Russie. Berlin semble chercher un compromis. Au mois d’août, Ischinger annonça qu’il ne fallait pas exclure l’idée d’un éclatement du Kosovo, où le nord resterait en Serbie et le reste deviendrait indépendant. Washington et Pristina ont immédiatement rejeté cette idée, et Belgrade a averti qu’il n’était pas question de l’amputer de sa province. Cependant, l’idée continue à traîner, dans les cercles diplomatiques. Il est frappant dans ce processus, que l’on ne tient pas ou très peu compte des positions serbes. Belgrade a présenté des plans très élaborés, qui unissent l’intégrité territoriale et l’autonomie, suivant le modèle de Hong Kong. Mais il est clair que, depuis les élections, Pristina ne veut rien d’autre que son indépendance totale à brève échéance. Cette position de l’Occident n’est certes pas nouvelle. (...) Thaci3 Le nouvel homme fort du Kosovo, Hashim Thaci, n’est pas une personne irréprochable. Des documents d’Interpol et du Congrès Américain attestent les liens entre Thaci et le crime organisé. En mai 1999, le Washington Times a publié les conclusions suivantes : « Certains membres de l’UCK, qui financent sa guerre par le commerce de l’héroïne, ont été entraînés dans des camps terroristes sous la direction de Bin Laden en Afghanistan, mais également en Bosnie Herzégovine et ailleurs. Des terroristes islamistes combattraient aux côtés de l’UCK ». Hashim Thaci fut arrêté en juillet 2003 par Interpol, mais dut être relâché immédiatement sur l’ordre de la MINUK. Selon Vladan Batic, alors ministre serbe de la Justice, le Tribunal de La Haye pour la Yougoslavie aurait constitué un lourd dossier contre lui. Selon des communiqués de l’agence yougoslave de presse, Tanyug, Madeleine Albright, alors ministre des affaires étrangères des Etats Unis, aurait ordonné à Carla del Ponte, en avril 2000, d’effacer Hashim Thaci de la liste des suspectés de crimes de guerre. Celle-ci l’a fait en déclarant qu’il n’y avait pas assez de preuves contre Thaci pour l’accuser. Droit International Selon Olivier Corten de l’ULB, on ne peut pas invoquer le droit international pour reconnaître l’indépendance unilatéralement déclarée du Kosovo4. Il souligne tout d’abord que seuls les peuples vivant dans une situation coloniale ou postcoloniale peuvent invoquer le droit à l’autodétermination. Cela veut dire, des peuples vivant sur un territoire qui est géographiquement séparé de la métropole. Il n’existe pas de droit à la sécession pour des minorités qui vivent sur le territoire d’un Etat. Ceci est un principe généralement admis et incontesté. Le deuxième point concerne la définition d’un Etat selon le droit international. Trois éléments sont nécessaires : un territoire, une population et un gouvernement souverain. Des entités sont devenues souveraines après que le vieil Etat central ait donné son accord (par exemple, le Bengla Desh, l’ex-URSS, les ex-républiques yougoslaves). Cette acceptation n’existe pas dans le cas du Kosovo. De plus la souveraineté du Kosovo est impossible sans l’OTAN. Le Kosovo n’est donc pas un Etat indépendant au sens où le droit international l’entend. Un troisième point concerne la résolution 1244 de l’ONU qui parle d’autonomie du Kosovo dans le cadre de l’intégrité territoriale de République fédérale Yougoslave. Le plan Athisaari prévoit une indépendance sous surveillance. Mais ce plan n’a pas été couvert par l’ONU. La reconnaissance de l’indépendance autoproclamée du Kosovo est donc une affaire purement politique et ne peut en aucun cas relever du droit international. C’est ainsi que le professeur Corten conclut son analyse. Conséquences La déclaration unilatérale d’indépendance nie la résolution 1244 de l’ONU, dans laquelle l’intégrité territoriale de la Serbie était garantie. Si les Etats-Unis et l’UE ignorent cette résolution, ce sera un nouveau coup pour l’autorité de l’ONU. L’UE dit qu’elle va aider le Kosovo indépendant à construire un Etat de droit, mais elle le fait en foulant aux pieds le droit international. Un Etat est indépendant quand le reste du monde le reconnaît comme tel. Par exemple, le Punt land, au nord ouest de la Somalie, s’est autoproclamé indépendant, mais cela a été nié par la « Communauté internationale ». En étant reconnu par la plupart des pays membres de l’UE, par les Etats-Unis et le Canada, le Kosovo serait en meilleure position. Mais le point de vue de la Serbie et de la Russie est connu. Avec le droit de veto de la Russie au Conseil de sécurité le Kosovo deviendrait difficilement membre des Nations Unies. D’autres conséquences et dangers vont surgir. On se demande quelle est encore la valeur d’une résolution de l’ONU ? Quelles contre-mesures sont préparées par Belgrade ? Comment va réagir la minorité serbe du Kosovo ? Et les pays voisins ? Les frontières des autres pays qui faisaient partie de l’ex-Yougoslavie seront-elles à nouveau contestées par les Albanais de Macédoine, les Albanais du Monténégro, les Croates et les Serbes de Bosnie Herzégovine ? Qu’en est-il de l’idée de la Grande Albanie ? Comme dit plus haut, la Russie pense que le Kosovo n’est pas un cas unique, et que ce dossier peut être un précédent pour d’autres problèmes territoriaux : Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du sud, Crimée, etc.. « Failed State » organisé L’Occident va donc reconnaître un Etat qui s’est constitué grâce aux bombardements de l’OTAN, grâce à l’épuration ethnique, avec des dirigeants qui ont des liens avec le crime organisé, grâce à la propagande, par la négation des résolutions de l’ONU, et par le refus absolu d’accepter le moindre compromis.5 La tutelle occidentale sur le Kosovo des 8 dernières années, ne peut hélas présenter un fantastique palmarès. Le Kosovo est en général considéré comme le territoire où le crime organisé peut opérer librement. L’épuration ethnique « inverse » d’août 1999, dont 200.000 habitants serbes et roms du Kosovo furent les victimes – peut être difficilement considérée comme de la bonne gouvernance et du respect pour les droits humains. Le Kosovo actuel est constitué de communautés entièrement séparées les unes des autres, où les minorités serbes et autres vivent dans des ghettos. L’économie ne produit presque rien, le marché noir est largement répandu. Le courant électrique est coupé pendant des heures chaque jour. Le chômage atteint 70% de la population. Si on y ajoute le fait que de nombreux dirigeants sont sous le coup de lourdes accusations de crimes de guerre, alors on a tous les ingrédients d’un « failed state », avant même que le territoire apparaisse sur les cartes comme un Etat indépendant. Tout cela malgré les milliards de dollars qui y ont été déversés depuis 1999.6 Cependant, les dirigeants occidentaux – après 8 ans d’échec de leur direction – se donnent le droit de poursuivre dans cette ligne. L’UE a déjà complètement préparé le remplacement de la MINUK. D’ici 4 mois, on va envoyer une mission au Kosovo avec plus de 2000 personnes pour remplir l’appareil juridique, administratif et policier : des juristes, des policiers, des secrétaires et des douaniers. Est-on sûr qu’ils parlent tous albanais ? Ou veut-on offrir aux Kosovars un puissant développement économique dans le secteur des traducteurs ? En tout cas, on semble convaincu que ce nouvel Etat n’a pas les possibilités de s’organiser par lui-même et qu’il aura pendant longtemps encore besoin des troupes de l’OTAN et du personnel de l’UE. A une autre époque n’aurions-nous pas appelé cela une colonisation annoncée ? Aujourd’hui on l’appelle indépendance. 1. Georges Berghezan : Kosovo, statut embourbé en terrain miné. Le drapeau rouge, décembre 2007 n°20 |