L’Otan, hydre tentaculaire
Nils Andersson 25 mai 2017 À quoi sert l’OTAN ? Une organisation militaire sert à faire la guerre. De cette évidence découlent deux interrogations, la guerre pour qui et la guerre contre qui ? L’OTAN a été fondée il y a soixante-huit ans comme dispositif militaire pour, dans la confrontation entre deux systèmes économiques et sociaux irréductiblement opposés, le capitalisme et le socialisme, défendre les intérêts idéologiques, politiques et économiques du monde occidental. La signature du Traité de l’Atlantique Nord a été un acte majeur de la guerre froide, avec un double objectif, légitimer la présence de bases étatsuniennes en Europe et constituer une coalition armée du camp occidental contre l’Union soviétique qui y répondra par la formation du Pacte de Varsovie. Ce fut le rôle de l’OTAN jusqu’à la chute du Mur en 1989, avec des moments de fortes tensions, sans jamais que l’Alliance atlantique ait à tirer un coup de canon. L’implosion du bloc soviétique va mettre en question la raison d’être de l’OTAN, mais son secrétaire général, Manfred Wörner, fait clairement entendre qu’il n’en est rien : « Seule l’Alliance atlantique peut lier les États-Unis et le Canada à l’Europe, elle seule peut assurer que le changement s’instaurera sans crainte de revers ou de volte-face. Elle seule peut coordonner la stratégie globale de l’Occident pour la paix et la garantie des valeurs démocratiques dans une Europe nouvelle. Elle seule peut ancrer à l’Ouest une Allemagne unie dans des conditions de sécurité maximales pour ce pays et pour ses voisins.(17 mai 1990) ». L’OTAN est le pilier qui lie les atlantistes européens derrière la bannière étoilée, pour George Bush père, elle est une pièce maitresse des plans hégémonistes des États-Unis dans le Nouvel Ordre Mondial, les uns et les autres s’emploient à défendre son maintien. C’est chose faite en 1991, la « permanente validité » de l’Alliance atlantique est affirmée dans la Déclaration de Rome et un « nouveau concept stratégique » est adopté, selon lequel l’OTAN, présentée jusqu’ici comme une « alliance exclusivement défensive », devient une force interventionniste. Mission lui est donnée d’assurer sur le continent la stabilité du Nouvel Ordre Mondial par l’intégration militaire de sa partie orientale et, alléguant les carences des États européens, en intervenant dans les Balkans. La guerre dans les Balkans, va servir à justifier la pérennisation de l’OTAN. Le 28 février 1994, l’aviation états-unienne intervenant dans le cadre de l’OTAN, abat des bombardiers bosno-serbes, la Bosnie est la première guerre chaude de l’OTAN. Au Kosovo stratégie géopolitique et mission idéologique conjuguées, avec la résolution 1244 on entre dans l’illégalité en violant la Charte des Nations Unies, passant outre le rôle du Conseil de sécurité et du fantomatique Comité d’État-major de l’ONU de « fixer les effectifs, le degré de préparation des forces et leur emplacement général », l’OTAN est seule aux commandes. Cette instrumentalisation de la Charte ouvre la voie aux guerres à venir. Dès la dissolution du bloc soviétique, la politique de partenariats va être un mécanisme essentiel d’élargissement de la pieuvre otanienne. En 1991, est constitué, le Conseil de coopération euroatlantique (devenu le Conseil de partenariat euroatlantique) qui, symbolisant la victoire politique et idéologique des atlantistes va réunir les vingt-deux États membres de l’OTAN, la Russie, les États de l’ancien Pacte de Varsovie, les onze États de la Communauté des États indépendants et l’Albanie. Ce partenariat va être adoubé en 1994 d’un Partenariat pour la paix intégrant également les États européens non membres de l’OTAN, avec pour objectif, de « se doter de forces plus en mesure d’opérer avec celles des membres de l’OTAN ». En 1994 également est lancé le Dialogue méditerranéen avec la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte, la Jordanie, et… Israël, qui élargit les partenariats de l’OTAN à l’Afrique du Nord et au Proche-Orient. Parallèlement, l’OTAN modèle l’Europe en réorganisant le dispositif de défense et en normalisant les équipements militaires des pays ayant appartenu au Pacte de Varsovie et à partir de 1999, bafouant les engagements pris lors de la réunification allemande dans le Traité 2 + 4, l’OTAN, précédant leur adhésion à l’Union européenne, intègre successivement ces pays et étend sa toile en Europe centrale, orientale et balkanique vers les frontières de la Russie. Avec le « concept stratégique pour le XXIe siècle » adopté lors du Sommet du cinquantenaire à Washington en 1999, qui fixe comme objectif de « sauvegarder, par des moyens politiques et militaires, la liberté et la sécurité » de l’Amérique du Nord et de l’Europe, on entre dans sa phase de globalisation, il est décidé que « les forces de l’Alliance peuvent être appelées à opérer au-delà des frontières de la zone euro atlantique. » Jusqu’ici organisme de « défense régionale », l’OTAN devient le bras armé de la mondialisation néolibérale. Avec le concept stratégique pour le XXIe siècle, on entre dans le cycle de la guerre permanente de George Bush junior et de son administration. Les interventions de l’OTAN ou de coalitions occidentales, avec un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU, en Irak, Afghanistan et Libye, sous couvert du « droit d’ingérence humanitaire », puis du « devoir de protéger » vont être cause de chaos et abominations. L’objectif d’une OTAN planétaire est de « chercher à établir de plus en plus de partenariats mondiaux avec des pays de même sensibilité » ; ainsi, est lancée en 2004, l’Initiative de Coopération d’Istanbul avec le Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït et le Qatar puis, dans le cadre du Global Nato, sont conclues des « activités en coopération », avec l’Irak, l’Inde, le Pakistan, l’Afghanistan, la Mongolie, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Colombie. Pour que l’OTAN soit en mesure de se projeter tous azimuts, en 2006, lors du sommet de Riga, il est décidé de la doter d’une capacité de mener simultanément deux opérations de grande envergure, requérant 60 000 hommes chacune, et six opérations moyennes de 30 000 hommes, soit une projection opérationnelle de 300 000 hommes ! En 2007, Daniel Fried, Secrétaire d’État adjoint étatsunien peut déclarer : « Depuis la guerre froide et son rôle régional dans les années 1990, l’OTAN s’est transformée en une organisation transatlantique effectuant des missions globales, de portée globale avec des partenaires globaux. Tout appartient potentiellement à la zone de l’OTAN ». Si les objectifs de l’OTAN sont pérennes, le cours de l’Histoire ne l’est pas, la crise économique et financière entrave une projection mondialisée de l’OTAN, la Force de réaction rapide de l’OTAN de 300 000 hommes restera, avis d’experts : « une Rolls-Royce qui n’est jamais sortie du garage ». Bien qu’il ne soit pas un État dans le monde doté d’une puissance de feu et d’une capacité de déploiement plus grandes que les États-Unis, bien qu’il n’a pas existé dans l’Histoire une coalition disposant de moyens militaires et logistiques équivalents à ceux de l’OTAN, les puissances atlantistes n’ont gagné aucune des guerres asymétriques engagées depuis quinze ans et ont connu des échecs militaires en Irak et en Afghanistan, la Libye est une zone de non-droit, les Balkans sont instables, s’ajoute l’effrayant engrenage syrien et les lieux de conflits ouverts ou potentiels s’étendent sur un arc allant des Philippines au Nigéria. L’euphorie des années 1990 et du tournant du XXIe siècle n’a plus cours. Réalités géopolitiques, échecs militaires sur le terrain et crise financière, l’OTAN a réduit ses interventions hors zones. En février 2011, seulement en Afghanistan, 132 000 soldats étaient engagés dans la FIAS, en novembre 2016, ils ne sont que 18 000 à être déployés dans des missions de l’OTAN. Si elle fournit toujours des appuis logistiques, de formation et des financements (comme l'a confirmé le récent Sommet de Bruxelles s'agissant de l'engagement de l'OTAN contre l'Etat islamique), l’OTAN n’est plus aux commandes d’opérations majeures hors sa zone historique. Un autre fait va modifier le rôle de l’OTAN: en 2015, la Chine, considérée par Washington comme la menace principale à moyen terme, la nouvelle stratégie du Pentagone est de « concentrer sa présence, son pouvoir de projection et sa force de dissuasion en Asie-Pacifique ». La vision d’une OTAN globale se trouve modifiée par le transfert du centre de gravité de défense des États-Unis vers l’Asie orientale et le Pacifique et les plans de créer une « OTAN » sud-est asiatique. La zone euro atlantique n’étant plus, pour les États-Unis, l’épicentre de sa stratégie globale, s’ensuit la demande aux États européens d’Obama puis de Trump, d’apporter une contribution financière plus importante à la défense du continent et de sa périphérie, les fameux 2 % du PIB en dépenses militaires. Cela étant, pour le Pentagone, l’OTAN et l’Europe sont un rouage essentiel de son dispositif stratégique global. Une Europe sous commandement du Pentagone, le commandant des Forces des États-Unis en Europe (l’EUCOM) étant automatiquement le commandant suprême de l’OTAN. Une Europe inclue dans le système global de défense des États-Unis avec des bases militaires en Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, Espagne et dans sept autres pays européens, ce à quoi s’ajoute la VIe flotte US en Méditerranée. Une Europe intégrée dans le système mondial d’écoutes et d’espionnage politique, économique, militaire du réseau Echelon avec en Grande-Bretagne le plus important centre d’écoutes dans le monde de la NSA. Une Europe englobée dans le dispositif du bouclier antimissile ABM avec la base opérationnelle de Deveselu en Roumanie, une base en installation en Pologne et quatre destroyers dotés de capacités antimissiles basés en Espagne. Une Europe engagée dans la guerre des drones, la base de Ramstein, en Allemagne servant de station-relais à la base de Creech, au Nevada. Le repli d’une OTAN globale sur sa zone historique euroatlantique ne modifie en rien sa raison d’être. L’Europe répond toujours à la projection du géographe Mackinder, qui fonde la stratégie de Brzezinski : « qui domine l’Eurasie domine le monde ». La Russie est une pièce maitresse de cet enjeu, y compris pour l’endiguement de la Chine. D’où la politique interventionniste et d’extension de l’OTAN sur le continent dans ce qui est considéré par la Russie comme son « espace vital », ce qui a créé une situation de guerre en Ukraine. Dans le cadre de l’opération Atlantic Resolve pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale des manœuvres de grande envergure (25 000 hommes et plus) se sont déroulées dans la partie orientale de l’Europe et au terme de ces manœuvres plus d’une centaine de blindés US ont paradé sur 1 800 km, des Pays baltes à la Bavière. En janvier 2017 sont arrivés des États-Unis, 3 500 soldats, 87 tanks, 18 canons automoteurs, 419 voitures tout terrain, plus de 2 000 autres véhicules militaires, déployés dans les pays baltes, en Pologne, Hongrie, Roumanie et Bulgarie. Pour assurer une présence avancée et adapter l’OTAN « aux défis et aux menaces se développant » à sa périphérie il a été décidé lors du sommet de Cardiff en 2014, le triplement des effectifs de la NRF (Force de réaction rapide), la création d’une force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation et le renforcement des forces navales permanentes. Pour permettre une plus grande réactivité au déploiement de ces forces spéciales, il a été mis en place huit Quartiers généraux dénommés Unité d’intégration des forces de l’OTAN (NFIU), basés en Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Bulgarie, Hongrie et Slovaquie. Les pays occidentaux disent craindre la Russie, la Russie se sent agressée par l’Occident, il faut rompre cet engrenage funeste dans lequel l’OTAN joue un rôle belliciste. Succédant au Général Breedlove qui s’est singularisé par des déclarations considérées comme outrancières même au sein de l’OTAN, le général Curtis Scaparrotti est devenu le nouveau Commandant suprême de l’OTAN (SACEUR). Lors de sa prise de fonction, il a précisé que le « théâtre européen est essentiel pour les intérêts de l’Amérique et que l’OTAN reste la clé de la sécurité nationale pour les États-Unis » et ses déclarations ne sont pas moins martiales que celles de son prédécesseur quand il déclare : « À l’est, une Russie renaissante est passée d’un partenaire à un protagoniste qui cherche à saper l’ordre international et à se réaffirmer en tant que puissance mondiale » et de poursuivre « pour lutter contre les menaces auxquelles nous sommes confrontés. […] nous retournons à notre rôle historique en tant que commandement de guerre ».(zone militaire, 4 mai 2017) La guerre pour qui, la guerre contre qui ? Si on est passé d’un discours hégémonique à un discours de défense de l’Occident, cela ne change ni son rôle ni sa nature. L’OTAN doit être dénoncée et combattue comme un acteur essentiel de vingt-cinq ans de guerres dites « justes », qui sont la cause de pays ravagés, de peuples meurtris, de la plus grande crise migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale, de fanatismes exacerbés et mortifères. Il faut dénoncer et combattre l’idéologie atlantiste fondée sur le leadership des États-Unis, la domination des puissances occidentales et la soumisson du monde à l’économie de marché, il faut dénoncer et combattre la militarisation des pays de l’OTAN et de ses alliés, une logique de guerres dont les peuples sont toujours les principales victimes, il faut dénoncer et combattre l’engrenage militaire et la politique de tension dans la partie orientale de l’Europe et faire prévaloir la négociation. Il faut se libérer de l’allégeance à l’OTAN, hydre tentaculaire, et il faut encore et toujours lutter pour sa dissolution. |