Biden-Harris : Le retour de l’Amérique que nous aimons
Roland Marounek 12 décembre 2020 « Avec la victoire du ticket démocrate Joe Biden-Kamala Harris, nous pouvons enfin revoir l’Amérique telle qu’elle nous inspire et nous fait rêver. »1 En Belgique comme ailleurs en Europe, les médias et le monde politique dans leur grande majorité n’ont pas caché leur enthousiasme à l’annonce de la victoire de Joe Biden. Une chronique du Soir résume sans doute assez bien le sentiment général2 : Trump est « anti-américain », il ne représentait pas la « vraie Amérique », qui elle est aujourd’hui de retour. « Une page sombre est en train de se refermer en même temps que s'ouvre celle de l'espoir » ; déclare Ecolo, pour Paul Magnette (PS), « une (mauvaise) parenthèse se ferme » ; G-L. Bouchez (MR) s’exclame « Make America and the World Great again », - l’un n’allant pas sans l’autre pour lui semble-t-il. La situation ressemble très fort à celle qui a suivi l’élection en 2008 de Barack Obama, qui, lui aussi, refermait la mauvaise parenthèse G.W. Bush. Résultats concrets sur le plan international – la seule chose qui nous importe finalement ? Là la distinction est un peu plus subtile. Là où le mauvais Bush lançait ouvertement la mauvaise guerre pour le pétrole en envahissant sans trop s’encombrer de justification crédibles et en détruisant l’Irak, faisant descendre au passage des millions de protestataires anti-guerre dans les rues du monde entier, - au contraire, le bon Obama lançait en sous-main les bonnes guerres pour libérer les peuples libyen et syrien, ramenant la Libye, le pays autrefois le plus développé d’Afrique, au niveau d’une Somalie déchirée par les milices rivales, échouant de peu à accomplir le même exploit en Syrie, faisant déborder le jihadisme du Mali au Nigeria, provoquant directement ou indirectement la mort par pogroms ou par noyade de dizaines de milliers d’Africains subsahariens qui avaient trouvé en Libye un havre et une opportunité de soutien à leur famille. On peut également citer à l’actif de son administration si sympathique, l’extension des bombardements en AfPak (Afghanistan-Pakistan) et son enthousiasme sur l’utilisation extensive des drônes3:
Si en termes d’objectif réel et de résultat concret, la différence entre les deux administrations étatsuniennes successives est difficile à percevoir, par contre la différence en termes d’adhésion politique et médiatique européenne est, elle, spectaculaire : L’ensemble des médias, des partis ‘de gauche’, et en particulier les mouvements pacifistes qui 10 ans auparavant s’étaient remarquablement mobilisés contre les guerres de Bush, sont restés au mieux atones, quand ils ne soutenaient pas directement les agressions sur la Libye et la Syrie, et ne relayaient avec zèle la propagande de guerre qui l’accompagne. En route vers une nouvelle juste guerre, pour la Liberté, les Droits de l’Homme, la Défense des Minorités… ? Il est certain que, par rapport à l’ex-présentateur de téléréalité réputé misogyne et raciste, l’équipe de Biden-Harris a davantage de quoi séduire l’opinion progressiste aux USA et ici : équipe de « com » entièrement féminine, homosexuel déclaré, représentants de toutes les minorités ethniques au sein de son gouvernement, etc. Mais le risque est grand que tous ces ‘gages’ ne constituent en définitive qu’un brouillage à l’attention des opinions progressistes ici et là-bas : l’essentiel, ce n’est définitivement pas le premier Noir président, la première femme vice-présidente, la première amérindienne ministre… ce n’est pas le glamour d’une Michèle Obama chantant Aretha Franklin, ou les blagues charmantes de son mari. Ce qui attend le monde avec la nouvelle administration tellement inédite, diverse et multiethnique, ressemble très fort à du déjà-vu : comme l’a répété Joe Biden fin novembre en présentant l’équipe diplomatique de son futur gouvernement : « l’Amérique est de retour, prête à guider le monde »5. Il confirmait ainsi son programme de politique étrangère, exposé quelques mois plus tôt: « Comme président j’accomplirai immédiatement des actes pour […] faire en sorte que l’Amérique, encore une fois, conduise le monde. » Dans ses plans, la volonté de convoquer dès sa première année de présidence un « Sommet mondial pour la Démocratie », réunissant les « Nations du monde libre » - les pays de l’Otan - qui
Et sur la base d‘un tel programme, les Européens sont impatients de prouver la fermeté de leur vassalisation qu’ils pourront à nouveau fièrement arborer. Comme l’a déclaré notre Premier ministre « La Belgique est prête à encore renforcer l’alliance transatlantique pour défendre nos valeurs communes […]. En tant que pays hôte de l’OTAN et de l’UE, nous exprimons l’espoir que sous cette nouvelle présidence, les États-Unis continueront à apporter leur soutien crucial à l’intégration européenne. En agissant ensemble, les États-Unis et une Europe unie peuvent constituer une force extraordinaire capable de renforcer le multilatéralisme au profit de tous. » Les déclarations de Biden précisent de quel multilatéralisme il s’agit exactement : Derrière les Etats-Unis, Guide naturel du monde, les pays de l’Otan en fidèles lieutenants, chargés de faire appliquer les règles du Monde Libre. De l’autre côté du Mur du Bien, les peuples de Corée, du Vietnam, du Nicaragua, d’Irak et tant d’autres, ont sans doute une vision plus concrète de ce que représentent ces 70 ans de guidage éclairé du monde. Pour la majeure partie de l’humanité, le changement de représentant du régime US ne changera pas fondamentalement l’équation de base. Notes 1. https://www.cclj.be/actu/politique-societe/cette-amerique-que-nous-aimons |