Accueil
Plate-forme du CSO
Alerte OTAN !
Communiqués du CSO

Articles

Documents officiels
Autres textes

Carte de l'Otan
L'Europe et l'Otan (2004)

Kosovo:
Fact-finding mission

Images
Archives
Liens

Contactez-nous !

imprimer 

La Macédoine dans l'escarcelle de l'OTAN

Georges Berghezan
1 octobre 2001

Après la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo, la Macédoine fait à son tour l’objet d’une mission de « maintien de la paix » dirigée par l’OTAN. Mais au lieu des bombardements des années ‘90, ce sont d’intenses pressions diplomatiques, militaires et économiques qui ont permis de vaincre les réticences du gouvernement de Skopje face à ce qui lui apparaît comme un premier pas vers une division du pays.

Premier acte : depuis février, les territoires macédoniens peuplés en majorité d’Albanais tombent les uns après les autres sous la coupe d’insurgés se réclamant d’une « Armée de libération nationale », dont les initiales en albanais - UCK - sont identiques à celles de l’Armée de libération du Kosovo, officiellement dissoute depuis deux ans. Dans le sud de la Serbie, à proximité du Kosovo et de la Macédoine, les actions armées d’une autre excroissance de l’UCK avaient débuté peu après les bombardements de l’OTAN et s’étaient même intensifiées après le renversement de Milosevic. En Serbie, ce conflit semble avoir trouvé - au moins provisoirement - une forme de solution, en collaboration avec l’OTAN, dont les soldats de la KFOR, et plus précisément les troupes américaines, sont déployés dans la partie du Kosovo attenante. En Macédoine, en revanche, la situation a continué à empirer jusqu’au milieu de l’été.

Ainsi, fin juin, l’UCK s’empare d’Aracinovo, un faubourg de la capitale Skopje. Mise en mauvaise posture par une lourde offensive de l’armée et de la police, l’UCK manifeste des signes de reddition. C’est à ce moment que l’OTAN impose un cessez-le-feu et que des troupes américaines, appartenant en principe au contingent de la KFOR, extirpent les rebelles de leur mauvais pas. Les nombreux Kosovars présents parmi eux sont héliportés dans leur province natale et des camions américains transportent les armes des insurgés vers un autre de leurs fiefs, mieux protégé. Le plus étonnant dans cette histoire est que parmi les centaines de combattants « exfiltrés » se trouvent 17 citoyens américains qui, bien qu’ayant revêtu des tenues civiles, font très probablement office d’instructeurs de l’UCK. Cette information en recoupe de nombreuses autres faisant état de liaison constante entre les rebelles et le Pentagone, d’armes ultramodernes « made in USA » aux mains des insurgés, de transmission de vidéocassettes des positions macédoniennes, voire de livraisons militaires par les troupes US au Kosovo à l’UCK macédonienne. Bref, il semble que les liens étroits noués en 1998 avec l’UCK kosovare sous prétexte de lutte contre le régime de Milosevic se sont non seulement poursuivis après l’entrée des troupes de l’OTAN au Kosovo et le renversement de Milosevic, mais qu’ils se sont même étendus à la branche macédonienne de l’UCK, en lutte contre un régime décrit depuis dix ans comme une « oasis multiethnique dans l’enfer balkanique » et, en outre, devenu un pion particulièrement docile de la stratégie de l’OTAN dans la région.

Deuxième acte : le 13 août, les principaux partis politiques signent un accord négocié par les envoyés de l’Union européenne et des États-Unis et prévoyant le désarmement de la rébellion en échange de réformes constitutionnelles devant mettre la minorité albanophone (environ le quart d’une population de 2 millions) sur pied d’égalité avec la majorité slave macédonienne. Et pour désarmer l’UCK, c’est tout naturellement l’OTAN qui s’impose. En un mois, ce sont près de 4000 armes qui sont remises aux 4500 hommes assignés à la mission « Récolte essentielle ». Mais personne n’est dupe, à commencer par le commandant suprême des forces de l'OTAN en Europe, le général Joseph Ralston qui déclare au début de l’opération qu’il ne faut pas s’attendre à ce que l’UCK rende toutes ses armes. Selon les autorités de Skopje, seules 5 % des armes auraient été récoltées. De toute façon, avec les robinets du trafic d’armes grand ouverts dans les Balkans et les moyens importants de la mafia albanaise, principal sponsor de l’UCK, un éventuel réarmement pourrait être achevé en quelques mois.

Cette première mission de l’OTAN en Macédoine n’est cependant pas la première présence permanente de soldats de l’Alliance. En effet, depuis près de trois ans, des milliers de soldats de l’OTAN sont présents en Macédoine, d’abord au sein d’une pseudo « force d’extraction » d’observateurs internationaux au Kosovo, et depuis juin ’99 au service de la KFOR (Kosovo FORce), assurant l’essentiel des aspects logistiques de la mission, dont un transit incessant avec le port grec de Salonique

Troisième acte : l’OTAN prolonge indéfiniment sa présence en Macédoine. Malgré les vives objections des ministres et de l’opinion publique slaves du pays, l’Alliance atlantique impose le déploiement d’une nouvelle mission, du doux nom de « Renard Ambré », sous prétexte de protection d’observateurs de l’OSCE et de l’UE. Renouvelable tous les trois mois, cette mission ne compte qu’un millier d’hommes, en majorité allemands et sans soldat américain. Notons que le gouvernement macédonien aurait plus facilement accepté une unité militaire sous commandement de l’UE et que François Léotard, envoyé de cette dernière à Skopje, en a défendu le principe. La proposition a été finalement rejetée par les ministres européens, arguant de l’impréparation de leur fameuse force d’intervention (au moins 60.000 hommes d’ici 2003), même pour un « galop d’essai » macédonien. En fait, les ministres ont sans doute estimé que l’évocation de la puissance de l’OTAN serait mieux à même de faire face à la menace d’éventuels éléments incontrôlés de l’UCK.

Pendant ce temps, le parlement a approuvé « en principe » les changements constitutionnels et doit encore les entériner. Mais de nombreux députés traînent des pieds et souhaitent présenter des amendements, à la fureur des Occidentaux et des Albanais, exigeant une approbation « en bloc » des réformes. Des patrouilles de police, composées à parité d’Albanais et de Slaves et encadrées par des soldats de l’OTAN et des observateurs UE et OSCE, ont tenté de patrouiller dans des villages jugés « à bas risque » en zone rebelle. Quelques heures après le départ de la patrouille, une explosion détruisait le commissariat de police du principal village visité. L’attaque n’était pas revendiquée par l’UCK, officiellement dissoute au terme de son « désarmement », mais par une « Armée nationale albanaise » fraîchement créée et également active dans le sud de la Serbie.

L’avenir de la Macédoine paraît des plus incertains. Les pressions occidentales ont été intenses pour obtenir des concessions des ministres slaves macédoniens : promesse d’une « conférence des donateurs », déjà reportée, ordre donné à l’Ukraine et autres fournisseurs de cesser leurs livraisons d’armes à Skopje, menaces dans le style « c’est notre plan ou la guerre totale », etc. La majorité de l’opinion comprend mal qu’une agression, accompagnée de « nettoyage ethnique », soit récompensée par l’octroi de nouveaux droits, comme l’accession de l’albanais au statut de langue officielle. Elle se sent victime du chaos régnant au Kosovo depuis l’arrivée de troupes de l’OTAN et accuse en particulier les États-Unis de soutenir des « terroristes » auxquels ils déclarent la guerre sous d’autres cieux.

Enfin, il n’est pas inutile de relever que les deux membres les plus influents de l’Alliance atlantique semblent suivre des stratégies divergentes. Si l’on se demande où réside l’intérêt américain à soutenir une milice menaçant l’unité d’un pays n’ayant jamais désobéi aux injonctions occidentales, l’autre sujet d’étonnement provient de l’attitude de l’Allemagne. Berlin paraît en effet avoir rompu son alliance avec l’UCK, une alliance remontant à l’origine même de cette formation, que les services secrets allemands ont activement soutenue. Ainsi, en mars dernier, en Macédoine, les soldats allemands de la KFOR ont été pris pour cible par les rebelles albanais et forcés d’évacuer leur base. Une telle rupture demande encore confirmation, et que l’on en mesure ses implications pour la nouvelle mission de l’OTAN, sous commandement allemand. Mais ce ne serait pas la première fois que, dans les Balkans, des soupçons de rivalité troublent la franche coopération américano-allemande…

Georges Berghezan
Autres textes de Georges Berghezan sur le site du CSO