Le journal LE SOIR n’est pas l’organe de presse de l’OTAN
Pierre Galand et Boris Fronteddu 17 février 2019 Nous avons été très interpellés par le contenu des articles au sujet du traité INF et des euromissiles parus dans les éditions du Soir du 13 et du 14 février. Ceux-ci témoignent, en effet, d’un alignement inquiétant sur les seules informations communiquées par l’OTAN. Tout d’abord dans votre article du 13 février, vous évoquez la riposte de l’OTAN et des Etats-Unis « aux violations par la Russie de ce Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) ». A la lecture de votre article, il semblerait que les Etats-Unis aient décidé de sortir du traité INF en réaction à la politique nucléaire russe. Pourtant, l’analyse des faits démontre qu’il s’agit plutôt d’une conséquence d’une stratégie de long cours des Etats-Unis visant à développer et à moderniser l’arsenal nucléaire américain. Toujours dans votre article du 13 février, vous notez que des experts « prédisent le développement d’une version terrestre du missile de croisière naval US Tomahawk ». Il s’agirait d’une « riposte » des Etats-Unis aux violations, par la Russie, du traité INF. Vous omettez, cependant, de spécifier qu’en 2016, un complexe terrestre de missiles antibalistiques américain était implanté dans la base aérienne de Deveslu en Roumanie. Le Secrétaire-Général de l’OTAN, Mr. Stoltenberg, a d’ailleurs assisté à la cérémonie d’inauguration de ce nouveau complexe baptisé «Aegis Ashore». Cette installation comporte, entre autres, des lanceurs Mk-41. Or, il s’agit de « tube de lancement adaptable à n’importe quel missile ». Ces lanceurs pourraient donc très bien servir à tirer des missiles de croisière du type Tomahawk. D’ailleurs l’US Naval Institute note, qu’au terme du traité INF, l’installation Aegis Ashore « pourrait être facilement transformée en complexe offensif menaçant la Russie ». Cela démontre que les Etats-Unis prévoyaient déjà, bien avant leur retrait du traité, la possibilité d’utiliser des bases implantées en Europe pour viser la Russie avec des missiles de croisière. En outre, Moscou accuse les Etats-Unis de faire voler des drones équipés de missiles de croisière au-delà des limites géographiques délimitées par le traité INF. Le centre de recherche du Congrès des Etats-Unis, dans un rapport sur la Russie et le traité INF justifie l’utilisation de ces drones de façon, pour le moins, surprenante : « bien que les drones armés puissent frapper des cibles, [les drones] sont des plateformes transportant des armes, pas des armes en soi ». Dans votre article du 13 février, vous rapportez également les propos du Secrétaire Général de l’OTAN qui affirme qu’aucun nouveau missile nucléaire ne sera déployé au sol en Europe et que la réponse à la Russie sera « conventionnelle, pas nucléaire ». Qu’il s’agisse d’un vœu pieu ou d’un réel engagement, les missiles déployés au sol ne constituent pas l’essentiel de l’arsenal nucléaire des Etats-Unis en Europe. Vous savez que les Etats-Unis stockent près de 180 bombes nucléaires du type B-61 dans cinq pays européens dont la Belgique. Les Etats-Unis sont d’ailleurs bien décidés à moderniser leur arsenal nucléaire en Europe. En 2012, l’administration états-unienne lançait le programme « B61-12 Life Extension Progam ». L’objectif est de remplacer les bombes nucléaires B-61 par des bombes B61-12 dès 2020. Comme les B-61, ces nouvelles armes nucléaires pourraient être larguées depuis des chasseurs bombardiers tels que les F-16, les Tornados ou les F-35, récemment acquis par la Belgique pour la bagatelle de 3,6 milliards d’euros. Le stockage de ces armes nucléaires américaines en Europe entre dans le cadre de la doctrine du « partage nucléaire » de l’OTAN. Or, un tel déploiement de capacité nucléaire en Europe entraine, de facto, les pays de l’Alliance dans la course à l’armement engagée par les Etats-Unis et la Russie. De plus, si les Etats-Unis présentent leur retrait du traité INF comme une réponse à la politique nucléaire russe, il semble plutôt que cette décision entre dans le cadre d’une stratégie de long terme lancée par l’administration Obama. A ce titre, le Bureau budgétaire du Congrès estime que les plans de dépenses relatifs aux armes nucléaires (dont Donald Trump a hérité) coûteront 1,2 millier de milliards de dollars aux contribuables américains entre 2017 et 2046. Dès la fin des années 2020 déjà, les dépenses annuelles liées à la modernisation et au développement de l’arsenal nucléaire américain atteindront 50 milliards de dollars (soit 8% du budget total de la défense aux USA)1. Si les Etats européens ont, en effet, intérêt à « conjurer le Kremlin à se mettre en conformité avec les dispositions du traité INF », il serait pertinent qu’ils fassent de même à l’égard des Etats-Unis. Dans le même temps, il est impératif de remettre en question les réels objectifs de l’OTAN qui, derrière une communication policée, permet aux Etats-Unis d’héberger une part de leur arsenal nucléaire en Europe. Quoiqu’en dise Mr Stoltenberg, les installations nécessaires au déploiement de missiles de croisière en Europe avaient été réalisées bien avant la sortie des Etats-Unis du traité INF. Positionner l’OTAN comme une simple victime d’agressions extérieures relève d’une politique d’enfumage. Il s’agit bien d’une course à l’armement dans laquelle sont engagés les Etats-Unis et la Russie. Les communications visant à désigner la Russie comme seule responsable de cet état de fait ne servent qu’à une chose : justifier, auprès des Etats européens et de l’opinion publique, le développement et la modernisation du stock d’armes nucléaires américain.
1. Arms Control Association, U.S. Nuclear Modernization Programs, août 2018
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