L'impérialisme russe
Roland Marounek
1er octobre 2023

"La Russie du futur", telle que présentée en janvier dernier au Parlement Européen par le "Forum des Peuples libres de Russie"1

« Nous devons continuer le soutien très massif nécessaire pour faire échouer les plans impérialistes de Poutine » (Ursula von der Leyen). « Aucune nation n'est en sécurité dans un monde (...) où un pays aux ambitions impérialistes peut rester incontrôlé. » Kamala Harris, février 2023)

Il est piquant de voir les dirigeants étatsuniens et européens crier à l'impérialisme russe,  alors que plus de 70% des dépenses militaires dans le monde sont réalisées par les USA et les pays européens de l'OTAN, que l'Alliance militaire n'a cessé de s'étendre jusqu'aux portes de l'ennemi russe, et que les Etats-Unis disposent d'à peu près 800 bases militaires tout autour du monde - la Russie en a 11, dont une seule (Tartouss) est située hors de l'ex-URSS : quand on parle d'impérialisme, ne devrait-on pas d'abord faire le compte de ces chiffres-là ?

Par contre il est vrai que la Russie regorge de richesses, et il est assez 'naturel' (c’est-à-dire dans la nature de l'impérialisme) de vouloir faire main basse sur ce butin qui a semblé être à portée de main à plusieurs reprises. On s'y était déjà essayé dès le lendemain de la révolution de 1917. Il est interpellant de remarquer que les pays qui sont aujourd’hui parmi les plus actifs soutiens à l'Ukraine, qui hurlent le plus fort au 'respect du Droit International', sont les mêmes qui entre 1918 et 1920 avaient envahi la jeune URSS (Ukraine comprise), tentant "d’étrangler l’enfant bolchevique dans son berceau" comme disait Churchill : Grande-Bretagne, France,  Etats-Unis,  Pologne, Japon...

La victoire de l'URSS a représenté un sérieux revers pour l'impérialisme occidental. D'autant que le nouvel État devenait, par son exemple et son soutien concret, un acteur essentiel de la lutte anti-coloniale : Ce n'est pas un hasard si en 1949, les principaux membres fondateurs de l'OTAN, cet "instrument de la Liberté et de la Démocratie" (dixit Stoltenberg), étaient les puissances coloniales de l'époque, en train de si bien enseigner Liberté et Démocratie dans leurs colonies. La volonté de détruire la Russie, devenue URSS, redevenue Russie, vient de très loin : La guerre actuelle a en réalité commencé il y a plus de cent ans.

Le morcellement de l'immense espace russe est une nécessité basique pour le pillage espéré. A la fin de la guerre froide,  le démembrement de l'URSS en nouvelles républiques indépendantes, avec à la tête de la Russie un corrompu bradant son pays, a été incontestablement une première grande réussite dans ce sens. L'étape suivante était d'arracher ces divers morceaux des liens organiques naturels avec ce qui restait de la Russie. Et l'Occident n'a pas lésiné sur les moyens pour y arriver. On rappelle encore que quelques mois avant le coup d'état du Maïdan, Victoria Nuland alors secrétaire d'état US pour l'Eurasie se vantait que les États-Unis avaient investi 5 milliards de dollars "pour les aspirations européennes de l'Ukraine"2...

Le "gâteau" est-il coupable de vouloir s'opposer à son découpage? Est-il 'impérialiste' de le contester? L'impérialisme russe dénoncé ressemble fort  à celui de l'Empire de Chine du 19e siècle,  contraint d'avaler les uns après les autres, les Traités Inégaux imposés par les grandes Démocraties de l'époque - Grande-Bretagne,  États-Unis et France en tête.

La défaite de la Russie nationaliste de Poutine dans la guerre actuelle, si elle se réalise comme l'espère l'OTAN, devrait conduire au dépeçage final de la Russie. C'est cela qui est véritablement derrière les beaux sentiments et discours des dirigeants de l'Alliance sur l'Ukraine.

Ce n'est pas par amour singulier pour les Finlandais et les Suédois que l'administration US a exercé une telle pression (et un réel chantage) pour les faire rentrer dans l'OTAN, cette alliance militaire la plus puissante de tous les temps : "faire échouer les plans impérialistes de Poutine", vraiment ? Ou plutôt,  et de façon beaucoup plus évidente, "faire avancer les plans impérialistes de l'Alliance Atlantique" ?

Ce n'est pas par amour du peuple ukrainien  que les USA et l'OTAN ont tant investi en Ukraine depuis bien avant février 2022: ce pays devait juste constituer une tête de pont contre la Russie quel qu'en soit le prix pour ses habitants. "Guerre d'agression impérialiste du côté russe, guerre de résistance nationale du côté ukrainien" : cette vision d'Epinal oblitère complètement cette réalité-là.

Enfin, le récit de "Poutine qui veut reconstituer l'Empire russe" se heurte au fait gênant, que Poutine a clairement cherché à éviter ce conflit, en désirant l'application des accords de Minsk, et en proposant en décembre 2021 un traité global contraignant l'OTAN de se plus s'élargir à l'Est, traité qui aurait empêché cette guerre,  comme le reconnait Jens Stoltenberg lui-même. "Bien sûr, nous ne l’avons pas signé", dit-il. L'incorporation de l'Ukraine dans l'OTAN est bien sûr plus importante que la paix,  et la vie de centaines de milliers d'Ukrainiens

Les dirigeants russes ont estimé, à tort, ou à raison qu'ils étaient arrivés à une impasse, et ne pouvaient reculer d'avantage. Comme l’exprimait un membre du Parti Communiste russe : « (...) on a dit aux Russes : nous allons progressivement vous encercler de plusieurs côtés avec des missiles dont le temps de vol jusqu’à votre capitale est d’environ cinq minutes, et vous – attendez et ne bougez pas. (...) La Russie n’a pas attendu que l’Occident termine les préparatifs de sa destruction. »3

Peut-être ont-ils fait une lourde erreur, peut-être sont-ils tombé dans un piège. Peut-être ont-ils sous-estimé la résistance. Mais il est certain que beaucoup de ceux pour qui il est impératif de "condamner avant toute chose l’invasion russe", auraient préféré que la Russie assiste, aussi impuissante que l'Empire de Chine d'antan, à la reprise militaire annoncée de la Crimée par les bandéristes soutenus de manière intensive par les pays de l’OTAN,  à l'intégration de l'Ukraine dans l'Alliance à 500 km de Moscou, et à la fermeture de la Mer Noire, promue 'mer intérieure de l'OTAN' à l'instar de la mer Baltique aujourd'hui.

 La détermination de l'OTAN a rendu ce conflit inexorable.

1. www.leshumanites-media.com
2. www.youtube.com/watch?v=U2fYcHLouXY
3. https://histoireetsociete.com

 

Autres textes de Roland Marounek sur le site du CSO