L'OTAN au cœur des tueries du Brabant ?
Source : ResistanceS
Brice Poirier
3 janvier 2015

Le web-journal RésistanceS.be a recueilli le témoignage exclusif d'une personne affirmant avoir participé, au niveau de la logistique, aux tueries du Brabant. Il nous a livré des détails précis que nous avons recoupé avec d'autres sources. Son rôle : conducteur d'une « voiture d'ouverture » pour permettre la fuite des auteurs d'au moins deux attaques. En direction du quartier-général de l'OTAN, près de Mons ? La cellule d'enquête sur ces tueries, commises en Belgique de 1982 à 1985, vérifie avec sérieux cette piste.

La piste des tueurs du Brabant conduirait-elle aux portes du SHAPE, le « Grand quartier-général des puissances alliées en Europe » (OTAN), installé à Casteau ?

La juge d'instruction en charge du dossier des « tueries du Brabant », Martine Michel, a montré que rien ne l'arrêterait, pas même les manipulations pour brouiller son enquête. Elle est persuadée de tenir le bon bout avec les indices impliquant l'extrême droite et un milieu criminel utilisés – au niveau de la logistique – dans les tueries du Brabant, perpétrées dans le cadre d'une stratégie de la tension. L'objectif de cette stratégie : une reprise en main sécuritaire de la Belgique, considérée alors comme le maillon faible du « dispositif OTAN ».

La piste de l'extrême droite, tournant autour de l'organisation néonazie WNP, et celle de gangsters recrutés dans sa mouvance, pour effectuer des opérations de logistique, a déjà été développée largement dans des articles précédents de RésistanceS.be1,

WNP et repérages de grandes surfaces

L'un des nouveaux éléments qui a fait bouger la Cellule d'enquête en charge du dossier des « tueries du Brabant » (CBW), ce sont les déclarations d'Eric Lammers, un ancien activiste du WNP. Aujourd'hui, Lammers est rangé des bagnoles, assagi et soucieux de se repentir. Mais puisqu'une loi « à l'italienne » n'existe pas dans notre pays, il est obligé de se taire sur certains faits criminels.

Cependant, l'ex-membre du WNP a évoqué devant la CBW et répété ses affirmations devant la caméra de la RTBF les repérages faits, au début des années 1980, soit peu avant les actions des « tueurs du Brabant wallon », aux abords de grandes surfaces, dont certaines seront ensuite attaquées. Les activistes du WNP chargés de cette mission avaient reçu l'ordre de l'effectuer de la part de Michel Libert. En 1992 déjà, cet officiel n°2 de l'organisation clandestine néonazie avait levé un coin du voile sur ces repérages, dans une interview accordée à la BBC, la télévision anglaise. Pour Libert, le WNP n'a été qu'un maillon d'une structure internationale de défense de l'Occident contre l'URSS.

Les ex-gendarmes du groupe G

Un autre « acteur » du dossier avait été dans le même sens. Il s'agit de Martial Lekeu, un membre de la gendarmerie (il démissionnera de celle-ci en avril 1984), alors membre du groupe G. Structure clandestine interne du Front de la jeunesse, une organisation d'extrême droite, ce groupe rassemblait des gendarmes partisans d'une « ligne dure ». Plusieurs passeront ensuite, lors de sa création à la fin des années 1970, dans les rangs du WNP.

Martial Lekeu a lui aussi prétendu avoir vu des schémas de grands magasins dans des documents du groupe G. Avant de filer avec sa famille aux États-Unis, sans que personne ne connaisse le motif réel de son exil outre-Atlantique... Il y décédera en 1997.

A propos de la surveillance des grandes surfaces, n'oublions pas non plus les informations divulguées sur un projet de chantage envers elles. Ce projet avait été planifié par d'autres ex-gendarmes, également membres du groupe G, Madani Bouhouche (décédé « accidentellement » en France où il vivait) et Robert Beijer (qui s'est exilé depuis en Thaïlande).

Nouveau témoignage : « voiture d'ouverture »

Tous ces éléments mis bout à bout sont troublants. En lien direct avec ces repérages avant les attaques des Delhaize de 1983 et 1985, il y a lieu de se focaliser également sur la manière dont les tueurs fuyaient après leurs raids meurtriers.

Les enquêteurs de la CBW ont ainsi ferré, tout récemment, un témoin très intéressant qui a joué un rôle important, selon lui, pour faciliter la fuite des tueurs et éviter leur arrestation après les attaques. Comme pour Lammers et bien d'autres, il n'a jamais su, à l'époque, exactement à quoi cela se rapportait et à qui cela profitait.

L'intérêt supérieur de la nation, la menace communiste (les années 1980 sont alors toujours traversées par un climat Ouest-Est tendu lié à la guerre froide), la présence d'agents infiltrés de la Sûreté de l'État et (parfois) une rétribution permettaient à tous ces hommes de main de deuxième rang, issus du milieu criminel pour certains, de ne pas trop se poser de questions.

En ce qui concerne le « témoin » cuisiné à plusieurs reprises par la CBW, en juillet dernier, et qui apparaît sous le pseudonyme « Ginlo », il s'agit d'un nommé Joël L. (nom connu de la rédaction), originaire du Borinage. Il y a quelques jours, le web-journal RésistanceS.be a également pu l'interroger longuement sur sa dite participation à ce qui semble être clairement une opération de déstabilisation de l'État en vue d'en renforcer ses services de sécurité. Les informations que nous avons recueillies de Joël L. ont été systématiquement recoupées auprès d'autres sources.

« Mouvance Lecerf »

Le parcours de Joël L. dans les eaux troubles de notre pays débute au milieu des années 1970. En 1974, il effectue son service militaire au 1er Chasseur Ardennais (troupe d'élite de l'armée belge) à Spich, en Allemagne. C'est là qu'il sera remarqué par ses instructeurs et finalement présenté au major Jean Bougerol, avec lequel il aura plusieurs conversations.

Ce Bougerol est un militaire connu pour son appartenance aux services de renseignement militaires impliqués dans un réseau politico-militaire lié à la droite conservatrice. Un personnage-clé de ce réseau est Émile Lecerf, le directeur du « Nouvel Europe magazine » (NEM), un journal très à droite, qui soutient les dictatures militaires espagnoles, grecques, chiliennes et le système d'apartheid en Afrique du Sud. Le magazine promeut également les membres du courant atlantiste actifs tant au Parti social-chrétien (PSC) qu'au Parti réformateur libéral (PRL) de l'époque, les ancêtres des actuels CDH et MR. Lecerf est, en 1974, également le parrain politique du Front de la jeunesse, une organisation nationaliste anticommuniste qui vient d'être créée.

La « mouvance Lecerf » a servi de maillon central entre la droite classique et la droite extrême. Elle englobait des politiciens du PSC et du PRL, mais aussi des officiers de la gendarmerie et de l'armée belges. Dès le milieu des années 1960, Émile Lecerf et sa mouvance avaient déjà été dénoncés par Jean Thiriart, leader de la principale organisation d'extrême droite de l'époque (Jeune Europe), comme s'étant mis au service des intérêts des États-Unis en Belgique...

Infiltration de l'extrême gauche ?

De retour à la vie civile, Joël L. travaille comme employé aux Laminoirs de Jemappes, jusqu'en 1982, année de l'annonce de sa fermeture. Celle-ci va donner lieu à un important conflit social, avec une grève dure menée par des travailleurs qui veulent éviter la fermeture de ces laminoirs.

Comme délégué syndical SETCA, Joël L. participe aux négociations du plan social, notamment avec le sénateur socialiste Robert Leclercq qui décédera dans un mystérieux accident de voiture, peu de temps après, de même que le colonel de la gendarmerie Breyers, chef d'opérations, qui décida de « lever le pied » contrairement aux ordres reçus de son état-major dans le bras de fer sans pitié engagé avec les grévistes. Breyers décédera un mois plus tard dans un autre accident de voiture, tout aussi suspect.

Dans le conflit des Laminoirs de Jemappes, d'un côté, il y a la légion mobile de la gendarmerie, féroce et prête à bondir. De l'autre, des grévistes, soutenus par des organisations d'extrême gauche, prêts à tout pour affronter les forces de l'ordre.

Joël L. se trouve au beau milieu de ce conflit social qui montre la tension vive entre les deux extrêmes, gauche et droite.

Après la fermeture des Laminoirs, il se retrouve au chômage et continue de fréquenter des « gauchistes », notamment ceux du Parti du Travail de Belgique (PTB), disposant de locaux propices à des réunions de formation non loin de là, à l'École d'Alphabétisation et à la Maison Ouvrière de Quaregnon, où se retrouvent de nombreux autres mouvements gauchistes (comme la Ligue révolutionnaire des travailleurs) ou apparentés (comme le Mouvement ouvrier chrétien).

Ayant bénéficié du plan social, Joël L. a la possibilité d'ouvrir un restaurant. Son épouse, Line W., originaire de Quaregnon, y est institutrice primaire. Le couple aura deux enfants, aujourd'hui adultes.

La militance de Joël L. avec l'extrême gauche (avec laquelle il avait des accointances comme syndicaliste) était-elle sincère ou avait-il été chargé de l'infiltrer ? Ses contacts avec un milieu militaire d'ultra-droite établis auparavant, lors de son service militaire, peuvent en effet être considérés comme suspects.

Recruté par la Sûreté de l'Etat

Il faut savoir que Joël L., alors âgé de 30 ans, affirme aujourd'hui avoir été recruté par des agents de la Sûreté de l'État (SE) pour des missions d'infiltration d'abord de l'extrême droite (c'est dans ce cadre qu'il aurait assisté à une réunion secrète du WNP), ensuite de l'extrême gauche. Plus particulièrement, son recrutement aurait été fait par des membres de la section bruxelloise de la SE. Les réunions avec ces agents traitants avaient chaque fois lieu sur l'autoroute au croisement de la E19 et de la E42, à la sortie Saint-Ghislain.

Pourtant, il n'est pas courant qu'un IRC (indicateur rémunéré) de la région de Mons ait pour officiers traitants des agents de la section de Bruxelles alors qu'il existe une antenne de la SE à Mons, située à l'époque à la rue du Grand Jour, au numéro 18, juste à côté de la brigade de gendarmerie.

Selon Joël L., parmi ses agents traitants, il y a avait l'inspecteur Claude J. (nom connu de la rédaction), surnommé par certains « Viandox », le fidèle adjoint du célèbre commissaire Christian Smets. Lors des ennuis de son supérieur à propos de l'infiltration du WNP par la Sûreté de l'État, Claude J. interviendra en sa faveur à l'automne 1983, après les révélations sur l'existence du WNP. A tel point qu'il sera écarté par les Péjistes.

Recruté par la DIA ?

Un peu plus tard, mi-1984, au moment des manifestations antinucléaires, Joël L., est contacté par un agent du SDRA, le service de renseignement de l'armée belge, et rendez-vous sera pris à la cafétéria du Cora d'Hornu. Selon les dires de Joël L., l'agent du SDRA se présentera sous le pseudo de « colonel Remy ». Il lui demandera de le renseigner, contre rétribution, pour des missions ponctuelles pour « aider son pays », vantant son patriotisme. Joël L. participera ainsi activement à des manifestations antinucléaires. Il sera aussi chargé d'infiltrer l'extrême gauche, plus particulièrement les libertaires tournant autour de l'asbl 22 Mars. Cette mission donnée à Joël L. s'intégrait dans le cadre de la traque des Cellules communistes combattantes, les CCC.

Au printemps 1985, après avoir testé sa fiabilité sur plusieurs missions, Joël L. affirme que son contact au SDRA le présente à un haut gradé de l'armée américaine, en poste au SHAPE ( Supreme Headquarters Allied Powers Europe ), le « Grand quartier-général des puissances alliées en Europe » (OTAN), installé à Casteau, dans les environs de Mons. Cet officier était également – et surtout – attaché à la Defense Intelligence Agency (DIA), le service de renseignement de l'US Army.

Une petite parenthèse s'impose ici : Paul Latinus, le dirigeant-fondateur du WNP a affirmé, juste avant son suicide (suspect), en 1984, qu'il avait lui aussi été recruté, durant son service militaire, par la même DIA, via un instructeur de l'OTAN. Du temps du WNP, Paul Latinus fut lié à la « mouvance Lecerf », comme Joël L. et bien d'autres.

Les réunions de contact de Joël L. avec ceux pour lesquels il travaille dorénavant ont lieu au « Maisières », un établissement situé non loin des installations du SHAPE. A l'issue de celles-ci, Joël L. se voit confier de nouvelles missions de renseignement et de surveillance. Il est notamment chargé de repérages dans le Bois de la Houssière, dans les environs de Ronquières le long du canal Bruxelles-Charleroi et des missions de surveillance du château de Miremont.

Il va devoir aussi effectuer différents trajets dans cette zone, par temps de pluie, le jour, la nuit, les chronométrer et prendre des photos d'endroits stratégiques. Il remettra à chaque fois un rapport à ses supérieurs.

« Voiture ouvreuse »

Par la suite, Joël L. recevra une nouvelle mission : conduire une voiture munie d'une cibie portable et effectuer l'un des trajets qu'il avait auparavant effectué dans ses tâches de renseignement. Cette mission eut lieu le 27 septembre 1985. Joël L. est chargé d'ouvrir la route et de signaler si sur celle-ci se trouvent des barrages policiers. Or, ce même jour, juste avant de prendre la route, les attaques des Delhaize de Braine-l'Alleud et d'Overijse avaient eu lieu.

La direction prise par Joël L. avec sa « voiture ouvreuse » était celle du SHAPE, soit le « voyage retour » vers la base de repli2. L'objectif de sa mission semble donc avoir été de faciliter la fuite du commando chargé de ces deux attaques et éviter surtout leur arrestation par les forces de l'ordre.

C'est pour cette raison que ce témoin intéressant a été entendu durant trois jours, en juillet dernier, par la CBW. L'ensemble de ses affirmations furent vérifiées sur le terrain par les enquêteurs (notamment les numéros de téléphones codés de ses agents traitants du SDRA et de la DIA), ce qui démontre que son témoignage n'a pas été pris à la légère. Il avait également fait in illo tempore des confidences à feu René Haquin, le journaliste d'investigation du quotidien Le Soir, auteur du livre « Des taupes dans l'extrême droite : la Sûreté de l'État et le WNP » (EPO, 1984) et spécialiste du dossier des tueries du Brabant3.

Aujourd'hui, Joël L. s'est réfugié dans le sud-ouest de la France, à 17 km de Casteljaloux. Menacé, et sachant qu'il allait parler, il a essuyé plusieurs coups de feu devant chez lui, le 1er septembre dernier, et ne doit la vie qu'aux aboiements de son chien qui l'a prévenu de l'arrivée du véhicule du tireur. Il a directement déposé plainte à la gendarmerie française de Casteljaloux. Nous avons pu consulté le récépissé fait par celle-ci au sujet de ces tirs.

Serment de silence

Le témoignage de Joël L. est capital. Il doit être exploité sérieusement. S'il dit la vérité, son récit des événements permettrait d'approcher un peu plus la méthode sophistiquée utilisée par les commanditaires des tueries du Brabant.

Ce modus operandi consistait à utiliser – pour la logistique des attaques commandos – des activistes d'extrême droite, le milieu criminel et des « petites mains », sans permettre de faire le lien entre tous les personnes impliquées et les faits, pour arriver à un objectif final connu seulement de quelques gradés hauts placés tenus entre eux par un serment de silence, au nom de l'intérêt supérieur...

Ne serait-il pas temps que la CBW obtienne enfin la possibilité de mener son enquête jusqu'à l'endroit où pourrait mener, qui sait, la vérité sur la plus énigmatique affaire judiciaire de notre pays, au SHAPE, le quartier général de l'OTAN à Casteau ?

Brice POIRIER

1. Voir http://resistancesnews.be/spip.php?article75 ,

2.Sur les voies de fuite des tueurs, voir http://resistancesnews.be/spip.php?article61

3.Voir http://www.resistances.be/tueurs13.html.