En avril 1949, le Traité de l'Atlantique Nord est signé entre 
  les États-Unis, le Canada et dix États européens(1). 
  Dans les années qui suivent, l'Organisation du Traité de l'Atlantique 
  Nord (OTAN) prend corps.
  
  Ce sont les temps de la Guerre Froide et de l'affrontement de deux blocs économiques, 
  politiques, idéologiques et militaires regroupés l'un et l'autre 
  autour des deux super-puissances sorties victorieuses de la Seconde Guerre mondiale. 
  Cinquante années durant, les États-Unis resteront aux commandes 
  de l'OTAN et les Européens l'accepteront comme une partie du compromis 
  de 1949 : la protection américaine de l'Europe en échange du soutien 
  européen au leadership américain dans la lutte contre l'Union 
  soviétique.
  
  Le mur de Berlin s'écroule en 1989 et la principale menace à laquelle 
  répondait l'OTAN, le Pacte de Varsovie, disparaît. L'organisation 
  se retrouve face au vide et ne peut se maintenir qu'à la condition de 
  dépasser le cadre restreint de sa principale tâche. Assurer la 
  défense commune de ses États membres ne suffisant plus à 
  justifier son existence, l'OTAN se cherche de nouvelles missions.
  
  Elle repense ses fonctions et ses objectifs dans un nouvel environnement où 
  la plupart des menaces semblent se trouver désormais hors Europe. Les 
  alliés décident dès 1992 que l'OTAN pourra désormais 
  remplir des missions militaires sous l'égide des Nations unies ou de 
  la Conférence pour la Sécurité et la Coopération 
  en Europe (2).
  
  En se tournant vers la gestion des crises et les opérations de maintien 
  de la paix, l'organisation voit sa raison d'être radicalement renouvelée 
  et renforcée. À cet égard, la guerre en ex-Yougoslavie 
  représente dès 1993 une opportunité de s'imposer comme 
  une organisation indispensable pour la sécurité de l'Europe.
Après avoir relégitimé son existence comme force de maintien 
  de la paix et « bras armé de l'ONU », l'OTAN invoque la défense 
  des droits humains et franchit une nouvelle étape en devenant une organisation 
  indépendante de tout contrôle des Nations unies (3). 
  En 1999, l'OTAN attaque, sans mandat des Nations unies, la République 
  fédérale de Yougoslavie (RFY) afin de mettre fin à la répression 
  serbe au Kosovo. La guerre du Kosovo peut être considérée 
  comme le point d'orgue d'une décennie d'évolution de l'OTAN, entre 
  élargissement des missions et élargissement géographique, 
  à mettre en parallèle avec la réaffirmation incontestable 
  du leadership américain.
  
  Comme l'ont déclaré conjointement le secrétaire à 
  la Défense W Cohen et le chef d'état-major général, 
  le général H. Shelton devant le Sénat américain 
  en octobre 1999  : « Si l'OTAN n'avait éventuellement pas répondu 
  à ces violations et autres actes de la RFY, sa propre crédibilité 
  ainsi que celle de l'implication des USA dans le monde auraient été 
  remises en question »(4). Le crédit des États-Unis 
  en tant que « gendarmes du monde » et celui de l'OTAN, leur instance 
  privilégiée de persuasion et d'influence sur les politiques européennes, 
  étaient donc perçus comme intimement liés.
  
  Or, au cours de cette guerre, les États-Unis ont, d'une part, contrôlé 
  les règles d'engagement des forces de l'Alliance et, d'autre part, contourné 
  les structures décisionnelles de commande et de contrôle de l'organisation 
  pour les opérations faisant appel aux moyens américains (5). 
  Ainsi se sont concrètement exprimés, à la fois l'instrumentalisation 
  de l'organisation par les États-Unis et le désengagement de ceux-ci 
  vis-à-vis des contraintes liées à une structure multilatérale 
  jugées trop lourdes.
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis n'ont 
  pas mis en uvre la proposition européenne d'invoquer, pour la première 
  fois et pour exprimer leur solidarité, la clause de défense collective 
  (article 5) du Traité de l'Atlantique Nord. Ils ont choisi d'opérer 
  en Afghanistan en se basant sur une coalition de volontaires hors du cadre de 
  l'Alliance.
  
  La marginalisation de l'OTAN dans la crise post 11 septembre et en Afghanistan 
  relance le débat sur l'utilité d'une organisation que certains 
  déclarent d'ores et déjà moribonde. Quel sens désormais 
  attribuer au mot « alliés » lorsque Washington, suivant son 
  « intérêt supérieur », privilégie les participations 
  à géométrie variable ?
  
  Il est vrai que l'Europe a évolué de manière inimaginable 
  depuis 1949, alors que la conception américaine du pouvoir semble être 
  restée la même. Habitués à diriger l'agenda politique 
  et militaire de l'Alliance, les États-Unis semblent vouloir conserver 
  la même relation de maître à vassal que durant la guerre 
  froide. Ils voient d'un il méfiant les Européens se doter 
  des moyens de contribuer -à leur manière- à l'effort de 
  sécurité et n'envisagent pas de les impliquer dans le processus 
  décisionnel. Dès avant les attentats du 11 septembre, la conciliation 
  était déjà difficile au sein de l'OTAN, entre les intérêts 
  d'une Amérique de plus en plus unilatérale et globale, et ceux 
  d'une Europe cherchant à s'affirmer dans les domaines politique et militaire.
  
  La crise irakienne, en mettant en exergue les divisions d'une part au sein de 
  l'OTAN, et d'autre part entre « ancienne » et « nouvelle » 
  Europe, n'a fait que renforcer le malaise. Elle a fait apparaître on ne 
  peut plus clairement que les nouveaux membres européens de l'OTAN, également 
  candidats à l'Union européenne, préfèrent la dépendance 
  à l'égard des États-Unis en matière de sécurité 
  à l'autonomie européenne.
  
  La fracture entre l'Europe et les États-Unis s'accentue et mine l'OTAN. 
  Certains y voient une nouvelle tentative des États-Unis de désinstitutionaliser 
  les relations avec l'Europe et de réinstaurer des relations bilatérales 
  dans lesquelles ils resteraient, quoi qu'il arrive, prédominants.
En présentant la stratégie de sécurité nationale 
  (SSN) en septembre 2002, le président Bush insistait pour que les États-Unis 
  s'affirment comme une puissance telle qu'elle dissuade quiconque de la défier. 
  La SSN semble clarifier le rôle que les États-Unis entendent désormais 
  voir jouer par l'OTAN : l'OTAN devrait se doter des moyens de fournir, dans un 
  délai réduit, des forces très mobiles spécialement 
  entraînées pour répondre à une menace contre l'un 
  de ses membres. Elle devrait être en mesure d'agir partout où ses 
  intérêts sont menacés, en créant des coalitions ou 
  en se ralliant à des coalitions formées pour des missions spécifiques.
  
  Il est bon de rappeler que c'est à l'initiative des États-Unis 
  que l'OTAN a entériné, lors du sommet de Prague en automne 2002, 
  un concept militaire qui reprend la lutte contre le terrorisme ainsi que la 
  création d'une force de réaction rapide. Cela signifie-t-il que 
  l'OTAN pourrait effectivement jouer un rôle important dans ce domaine ? 
  Au-delà des déclarations, l'attitude et les actions américaines 
  laissent plutôt présager des tactiques propres qui se dérouleront 
  en dehors de l'OTAN. En particulier parce que l'appareil militaire américain 
  doté d'équipements sophistiqués ne voudra pas être 
  entravé par une OTAN bien moins outillée.
Les opérations de maintien et d'imposition de la paix sont des missions 
  essentielles pour une gestion moderne et constructive de la sécurité 
  que les forces armées américaines ne paraissent pas être 
  en mesure d'assumer correctement. Il n'est peut-être pas surprenant que 
  les Américains soient aussi mauvais en maintien de la paix, puisque l'armée 
  américaine se targue d'être la championne de la grande guerre avec 
  des forces qu'il ne faut pas « souiller par des tâches mineures » 
  (6). Le Secrétaire général de l'OTAN, Lord Robertson, mettait 
  d'ailleurs en garde les alliés lors d'une conférence sur la sécurité 
  à Munich en 2002 contre un effritement de la solidarité atlantique 
  si « (...) les Américains combattent en survolant le territoire 
  tandis que les Européens se battent dans la boue ».
  
  Va-t-on vers une division du travail entre les États-Unis s'occupant 
  d'offensives militaires et les alliés du reste ? Ce qui se traduirait 
  au niveau de l'OTAN par une division en deux niveaux de capacités : le 
  premier concernerait les missions de maintien et d'imposition de la paix qui 
  seraient accomplies par les Européens et les Canadiens. Le second niveau 
  serait le domaine exclusif des États-Unis qui préfèrent 
  des réponses musclées, souvent aériennes, employant des 
  armes hautement technologiques et moins coûteuses en vie de soldats.
  
  C'est cette répartition des tâches voulue par les États-Unis 
  qui semble se dessiner. Avant le 11 septembre 2001, aucun responsable politique 
  européen n'aurait pu envisager un déploiement de forces européennes 
  à Kaboul. Le 11 août 2003, l'OTAN est engagée dans sa première 
  opération « hors zone », en Afghanistan, en reprenant le commandement 
  de la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF) 
  pour une mission de maintien de la paix des Nations unies. Tandis que des opérations 
  plus offensives sont menées à travers le pays par le contingent 
  américain de 8 000 hommes.
  
  Cette répartition est voulue par les États-Unis, mais correspond 
  également aux conceptions et aux capacités européennes 
  de gestion des crises comprenant l'utilisation d'outils civils et militaires 
  en fonction des nécessités. LUE préconise une autre façon 
  de gérer la sécurité. On peut souligner d'ailleurs la divergence 
  entre les perceptions américaine et européenne : les premiers tendent 
  à se considérer comme ceux qui « éradiquent les problèmes » 
  tandis que les seconds se voient plutôt comme ceux qui « fabriquent 
  des solutions » - deux cultures bien différentes de réponse 
  à la menace (7).
  
  Le désengagement américain de l'Alliance atlantique constitue 
  peut-être une opportunité d'européaniser la sécurité 
  du continent. Le droit d'initiative au sein de l'Alliance pourrait glisser vers 
  une Union européenne élargie mais surtout plus cohérente 
  à travers une PESD efficace. 
Valérie Peclow
1 L'OTAN comprend aujourd'hui 19 membres.
  2 Devenue l'Organisation pour la sécurité et la coopération 
  en Europe (OSCE) en 1995.
  3 Voir à ce propos: Valérie Peclow, «L'OTAN: acteur humanitaire 
  incontournable?» in Militaires-Humanitaires. A chacun son rôle, 
  Coéd. GRIP-Éditions Complexe, Bruxelles, 2002.
  4 Joint Statement on the Kosovo After Action Review, Défense Link US 
  Department of Défense.
  5 Voir à ce propos Valérie Peclow, Georges Berghezan et Bernard 
  Adam, «Bilan de la guerre du Kosovo», Les Rapports du GRIP 2000/3.