Hommage à Pierre Piérart, fondateur du parc Hibakusha
Ben Cramer
9 août 2015

Non, je ne chanterais pas, je ne peux pas mettre mon discours en musique….

Je suis citoyen français, personne n'est parfait. Je suis citoyen d'un Etat pour qui le nucléaire fait partie de l'identité nationale. Un Etat qui fait la leçon à l'Iran par exemple, en matière de non prolifération et pas à Israël. Un Etat qui pour entrer dans le club atomique a fait sauter le moratoire sur les essais atmosphériques en 1960 ; et c'est le dernier pays Etat nucléaire officiel, reconnu comme tel à avoir signé et ratifié le TNP en 1992, après avoir conspué ce traité discriminatoire qui avait pour principal défaut de restreindre le nombre d'Etats que la France voulait aider dans leur aventure nucléaire militaire, que ce soit l'Irak, la Corée du Sud, le Pakistan, l'Afrique du Sud et quelques autres. La France est un pays assez particulier où l'enseignement sur la paix a été interdit jusqu'à la fin de la guerre froide. C'est dans ce même pays où 2 candidats à l'élection présidentielle ont été incapables, lors d'un débat télévisé,  de citer le nombre de sous-marins nucléaires, et incapables de faire la distinction entre un sous-marin nucléaire d'attaque SNA et un sous-marin lanceur d'engins nucléaires, les SNLE. Un pays étonnant qui pourrait tout de même, ne l'oublions pas, s'honorer d'avoir offert au monde une dizaine de Prix Nobel de la Paix.

Je veux rendre hommage aux victimes de Hiroshima et Nagasaki. Aux jeunes qui nous écoutent, ils peuvent avoir l'impression que tout a été dit sur ces 2 tragédies et pourtant. En février 2013, une nouvelle photo de l'accident d'Hiroshima…a été retrouvée, et fut publiée par le journal « Rue 89 »….

En tant que journaliste, je veux rendre hommage à ceux qui ont fait leur travail, et qui honorent la profession. Tel journaliste australien Wilfred Burchett, ami personnel d'Ho Chi Minh, seul journaliste occidental à avoir rendu compte de la guerre du Vietnam, à partir du camp nord-vietnamien, Il a vu Hiroshima et témoigné de ce qu'il a vu. Son premier papier qui a échappé à a censure fut publié le 5 septembre 1945, presque un mois après le largage de la bombe A sur Hiroshima. Il est paru à Londres dans le Daily Express. Sous le titre «"la peste atomique". Il a fait le tour du monde. Il commençait par : « Hiroshima ne ressemble pas à une ville bombardée. C'est comme si un rouleau compresseur lui était passé dessus et l'avait complètement écrasée. J'écris ces mots avec le moins de passion possible en espérant que cela servira de mise en garde pour le monde." Accusé de traître par ses concitoyens, c'est donc lui le premier qui a lancé l'alerte, qui a parlé, décrit et dénoncé la peste brune qui envahissait la ville. Et c'est grâce à lui qu'on saura qu'une nouvelle ère post-Hiroshima a commencé alors et qui perdure : l'ère de la censure concernant les activités nucléaires. (voir son livre atomic cover-up).

Je veux rendre hommage aux victimes des essais. En évoquant les expérimentation nucléaires à travers le monde, on ne minimise pas ce qui a frappé le Japon, On rappelle juste que les destructions du 6 et du 9 étaient aussi des expérimentations, l'une à l'uranium, l'autre au plutonium. et des humains utilisés comme cobayes ; et ceci nous permet aussi de réfléchir aux victimes par radiations qui se sont retrouvées pas par hasard dans des contrées colonisées dans l'hémisphère nord et sud, des îles qui n'étaient pas désertes (Nouvelle Zemble, Polyénésie, Iles Xmas), des territoires qu n'étaient pas désertiques (près de Lop Nor, Reggane, Sahara), des zones particulières où l'on a assisté à d'autres rapports de forces, pour faire taire d'autres peuples, pour imposer d'autres formes de destruction, ce que j'ai dénommé dans mon livre les guerres oubliées. Parmi tant d'autres.

Je veux rendre hommage à Pierre Piérart qui est à l'origine en 1989 du Parc Hibakusha. Et par ce biais, rendre hommage à sa profession. Me sentir solidaire de ces scientifiques qui ont compris jusqu'à quel point le combat anti-nucléaire était un combat pour la vie. Qui ont compris en tant que médecins que les guerres provoquent des malades particulières, que les sociétés guerrières - et de plus en plus militarisées - sont malades…La guerre pourrait être perçue comme une maladie et d'ailleurs ce fut le titre d'un livre que les nazis ont brûlé. Ce livre était préfacé par un certain Albert Einstein….

A la devise «  si tu veux la paix, prépare la paix  » , je préfère celle de Gaston Bouthoul pour qui « si tu veux la paix, connais la guerre !» Je sais cela peut paraître un peu paradoxal, voire malsain. Alors, si tu veux la paix, tâche au moins de connaître ce qui empêche la paix, méfie-toi des paix des cimetières, tâche de répérer les ennemis de la paix, ceux qui ont besoin de la guerre pour faire fructifier leurs affaires mortuaires, renseigne-toi sur les systèmes d'armes qui ne sont pas adaptés aux menaces mais qui seront mis sur le marché dès que l'on aura trouvé un prétexte pour les rendre indispensables…

Je veux rendre hommage aux victimes de cette pollution mentale…cette pollution que constitue la croyance dans cette « révolution technologique» (le titre du journal Le Monde au lendemain d'Hiroshima ( http://encyclopedie-dd.org/encyclopedie/terre/5-2-les-differents-secteurs/la-paix-par-et-pour-le.html ), une pseudo « révolution » qui s'est accompagnée de nouvelles façons de mourir ….et d'une incapacité de penser le monde et ses limites comme avant. Eh oui, on ne peut pas penser le monde avant août 1945 et après.

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