Rompre le silence sur les crimes en cours contre l’élite intellectuelle irakienne
Appel du Brussels Tribunal
13 avril 2011

Jeudi 10 mars 2011


Ce mardi 8 mars se tenait la session de signature solennelle de la charte de Gand (*) en défense de l’université irakienne, à l’occasion d’un séminaire international sur la situation des universitaires irakiens, en vue du 8e anniversaire de l’occupation de l’Irak.

Le haut commissaire pour les réfugiés à l’ONU, António Guterres, a noté que l’Irak est le conflit le plus célèbre au monde mais la crise humanitaire la moins bien connue. La communauté humanitaire n’a commencé que tardivement à reconnaître l’extension du plus important déplacement de populations résultant d’un conflit dans l’histoire du Moyen-Orient. D’après les chiffres de l’UNHCR (NDLR : l’agence des Nations Unies pour les réfugiés), il y a maintenant 2,7 millions d’Irakiens déplacés à l’intérieur du pays et 2,2 millions de réfugiés, la plupart dans les États voisins. Un Irakien sur six est déplacé. Plus de 8 millions d’Irakiens ont besoin d’assistance humanitaire. La prestigieuse agence de sondage anglaise Opinion Research Business (ORB) estimait les morts à 1,2 million en septembre 2007. L’estimation du Just Foreign Policy d’octobre 2010 s’élève à 1,4 million de morts supplémentaires.

Un aspect peu connu de cette tragédie est la liquidation systématique des universitaires irakiens. Sous l’occupation en cours, la classe intellectuelle et technique d’Irak a été sujette à une campagne systématique et suivie d’intimidations, d’enlèvements, d’extorsions, de tueries aveugles et d’assassinats ciblés. Parallèlement à la destruction de l’infrastructure irakienne d’enseignement, cette répression mène au déplacement forcé massif de la plus grande partie de la classe moyenne instruite d’Irak – le principal levier de progrès et développement dans les États modernes. L’absence de cette classe moyenne a débouché sur l’effondrement des services publics, affectant tous les secteurs et toutes les couches de la société irakienne.

Le nombre de tueries d’universitaires irakiens a continué d’augmenter. À la fin de 2006, The Independent a rapporté que plus de 470 universitaires avaient été tués, tandis que le Guardian affirmait que le chiffre s’élevait à 500 pour les seules universités de Bagdad et Basra (Bassorah). En octobre 2010 il y avait 449 cas enregistrés sur la base de données du BRussells Tribunal. Dans la vaste majorité des cas, il apparaît que les victimes ont été spécifiquement choisies, soit comme cible immédiate d’assassins professionnels, soit comme objet de soi-disant enlèvements débouchant sur leur mort.

Le corps médical international rapporte que la population des enseignants a chuté à Bagdad de 80 %. Le personnel médical est parti en grand nombre. 40 % de la classe moyenne irakienne a fui à la fin de 2006, selon l’ONU. Le directeur de l’Institut international de Leadership de l’Université des Nations Unies a publié un rapport, le 27 avril 2005, détaillant que depuis le début de la guerre de 2003, quelque 84 % des institutions d’enseignement supérieur d’Irak avaient été brûlées, pillées ou détruites. Entre mars 2003 et octobre 2008, 31.598 attaques violentes contre des institutions éducatives furent signalées en Irak, selon le ministère irakien de l’Education. A cette date, il n’y a pas eu d’enquête systématique sur ce phénomène. Pas une seule arrestation n’a été signalée concernant ce terrorisme suivi à l’encontre des intellectuels.

Le système éducatif irakien, autrefois la vitrine du Moyen-Orient, s’est maintenant quasiment entièrement écroulé. Tandis que l’Irak battait un record de faible taux d’illettrisme pour le Moyen-Orient dans les années 80, l’illettrisme bondit au moins à 20 % en 2010 et est parmi les plus hauts de la région. Les taux d’illettrisme parmi les femmes dans certaines communautés vont jusqu’à 40-50 %. La corruption sévit. Le ministre irakien de l’Intérieur a admis que plus de 9.000 serviteurs de l’Etat, incluant le personnel de haut rang du bureau du premier ministre, ont fourni de faux diplômes universitaires achetés. Cependant, l’argent destiné au secteur de l’éducation a été affecté à la « sécurité ».

Les soussignés,

1. Requièrent qu’une enquête internationale indépendante soit immédiatement lancée pour examiner ces tueries des universitaires.
2. Appellent les organisations qui travaillent à renforcer ou défendre le droit humanitaire international à mettre ces crimes à leur agenda.
3. Appellent les universitaires et étudiants à rompre le silence qui entoure ces crimes en cours contre les universitaires irakiens et la destruction de l’infrastructure éducative d’Irak.
4. Demandent que les gouvernements européens garantissent l’asile aux professeurs irakiens et ne les expulsent pas.
5. Insistent pour que la communauté universitaire irakienne en exil reçoive l’opportunité d’un retour volontaire à leur travail.
6. Appellent les universitaires du monde entier à établir des liens entre leur Université et des enseignants irakiens, en exil et en Irak.
7. Conseillent vivement que toutes mesures soient prises pour s’assurer que pas un professeur ou un universitaire ne soit renvoyé ou ne perde le droit au retour à son travail sur la base de son sexe, de sa race ou de son affiliation religieuse.

Professeur Paul Van Cauwenberge, recteur de l’UGent ; professeur Didier Viviers, recteur de l’ULB ; professeur Paul De Knop, recteur de la VUB ; professeur Bruno Delvaux, recteur de l’UCL ; professeur Marc Vervenne, recteur honoraire de la KUleuven ; Noam Chomsky ; Miguel d’Escoto Brockmann ; Eduardo Galeano ; Hans von Sponeck ; Peter Verhelst ; Anne Provoost ; professeur Lieven De Cauter, K.U.leuven ; professeur Sami Zemni, UGent ; professeur Ruddy Doom, UGent ; professeur Christopher Parker.

Liste complète des signataires sur le site www.brusselstribunal.org/seminar

(*) Information sur la « Charte de Gand » : http://www.brussellstribunal.org/Seminar