Le bouclier anti-missiles et l'Otan
Georges Spriet 19 mars 2008 La protection contre des missiles offensifs est manifestement une des premières mesures de l'Otan au cas où un allié se trouve en danger. C'est ainsi que la Turquie a reçu des missiles Patriot dans le cadre de l'Otan, lors des Guerres du Golfe en 1990-93 et en 2003. En mars 2005, l'Otan a entamé le programme ALTBMD (Active Layered Theatre Ballistic Missile Defence). Il s'agit d'une protection locale contre les missiles, qui comprend plusieurs niveaux. ALTBMD se propose de développer différents systèmes de boucliers anti-missiles en un réseau cohérent de protection d'opérations de troupes. Il serait prêt en 2010. Pendant une rencontre des ministres de la Défense de l'Otan en juin 2006, une étude de faisabilité a été présentée en vue d'un bouclier antimissiles plus général, qui ne protégerait pas seulement les troupes, mais également de grands morceaux de territoires et même des villes. Les discussions comportent un volet militaire, mais aussi un volet un volet politico-militaire. D'après ce qu'on dit, on tendrait de plus en plus vers une défense « full-spectrum », à la fois contre des missiles tactiques et contre des missiles stratégiques. L'Otan fait la constatation que le nombre de missiles balistiques hors de l'Alliance augmente, et insiste que ceux-ci pourraient être chargés d'armes de destruction massive. Il pourrait d'ailleurs se produire un chevauchement entre des états et des groupes « terroristes », comme c'est le cas en ce qui concerne les missiles à courte portée pour le Hesbollah (Liban) et la Syrie et l'Iran. Tout le monde n'est pas convaincu des possibilités techniques, ni même du danger imminent. Tout le monde ne suit pas la ligne des Etats-Unis. Il semble quand même qu'une unanimité existe parmi les états membres de l'Otan sur le risque d'une évolution rapide dans ce dossier ; soit qu'un pays commence à exporter des technologies et des missiles (on pense en premier lieu à la Corée du Nord), soit qu'un changement de régime modifie les circonstances. En soi,même des missiles techniquement non fiables (chargés d'armes de destruction massives) constituent un danger. Les partisans argumentent qu'un bouclier anti-missiles de l'Otan aurait par lui-même un sérieux degré de dissuasion car il signifierait un mur de défense trop fort pour un éventuel attaquant et surtout les représailles des Alliés seraient trop puissantes. Mais un bon bouclier de l'espace donnerait aussi aux Alliés un plus grand espace de manœuvre que l'attaque préventive purement militaire : une autre stratégie à long terme serait plus envisageable et pourrait être plus soutenue. Un bouclier de l'espace offrirait encore l'avantage de répondre de façon différenciée à des crises déterminées : une hausse de l'état d'alerte du bouclier peut donner à l'adversaire un message de cohésion, de conviction et de détermination. Ainsi, toujours selon les partisans, la fourniture des Patriots à Israël en 1991 avait aussi un rôle d'apaisement, de limitation du conflit, de gestion de crise. Il reste toutefois beaucoup de questions en discussions, même dans l'éventualité qu' on serait d'accord en principe : les structures de commandement et d'instructions ; qui reçoit quoi ; une croissante indépendance vis-à-vis de la technologie US ; quid des fragments et des charges nucléaires d'un missile intercepté ; transferts de technologies ; coûts ; analyse de la menace ; et.. ce qui n'est pas la moindre chose : les réactions de la Russie. Des structures de commandement et d'instruction doivent d'abord être établies avec précision, dit-on . En pratique, la direction militaire actuelle, le Saceur (Supreme Allied Commander Europe), pourrait recevoir la responsabilité finale. De toutes façons, des questions restent encore posées. Par exemple : quels pays, quelles villes seraient protégés le mieux et en premier lieu ? les pays les plus actifs ? quid des pays européens neutres ? Quels intercepteurs servent la Défense américaine en premier lieu ? La question des chutes de fragments de missiles atteints et charges nucléaires est une problématique qui doit être également envisagée. Que faire si ces morceaux tombent sur un pays contre lequel aucune attaque n'aurait été lancée ? ou si ce pays n'était pas membre de l'Otan ? D'autre part, des fragments pourraient brûler entièrement à leur entrée dans l'atmosphère. Même une arme à tête nucléaire ennemie conçue spécialement pour exploser dès l'interception (une preuve de haute technologie) et qui pourrait engendrer un choc électromagnétique, provoquerait moins de dégâts qu'une explosion nucléaire au sol. Ces constats ont fait dire à un officier britannique : « aucun Etat européen, du moins je l'espère, ne refuserait le risque d'une petite pluie de fragments sur son territoire si c'est le prix à payer pour sauver une nation amie ou un pays allié d'une attaque de missiles ». Par ailleurs, les oppositions ou les appréhensions de la Russie doivent pouvoir se traiter par la consultation et le dialogue, qui est en cours déjà depuis 2002. Les partisans du bouclier otanien disent aussi que le fait qu'un bon bouclier pousserait l'ennemi à chercher d'autres techniques d'attaques, ne doit pas servir d'argument contre le Missile Défense. C'est pourquoi l'Otan cherche aussi des technologies de protection contre les missiles de croisière, contre les avions avec ou sans pilotes. C'est pourquoi le contrôle des ports doit être également renforcé. Seuls les intercepteurs de courte portée peuvent faire quelque chose contre les missiles de croisière. Il est donc très important que les membres de l'Otan continuent à investir dans les différents aspects de la défense antimissiles. Un sérieux « problème » réside dans les limitations des budgets militaires de la plupart des Etats européens membres de l'Otan et dans le fait que d'autres priorités s'imposent : aux Balkans et en Afghanistan par exemple avec la transformation de leurs armées pour agir comme forces d'intervention effectives. Peut-être que plusieurs d'entre eux souhaiteraient attendre que les problèmes technologiques posés par le bouclier antimissiles soient d'abord réglés de façon convaincante. La stratégie des Etats-Unis pour convaincre les Alliés, consiste à faire un détour, en réalisant des accords bilatéraux, en supposant qu'à un certain moment, suffisamment de pays seraient concernés pour entraîner toute l'Alliance. Travailler directement avec l'Otan ne rencontrerait peut-être pas de consensus. Donc l'approche dispersée semble plus appropriée. A la mi-juin 2007, les ministres de la Défense de l'Otan se sont mis d'accord pour réaliser un schéma de bouclier de l'espace qui protégerait les pays membres du sud-est qui ne seraient pas couverts par les intercepteurs US. Cela veut-il dire une approbation implicite des uns et des autres, ainsi que Washington l'interprète ? Jaap de Hoop Scheffer se positionne clairement quand il affirme : « la route pour le bouclier de l'espace est tracée... elle est pratique et tout le monde est d'accord ». Il y a certes des projets dans ce sens. Il y a le SAMPT programme avec la France et l'Italie ; le Patriot programma avec l'Allemagne, la Hollande et les Etats-Unis ; le Medium Extended Air Defence System (MEADS) avec l'Allemagne, l'Italie et les Etats-Unis. SAMP-T, Patriot et MEADS sont des systèmes défensifs contre les missiles à courte portée. Et ensuite, l'installation d'un site pour radar en République Tchèque et une base d'intercepteurs en Pologne. Dans le débat autour des éléments « européens » du bouclier de l'espace, on oublie souvent le troisième larron : la Grande Bretagne. A Fylingdales l'installation de radars existante a été modernisée et est actuellement entièrement prête pour s'intégrer au système. L'été passé, le ministre britannique de la Défense Des Browne, a annoncé que la base US d'espionnage de Menwith Hill serait utilisée comme élément du système antimissiles . Cela n'était pas une surprise, vu que la station est déjà utilisée pour le système de recherche infra-rouge dans l'espace. Avec le nouveau gouvernement de Gordon Brown on dit même que la Grande Bretagne pourrait elle aussi installer des missiles intercepteurs. sources:
|