Mission de l’UE au Kosovo : corruption à tous les étages ?
Georges Berghezan 1er janvier 2015 Faites ce que je dis… mais ne faites pas ce que je fais : telle pourrait être la leçon à tirer des frasques de la mission « Etat de droit » EULEX au Kosovo, chargée d'enseigner aux indépendantistes kosovars les bonnes manières dans le domaine de la lutte contre la corruption, la criminalité et l'impunité, notamment en supervisant étroitement leur police et leur appareil judiciaire. L'affaire a commencé fin octobre quand le quotidien albanophone de Pristina, Koha Ditore , a publié des dossiers en provenance d'EULEX, indiquant des rapports étroits entre des responsables de la mission de l'Union européenne et les milieux mafieux et politiques kosovars, ainsi que des lettres de la procureure britannique, qui venait d'être suspendue de ses fonctions, accusant un juge d'EULEX d'avoir reçu un pot-de-vin pour classer un dossier criminel, la procureure en chef d'EULEX de l'avoir couvert et un autre procureur d'avoir bloqué une enquête interne à ce sujet. Ainsi, le juge italien, Francesco Florit, aurait reçu 300 000 euros pour faire acquitter trois tueurs locaux, par ailleurs policiers d'une unité spéciale. N'ayant réussi à n'en libérer qu'un seul, les familles des deux autres malfrats se sont senties grugées par le juge, maintenant replié en Italie, et ont elles aussi raconté leurs déboires aux médias de Pristina. Tout en démentant avoir transmis ces documents à Koha Ditore – prétexte avancé pour sa suspension –, la procureure britannique, Maria Bamieh, en a confirmé l'authenticité. En plus, elle a affirmé avoir été victime de harcèlement continu depuis qu'elle enquêtait sur les pratiques de certains membres d'EULEX et que ses enquêtes avaient été ignorées par la hiérarchie de l'UE, y compris le Service d'action extérieur (SAE) dont dépend EULEX, alors dirigé par Catherine Ashton. Elle a également déclaré avoir été freinée dans d'autres enquêtes, notamment sur des privatisations frauduleuses d'entreprises, dès que les noms de personnalités kosovares devenaient trop voyants. La presse serbe, qui considère avec méfiance cette mission chargée d'accompagner le Kosovo vers l'indépendance, soupçonne que d'autres affaires de corruption pourraient expliquer le maintien sous les verrous du leader politique du Nord-Kosovo, Oliver Ivanovic, accusé de crimes de guerre en dépit de preuves l'en disculpant, preuves qui auraient été falsifiées par EULEX. De même, les acquittements dont bénéficient quasi-systématiquement les anciens leaders de l'Armée de libération du Kosovo (UCK), contrôlant aujourd'hui l'essentiel des institutions du Kosovo, lors de plusieurs procès pour crimes de guerre, crimes de droit commun ou affaires de corruption, pourraient ne pas s'expliquer uniquement par l'élimination ou l'intimidation des témoins, mais aussi par des versements aux procureurs et juges d'EULEX, qui détiennent la haute main sur ces procès. Le quotidien de Belgrade, Politika , considère que ces derniers, au lieu d'apporter les normes légales de leurs pays au Kosovo, « se sont adaptés aux coutumes locales ». Côté EULEX, si on dément avoir menacé de trainer Bamieh et Koha Ditore devant les tribunaux s'ils rendaient publiques ces affaires, comme ceux-ci l'affirment1, on se limite à déclarer qu'une enquête interne « est en cours » depuis 2013 à propos des accusations de la procureure, une enquête qualifiée de « mensonge » et de « farce complète » par cette dernière. Quant au juge Florit, il clame son innocence et affirme avoir été blanchi par cette enquête – qui serait donc achevée. Enquêtes en cascade Telle semble être la stratégie suivie par l'UE pour étouffer l'affaire : enquêter… Au début novembre, pressée par des députés européens, la toute nouvelle « Haute représentante » du SAE, Federica Mogherini, a annoncé l'ouverture d'une enquête « indépendante » sur les accusations de Bamieh. Deux semaines plus tard, le médiateur de l'UE, Emily O'Reilly, ouvrait sa propre enquête. Entre-temps, les justices kosovare et italienne auraient décidé d'entamer leurs propres investigations. Rien de mieux pour créer la confusion et noyer le poisson dans les eaux nauséabondes de l'establishment euro-politico-mafieux du Kosovo. De l'avis de plusieurs observateurs, le Tribunal sur les crimes de l'UCK, décidé par le Conseil de sécurité de l'ONU en juillet dernier, pourrait faire les frais de la profonde crise qui secoue EULEX. En effet, celle-ci a été chargée de mettre en place, hors du Kosovo, ce tribunal, créé sur recommandation d'une autre enquête, portant sur les allégations du rapport du sénateur suisse Dick Marty au Conseil de l'Europe (2010)2, concernant des trafics d'organes de prisonniers, notamment serbes, pendant ou peu après la « guerre du Kosovo ». Selon Marty, les organisateurs de ce trafic seraient certains des principaux dirigeants politiques actuels de l'entité, dont le Premier ministre sortant, Hashim Thaci. Avec une crédibilité morale et politique aussi entamée, on peut douter qu'EULEX ose affronter les encore nombreux sympathisants et vétérans de l'UCK qui ne manqueraient de se mobiliser si leur chef était mis en accusation. À nouveau, l'impunité devrait être assurée pour les ex-dirigeants de l'UCK, en échange de la prolongation du statut de protectorat attribué à ce petit territoire pseudo-indépendant3, gangrené par le crime, la corruption et le nettoyage ethnique. Au grand dam des victimes, majoritairement serbes et non-albanaises, envoyées aux oubliettes de l'histoire au nom d'une illusoire stabilité des Balkans. Notes 1. Bamieh affirme avoir même reçu des menaces – voilées – de mort de la part d'EULEX. 2. Le rapport est disponible sur le site du Conseil de l'Europe : http://assembly.coe.int/ASP/APFeaturesManager/defaultArtSiteVoir.asp?ID=964 . 3. Outre une petite mission de l'ONU, encore active essentiellement dans le Nord, majoritairement serbe, et chargée de réguler les tumultueuses « relations interethniques », rappelons que le territoire est quadrillé par une mission de l'OTAN, la KFOR, forte de 5 000 hommes, responsable de la sécurité et de seconder la police locale et celle d'EULEX en cas de débordement grave sur le plan du maintien de l'ordre. L'OTAN au Kosovo Le « voyage pour rompre cinq ans de silence » organisé en 2004 par le Comité Surveillance Otan et d'autres organisations a mis en évidence les conséquences désastreuses de la guerre contre la Yougoslavie menée par l'Otan. Voici un extrait de ses conclusions : |