Ne faites pas de la Syrie un deuxième Irak
Source : Extrait du Bulletin d’Information de VREDE, mars 2012
Ludo De Brabander
31 mars 2012

A la mi-février, Guy Verhofstadt a fait un plaidoyer pour « une intervention humanitaire » en Syrie. Il y soutenait la nécessité d’un soutien financier et matériel à l’opposition, y inclus éventuellement des armes. Le chef du groupe libéral au Parlement Européen, a parlé, sur un ton dramatique, du « moment –Benghazi de la Syrie ».

Pour rappel : Verhofstadt était un des plus fervents défenseurs d’une intervention militaire en Libye, pour « sauver la révolution démocratique ». Au bout d’un an, on ne peut pas dire que cela va mieux dans ce pays, mais nous n’entendons plus rien sur ce sujet de la part de notre ex-Premier ministre. La Libye a disparu des actualités. L’opération de l’OTAN « pour protéger les populations » s’est pourtant soldée par la mort de 50.000 personnes et des destructions énormes dans plusieurs villes. Si nous en croyons les organisations humanitaires, le bilan pour la Libye est comparable à un scénario irakien. Des milices armées incontrôlables font la loi. Les tortures et les meurtres sont monnaie courante. Des conflits ethniques et religieux éclatent et menacent de s’étendre. Les politiciens comme Verhofstadt qui avaient un irrésistible besoin d’agir, n’entendent même plus les avertissements des experts. Ils risquent de créer exactement ce qu’ils prétendaient vouloir éviter : une catastrophe humanitaire.

La plupart des gens ne doutent pas que le régime syrien ne respecte pas les droits humains, et riposte brutalement aux manifestations et aux mouvements armés. Mais la proposition de Verhofstadt d’armer l’opposition, revient à mettre de l’huile sur le feu. En fait, le conflit à Homs, la ville où se joue actuellement un drame humanitaire, est le résultat d’un combat entre l’armée (gouvernementale) et l’opposition armée. Si, comme en Libye, on arme cette opposition et on lui offre un soutien aérien, on crée une lourde hypothèque sur l’avenir du pays. Intervenir militairement dans le paysage politique et ethnico-religieux complexe de la Syrie, revient à entretenir un conflit sans fin entre des armées irrégulières. Les organisations pacifiques démocratiques, qui existent bel et bien au sein de l’opposition syrienne , sont complètement mises hors-jeu et ignorées par les medias occidentaux. C’est un scenario dans lequel, les forces politiques qui exigent des réformes démocratiques, seront prises en otage et méprisées.

Beaucoup de personnes disent ne pas pouvoir rester sans rien faire quand des méfaits flagrants ont lieu contre les droits de l’homme. On les comprend. Mais le problème est qu’une intervention devient immédiatement une intervention militaire. L’arsenal diplomatiques de la communauté internationale se réduit donc, soit à ne rien faire, soit à bombarder à outrance. Les politiciens sont prompts à verser des larmes de crocodile.

Mais la cynique réalité géostratégique est également suspendue au-dessus de la tête de la population syrienne. Le Qatar et l’Arabie Saoudite jouent à nouveau le même sale rôle qu’en Libye. Leur but est le renversement du régime syrien. Tout comme la Turquie, ils veulent que le pouvoir tombe entre les mains de leurs alliés, les Frères Musulmans, sunnites dits « modérés ». Ce n’est un secret pour personne que le Qatar, et sans doute également la Turquie, livrent des armes à cette opposition. Nous savons aussi que les monarchies conservatrices des Etats du Golfe, qui répriment violemment toute tentative démocratique dans leur pays, essaient de contenir l’influence des Chiites d’Iran dans la région. Il faut aussi prendre en compte la recherche d’un parcours alternatif pour les pipelines. Actuellement, 40% du pétrole des Etats arabes passe par le Détroit d’Ormuz où des tensions sont fortes avec l’Iran. L’idée circule de construire un méga-pipeline pour transporter le pétrole par la terre. Le trajet le plus simple serait de passer par la côte syrienne et par.. la ville de Homs, qui deviendrait un point central. Sur la côte syrienne, à Tartous, les Russes ont une base militaire navale depuis des années. Sans tous ces éléments, le conflit en Syrie serait certainement passé inaperçu aux yeux occidentaux.