Transcription de l'interview de Françoise Wallemacq de retour de Syrie
Source : RTBF
21 novembre 2011

Interviewer : On va s'intéresser à la Syrie ce matin, où les manifestations d'opposants se poursuivent, manifestation mais répression aussi... bonjour Françoise Wallemacq.[...]. D'abord sur l'état d'esprit des Syriens. Vous avez rencontré là-bas des gens convaincus, résolus? Quel est l'état d'esprit des opposants?

FW : Les opposants, je ne les ai pas rencontrés parce que c'était un voyage assez surveillé... J'ai rencontré des opposants qui manifestaient un soir dans un petit village de manière extrêmement joyeuse et bonne enfant, il n'y avait pas de trace d'armée Ce que j'ai rencontré c'est plutôt la population syrienne, un peu au hasard de mes rencontres, que ce soit des chrétiens ou des musulmans, et dans l'ensemble, j'ai le sentiment que la grande majorité des Syriens soutient encore le président Bachar El Assad, que les Syriens ont très peur d'une déstabilisation de leur pays, il fait savoir que 40 confessions différentes coexistent harmonieusement depuis 7 siècles dans ce pays, et qu'ils ont très peur d'une déstabilisation, d'une guerre civile et peut-être plus tard d'une guerre de religion.

Alors dans quelles conditions avez-vous réalisé ce reportage, vous l'avez dit c'était un reportage surveillé, est-ce que vous avez pu vous déplacer librement, choisir les endroits ou vous alliez, rencontrer les gens que vous désiriez rencontrer?

On était invité par des religieuses catholiques [...] ces religieuses en nous invitant faisaient un petit peu le jeu du pouvoir, puisque c'est vrai que le pouvoir a toujours protégé les minorités religieuses, c'est pour ça qu'ils nous ont je pense laissé rentrer, il y a extrêmement peu de journalistes qui rentrent ouvertement en Syrie. Alors : le ministère de l'information était au courant des endroits où nous allions ["mh mh", appuie l'interviouveur], nous avons pu aller à Homs, dans des viles qui sont soumises à l'insurrection, je vous le disais on n'a pas pu rencontrer les insurgés, c'était trop dangereux, et puis on était encadrés, mais on a pu, je trouve, circuler assez librement et le dernier jour à Damas on a pu parler avec à peu près tout le monde dans la rue et je pense que ce n'était pas entièrement organisé puisque les gens qu'on croisait dans la rue euh nous disaient leur attachement au régime et disaient qu'on mentait et que les télévisions étrangères dont Al-Jazira manipulaient la réalité et que ce n'était pas ce qui se passait dans le pays.
J'ai eu l'impression moi aussi que ce qu'on lit dans les dépêches chez nous n'est pas du tout ce qui se passe sur le terrain. Il faut savoir que la seule source d'information de toutes les Agences de Presse est un homme basé à Londres, Monsieur Abdel Rahmane, qui dirige l'Observatoire des Droits de l'Homme, et que personne n'a jamais rencontré. [remarque qui n'empêchera nullement les jours suivants le journaliste de faction de reprendre sans sourcilier les chiffres des civils tués donnés par cet Observatoire au nom qui a l'air si officiel]

Ouais... C'est important ce que vous nous dites. Est-ce que ça veut dire que la Syrie n'est pas le pays en proie aux manifestations d'opposition dont on parle quasi quotidiennement chez nous?

Il y a des manifestations d'opposition sans doute quotidiennes, il y a aussi des manifestations pro Bachar El Assad qui ont réuni mercredi passé 1 million de personne par exemple à Damas, et je ne peux pas croire que ces gens soient payé pour descendre dans la rue et manifester leur soutient à leur président avec le sourire. Il me semble que c'est difficile de manipuler une telle ferveur populaire, un tel soutient de la population…

Ce ne sont pas des manifestations organisées, il n'y a pas des cars qui amènent les manifestants? [on sent son désarroi]

Il y a des consignes qui circulent sur Facebook, on a rencontré des jeunes Druzes qui venaient manifester en faveur du président, et qui s'étaient donné le mot par Facebook, mais cela ne m'a pas l'air organisé par le pouvoir et je vois difficilement comment il pourrait le faire.

Alors de notre point de vue, on sait qu'au début c'était des manifestations pacifistes, de plus en plus on parle d'une opposition armée en Syrie avec un risque de basculement dans une guerre civile, est-ce qu'on en est là ou pas?

Tout à fait. J'ai vu des blessés, dans les hôpitaux de Homs, qui étaient blessés par des armes lourdes, c'était des militaires, des soldats des forces de l'ordre, qui étaient blessé par des éclats de shrapnels, d'armes lourdes. Apparemment les opposants sont armés et bien armés, avec beaucoup de munitions et bien sûr tout le monde se demande qui les arme et qui les finance. L'opposition se trouve à l'extérieur du pays, au Liban et en Turquie et reçoivent apparemment des financements de pays étrangers
[...] Les reportages d'aujourd'hui sont consacrés à la vile de Homs, qui contrairement à ce qu'on imagine n'est pas une ville en état de siège, c'est une ville qui fonctionne normalement, avec un petit quartier qui est en proie à l'insurrection surtout la nuit. On va entendre que les gens sont terrorisés et qu'il y a des actes de barbarie, euh dans les 2 camps je pense [pourquoi ? Pour se racheter d'avoir osé contredire la propagande?], que des vidéos circulent d'hommes dépecés, coupés en morceaux, et le pouvoir a tout avantage à terroriser la population par ces vidéos pour les empêcher de descendre dans la rue [ouais, souligne l'interviouvant], mais aussi assurer une sorte de cohésion grâce à la peur autour du pouvoir. Donc je vous disais, le sentiment qui règne en Syrie c'est la peur, et un sentiment d'injustice et d'incompréhension de la part du monde extérieur.

Mmh. Donc un climat de terreur quand même [ouf], quand vous dites que des vidéos qui circulent avec des corps dépecé, c'est pas rien...

Alors je peux vous dire que c'est assez effrayant, je n'y croyais pas moi-même, j'ai demandé à les voir à la morgue, et je l'ai vu, j'ai vu des corps atrocement mutilés

Commentaire (Roland Marounek)

La journaliste tout en allant frontalement à contre courant de la propagande, ce qui est la preuve d'un certain courage, se sent néanmoins dans l'obligation de dire, pour se dédouaner, que "le voyage était assez surveillé" (contredit par la suite du témoignage), que "les actes de barbaries sont commises, je pense, par les deux camps", ou que "le pouvoir a tout avantage à terroriser la population"... De manière assez raisonnable, on aurait aussi pu penser le contraire : que "le régime" a intérêt plutôt à appaiser la situation, pour éviter le piège de "l'intervention humanitaire" dans lequel les pays de l'Otan tentent de pousser le pays, et que les opposants, quelles que soient leur bonnes ou moins bonnes raisons, qui cherchent eux l'intervention de l'Otan, ont tout intérêt au contraire à maintenir et alimenter ce climat. Quoi de mieux dans ce cas que des massacres incitant éventuellement à la haine et la vangeance? "Je serais quelque chose comme la CIA", en tout cas, moi je n'aurais pas fait autrement, comme ça a si bien marché au Kosovo par exemple.